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mardi, 30 août 2022

Le désordre international conflictuel

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Le désordre international conflictuel

Il sera très difficile pour la logique multilatérale d'avoir une chance.

Alberto Hutschenreuter*

Source : https://saeeg.org/index.php/2022/08/18/el-desorden-internacional-confrontativo/

L'état actuel des relations internationales est extrêmement préoccupant, car non seulement il n'existe aucune configuration qui assure une stabilité relative, mais le degré de discorde entre les centres prééminents nous laisse face à des scénarios qui n'excluent pas une détérioration majeure, face à laquelle le multilatéralisme, qui connaît sa plus profonde inutilité depuis les années 1990, ne pourra pratiquement rien faire, contrairement, d'ailleurs, à se qui s'est encore passé en avril 2009, lorsque, au lendemain de la crise financière de 2008, les dirigeants des principales puissances économiques réunis au sommet du G-20 à Londres ont adopté des mesures pour éviter une dépression majeure (selon l'ancien diplomate indien Shivshankar Menon, il s'agissait de "la dernière réponse cohérente du système international à un défi transnational").

Aujourd'hui, il y a un état de "non-guerre" entre l'Occident et la Russie, c'est-à-dire qu'il y a une confrontation ouverte entre la Russie et l'Ukraine, mais il y a aussi, au niveau supérieur ou stratégique de cette guerre, une confrontation indirecte entre la Russie et l'OTAN. Et peut-être sommes-nous prudents en disant "indirect", car lorsqu'on lit la récente vision stratégique de l'Alliance approuvée à Madrid et la conception navale russe plus récente, toutes deux montrent ces acteurs comme des "gladiateurs" sur le point de s'affronter (comme Thomas Hobbes concevait la prédisposition naturelle des États les uns envers les autres).

La guerre, les États et la discorde constituent les principaux éléments de l'équation des relations internationales. Et il est pertinent de le rappeler, car jusqu'avant la pandémie, malgré le climat international déjà endommagé par la guerre interne et internationale en Syrie depuis 2011 et les événements en Ukraine-Crimée en 2013-2014, les approches marquant le déclin de la violence humaine et même la dépréciation de la guerre entre centres prééminents étaient prédominantes.

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Certains rapports réputés sont catégoriques par rapport à la contestation de ces approches. D'une part, les dépenses militaires : selon les données de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires mondiales en 2021 ont dépassé pour la première fois les deux mille milliards de dollars, atteignant la somme impressionnante de 2113 milliards de dollars, soit 0,7 % de plus qu'en 2020 et 12 % de plus qu'il y a dix ans.

D'autre part, selon le Global Peace Index 2022, un rapport annuel publié par l'Institute for Economics and Peace, le scénario international et intra-national est sombre et inquiétant en raison de multiples conflits ouverts : le monde d'aujourd'hui est beaucoup plus instable et violent qu'il y a trois décennies. Le GEM utilise 23 indicateurs et trois axes pour mesurer le niveau de paix des États : le niveau de sécurité de la société, l'ampleur des conflits nationaux et internationaux en cours, et la militarisation des États. Selon cette étude, en 2021, les plus grandes détériorations ont concerné les relations entre pays voisins, l'intensité des conflits internes, le nombre de populations déplacées, l'ampleur de la terreur politique et l'instabilité politique. Depuis des lieux qui affirmaient naguère le cours presque invariable du monde vers une gouvernance centrée sur la galaxie des mouvements sociaux et l'éveil d'une nouvelle conscience mondiale animée par des questions thématiques qui perturbaient l'action individuelle et enracinaient l'effort concerté, l'anarchie n'était pas seulement dépassée, mais reflétait une mise en évidence "pathologique" (et donc "éternisante" au sens "tragique" que cela implique pour la réflexion théorique et la performance politique internationale) de l'absence d'autorité centrale parmi les États.

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Eh bien, les cas de l'Ukraine et de Taïwan-Chine (plus les nombreux autres qui ont eu lieu au cours des années 2020 et 2021, les "années pandémiques") nous indiquent que l'anarchie, la guerre (sa conséquence la plus risquée) et la rivalité sont toujours en vigueur et que, de plus, il n'y a aucune raison de croire que la situation, au-delà de la pertinence de questions telles que l'environnement ou les technologies avancées, connaîtra un changement d'échelle. Il faut ajouter à cela que la pandémie, qui n'impliquait aucune menace d'une nation à l'autre, n'a pas donné naissance, au-delà des déclamations, à un nouveau système de valeurs coopératives ou à une nouvelle gouvernance fondée sur "l'humanité d'abord".

Il règne donc un désordre international, une situation qui, bien que défavorable à la sécurité et à la stabilité entre les États, constitue néanmoins une "régularité" dans les relations internationales. Mais ce qui est inquiétant, c'est le niveau de confrontation et de rivalité entre les acteurs. Une telle situation n'existe plus depuis longtemps, car après la "longue paix" du régime de la guerre froide (1945-1991), puis le "régime de la mondialisation" (1992-1998) et enfin l'hégémonie américaine (2001-2008), les relations internationales, notamment après les événements d'Ukraine-Crimée (2013-2014), se sont progressivement enfoncées dans un état de plus en plus hostile, sans qu'aucune de leurs puissances prééminentes ne fasse l'effort d'imaginer des schémas ou des techniques qui fourniraient de nouveaux biens publics pour un fonctionnement moins précaire de ces relations.

Le fait est que l'hostilité et la discorde n'impliquent aucun équilibre ni aucune modération, même dans le désordre. Nous revenons ici à Shivshankar Menon, déjà cité, qui vient d'avertir que tous les acteurs prééminents, même ceux des couches moyennes et aussi les institutionnalistes (comme l'Allemagne), présentent ce que l'on pourrait appeler un "comportement révisionniste" ; c'est-à-dire que chacun poursuit ses propres fins au détriment de l'"ordre" international et tente de changer la situation. Selon leurs propres termes : "De nombreux pays sont mécontents du monde tel qu'ils le voient et cherchent à le changer à leur avantage. Cette tendance pourrait conduire à une géopolitique plus mesquine et plus litigieuse et à des perspectives économiques mondiales moins bonnes. Faire face à un monde de puissances révisionnistes pourrait être le défi déterminant des années à venir".

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En outre, le manque d'ordre implique déjà un manque de ce que l'on appelle des "tampons de conflit", c'est-à-dire des logiques d'influence de la part des puissances qui peuvent empêcher le déclenchement de confrontations entre des puissances moindres ; une situation de désordre conflictuel implique non seulement un tel manque stratégique, mais pourrait déclencher de dangereux conflits dormants ou latents qui existent dans diverses parties du monde, au-delà de ceux qui existent sur des "plaques géopolitiques" sensibles.

En bref, les relations internationales se sont détériorées au cours des presque 10 dernières années. La pandémie n'a créé aucune forme de coopération accrue entre les États (au contraire, elle a servi d'élément factuel qui a renforcé la méfiance). Sous Xi, la Chine est entrée dans un cycle de plus grande affirmation de soi au niveau national, tout en se fixant pour objectif de devenir une puissance à part entière entre 2035 et 2050. Les États-Unis sont prêts à jouer un rôle basé sur une nouvelle primauté ou un modèle étranger offensif.

La Russie est entrée en guerre pour empêcher l'Occident, par le biais de l'OTAN, de consommer une victoire finale ou une "paix carthaginoise" avant elle. L'Union européenne a peut-être compris qu'il ne suffit pas d'être une puissance institutionnelle (l'Allemagne a modifié la ligne classique de sa politique de défense tournée vers l'extérieur). Une nouvelle dynamique de blocs géostratégiques et géoéconomiques semble se dessiner dans la zone Indo-Pacifique. Le Japon a augmenté de manière significative ses dépenses militaires, tout en reprenant les pulsions d'affirmation nationale autrefois promues par Shinzo Abe, récemment assassiné.

Comme si cela n'était pas assez inquiétant, les acteurs dotés de l'arme nucléaire ne font aucun effort pour progresser vers des accords visant à réglementer ce secteur ; au contraire, il ne reste pratiquement plus de zones pour étendre (ou plutôt rétablir) l'équilibre, alors que pratiquement tous améliorent leurs capacités.

Dans ce cadre, il sera très difficile pour la logique multilatérale d'avoir une chance, sauf dans des cas très spécifiques. Par conséquent, si les deux grandes puissances, la Chine et les États-Unis, n'en viennent pas d'abord à une confrontation ou à une querelle majeure à la suite d'un incident ou d'une provocation américaine (une puissance qui décide d'une orientation extérieure basée sur "la tentation de la primauté", comme l'appelle Robert Kagan qui en fait la promotion), peut-être que le cours du monde vers un bipolarisme sino-américain pourrait donner forme à l'esquisse d'un ordre international, précaire, mais un ordre tout de même. Un "G-2" compétitif et conflictuel, certes, mais aussi avec une coopération minimale. L'expérience montre que les systèmes bipolaires ont tendance à être plus stables que les systèmes multipolaires.

Une accélération de la démondialisation économique et de la délocalisation technologico-industrielle pourrait également inciter, notamment les Etats-Unis, à la provocation. Mais même l'interdépendance économique ne garantit pas l'inhibition des conflits.

Par conséquent, un tel régime éventuel à deux bases n'est une possibilité que sous forme de conjecture, rien de plus. Ce qui est inquiétant, c'est qu'au-delà de cette conjecture, rien d'autre n'est en vue, du moins pour l'instant.

* * *

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À propos de l'auteur :

* Doctorat en relations internationales (USAL). Il a été professeur à l'UBA, à l'Escuela Superior de Guerra Aérea et à l'Instituto del Servicio Exterior de la Nación. Membre et chercheur de la SAEEG. Son dernier livre, publié par Almaluz en 2021, s'intitule "Ni guerra ni paz. Une ambiguïté troublante".

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vendredi, 19 août 2022

La démocratie malade du libéralisme

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Les archives de "Synergies Européennes"

Pierre Le Vigan (Juin 2009):

La démocratie malade du libéralisme

Année 2009. Une fois de plus, le taux d’abstention aux élections européennes a battu des records. Il a été en France de près de 60 %, et de 57 % sur l’ensemble des pays de l’Union. Le taux de participation n’a cessé de baisser depuis 1979, la première date d’élection au suffrage universel des députés européens. Ce phénomène d’abstention, qui concerne surtout les milieux populaires, et d’autres phénomènes, tels l’importance des votes, du moins jusqu’en 2007, pour des partis éloignés de l’espérance de gouverner, ont amené beaucoup d’observateurs à parler de déclin de la démocratie.

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Guy Hermet (photo), politologue, professeur à l’Université de Montréal, parle de « crépuscule démocratique », d’ « hiver de la démocratie ».  La démocratie se viderait elle-même de sa substance. Les formes ne recouvriraient plus des pratiques et des engagements. Emmanuel Todd explique de son coté que notre époque est celle d’ « après la démocratie » : une post-démocratie. On peut bien sûr lier ce phénomène au contrôle social généralisé, au fichage et « flicage » sans précédent. Il serait l’effet d’une désaffection vis-à-vis des institutions. Mais ce ne sont là que des conséquences de l’atonie citoyenne. 

La démocratie est née libérale. La loi Le Chapelier de 1791 a interdit les coalitions c’est à dire les associations ouvrières en même temps que les corporations. Napoléon 1er, reprenant une disposition de la fin de l’Ancien Régime,  a soumis l’ouvrier à la possession d’un livret précisant ses différents patrons successifs et gardé par le patron tant qu’il était dans l’entreprise. La démocratie ne s’installe durablement qu’avec la IIIe République. Elle est préparée par le Second Empire avec, en 1864, le droit de coalition ouvrière et l’autorisation du droit de grève. Le droit d’association ouvrière ne sera complet – ce qui ne veut pas dire sans entrave – qu’en 1884 avec la loi Waldeck-Rousseau.  Le postulat dominant de la Révolution française n’était pas la démocratie au sens où nous l’entendons. C’était les droits de l’individu. Celui-ci était considéré comme préexistant à la société. La Révolution française, c’est d’abord  l’individualisme libéral, matrice de notre monde moderne. 

C’est dire que la démocratie était mal partie. Partie sur le mode de la négation de la notion de bien commun à construire par le politique et sur la négation de la régulation sociale. Les individus avant la solidarité : cela commençait mal. Il y eu certes, après des décennies de libéralisme sauvage, quelque 40 ans de libéralisme tempéré par des doses de démocratie sociale. Des années 40 aux années 80. Ce fut le fordisme (du nom d’Henry Ford) : régime économique et social marqué par l’idée que les salariés doivent participer aux fruits de la croissance et y être associés. Ainsi, la récupération sociale était associée à l’ouverture de nouveaux marchés. Le peuple devenait consommateur et oubliait un peu ses revendications de producteur.  Une façon de faire mentir la théorie marxiste de la lutte des classes. Avec le néo-libéralisme ou pour mieux dire avec le mondialisme et l’hyper-capitalisme, ce phénomène est accru. Sous l’effet de la vision libérale de la société qui marchandise tous les champs de l’activité humaine, le producteur et le citoyen ont été réduits au consommateur. « Le libéralisme met la démocratie en crise », remarque l’historien Marcel Gauchet.  

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Le fordisme a laissé la place à l’ultralibéralisme et à sa déréglementation dans le domaine économique à partir des années 1980, avec Thatcher en Grande–Bretagne, Reagan aux Etats-Unis, et Mitterrand en France. A partir de 1983, la politique s’est alors rabattue sur la surface extensible à l’infini des « droits de l’homme », des droits qui sont pour la plupart souhaitables mais dont l’affirmation répétée liquide en fait le droit lui-même. En effet, les droits de telles ou telles catégories finissent par se heurter et être tout simplement illisibles. En outre, ce ne sont pas l’affirmation des droits qui résolvent les problèmes mais les politiques réellement engagées. L’habitant d’une zone rurale a moins besoin d’une énième affirmation du droit à la santé sur papier à en tête de la République que d’un médecin à moins de 20 km de chez lui.  Ce régime de prolifération de droits parcellaires coupe l’individu lui-même en petits morceaux en fonction de caractéristiques qui n’épuisent pas pour autant la multitude des facettes de l’identité de chacun.

Si le droit lui-même se liquéfie sous l’effet de cette « sociétalisation » du droit c’est-à-dire son rabattement sur des enjeux,  voire des micro-enjeux de société, le politique s’effondre littéralement, ce dont donne la mesure les vagues d’abstentions massives aux élections qui déferlent régulièrement ou le vote pour des partis radicaux. « Une politique fondée sur l’addition des intérêts particuliers s’apparente plutôt à une anarchie, c’est-à-dire à une non-politique. La démocratie consiste au contraire à laisser définir plusieurs versions de l’intérêt général, que la souveraineté populaire hisse à la représentation alternativement », indique la philosophe Chantal Delsol (photo).

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Mais la politique actuelle a cessé d’être le lieu des décisions qui tranchent, à l’image de notre politique extérieure qui s’émeut de tout mais ne s’engage sur rien. La politique devient un « impouvoir » selon le mot de Marcel Gauchet. Le lieu de l’impuissance du pouvoir. La démocratie s’effondre ainsi sous son propre poids ou plutôt sous celui de ses excroissances qui l’ont en fait dénaturée. Les droits de l’individu ont remplacé ceux du peuple. L’universalisme abstrait des droits de l’homme a remplacé le droit concret des hommes réels. La démocratie dite libérale est devenue le fossoyeur de la démocratie réelle. « Elle s’en est prise au principe du pouvoir en général et partout. Elle a universellement sapé les bases de l’autorité du collectif au nom de la liberté. (...) Elle a fait passer au premier plan l’exercice des droits individuels, jusqu’au point de confondre l’idée de démocratie avec lui et de faire oublier l’exigence de maîtrise collective qu’elle comporte », écrit Marcel Gauchet (photo), qui a engagé la réalisation  d’une vaste fresque historique sur la démocratie.

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L’universalisme des droits de l’homme tend à dissoudre le citoyen dans une société d’ayant-droits. Citoyen devient un adjectif (« une conduite citoyenne », « un tri citoyen des ordures ») mais cesse d’être un sujet. La politique est réduite aux droits et ceux-ci sont réduits à de bonnes intentions morales. Il n’y a plus ainsi ni droite ni gauche ou du moins, droite et gauche ne se distinguent pas plus que Total et Shell. Ce sont des marques commerciales, des produits marketing. C’est ce que pointait le député P.S Manuel Valls dans une polémique cet été. « Nous ne sommes pas capables d'assumer théoriquement ce que nous faisons ensuite quand nous gouvernons » (…) « Avec Lionel Jospin au pouvoir, nous avons privatisé beaucoup d'entreprises ». « Mais ensuite, nous n'acceptons pas du tout le rôle de la nouvelle économie. » (Le Point, 28 juillet 2009). Cela avait un seul mérite : celui de la franchise. C’était une façon de dire que le PS est social-libéral mais ne l’assume pas. Il est vrai que la social-démocratie a cessé d’être une marche, fut-elle lente, au socialisme mais est au mieux un ralentissement de la marche au turbo-capitalisme voire – c’est arrivé – une accélération de cette marche, la caution de gauche servant d’alibi.

Dés lors que le citoyen n’a plus le choix entre diverses lignes politiques, il n’y a plus de démocratie. Face à cela certains mettent en cause, notamment du coté des anarcho-libertaires, ou chez les nostalgiques de droite (et parfois de gauche) d’un « ordre naturel », le principe même de la démocratie représentative. Toute délégation de pouvoir serait à proscrire. Au minimum, les élus devraient être liées par un mandat impératif, n’agir qu’en fonction de leurs engagements. Le maximum de questions devraient être réglées par la démocratie directe ou encore démocratie de base. Cela n’est guère réalisable.

Bien entendu, la démocratie la plus locale possible, la plus décentralisée possible est souhaitable. Mais le mandat ne peut être impératif sauf à imaginer que l’histoire s’arrête et qu’un programme puisse suppléer à tout. Les référendums d’initiative populaire sont sans doute très souhaitables mais ne sauraient s’appliquer à tout : aucun référendum n’aurait, en 1940,  mandaté de Gaulle pour qu’il anime la résistance à Londres. L’initiative personnelle et historique est à un moment donné irremplaçable. Le principe de la délégation de pouvoir reste indispensable. Ce qui pose problème, c’est la personnalisation excessive. Qu’un camp ait un leader qui se dégage comme dominant à tel moment, c’est bien naturel et c’est souhaitable. Mais qu’une élection se fasse sur une bataille d’image, voilà qui est devenu la norme et qui est le contraire d’une bonne pratique démocratique, car le choc des images supplée à l’affrontement des idées.  Ce sont alors les communicants qui prennent le pouvoir. Et chacun sait qu’ils sont interchangeables entre droite et gauche.

L’apparition du thème de la société civile et de la gouvernance (toujours « nouvelle », aurait écrit Gustave Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues) est significatif. A la base, la notion de « société civile » ne veut rien dire d’autre que « ce qui n’est pas la société militaire ».  Or, l’ouverture du politique à la « société civile » ne se traduit pas par autre chose que par l’ouverture au monde des affaires : hier, Bernard Tapie ou Francis Mer, aujourd’hui Christine Lagarde. Comme si le peuple ne faisait pas partie de la « société civile ».

De même, la notion de « gouvernance » envahit le champ politique alors que ce n’est pas son registre. Appliquée aux entreprises ou aux associations, la notion de gouvernance désigne une gestion qui a l’ambition d’être à long terme et d’être l’outil d’un projet. La notion de gouvernance est ainsi parfaitement légitime dans le domaine du tiers secteur économique comme l’économie sociale et solidaire (coopératives, associations, fondations, etc). Cette notion est beaucoup plus contestable dans le registre du politique ou il ne s’agit pas tant de « gérer » que d’incarner un peuple, d’assumer son destin, de maintenir le lien social.

9782711743384.jpgAvec le discours de la gouvernance, c’est encore la pensée unique, celle du « il n’y a qu’une seule politique possible » qui s’exprime, et ce d’une manière d’autant plus contraignante qu’il s’agit de faire « converger les gouvernances ». C’est-à-dire qu’il n’y a plus qu’une politique possible et que celle-ci est mondiale, c’est une toile unique qui enserre dans ses filets les libertés des hommes et des peuples.  There is no alternative. D’autant que cette gouvernance se veut concertée entre les Etats, les grandes entreprises, les institutions internationales telles le F.M.I.  Comme l’écrit l’ancien secrétaire d’Etat américain au travail sous Clinton, Robert Reich, auteur de Supercapitalisme – le sous titre est explicite : « Le choc entre le système économique émergent et la démocratie » – (Vuibert, 2007), « aucune compagnie ne peut sacrifier son rendement au bien commun ».

C’est l’hyper-économie, la chrématistique qu’Aristote, Sismondi et d’autres avaient déjà critiquée qui a tué à petit feu la démocratie. C’est pourquoi la renaissance de la démocratie ne peut venir que d’une autre économie. Le tiers secteur de l’économie sociale et solidaire participe de l’invention de cette autre économie, une économie réencastrée dans le social, selon le souhait de Karl Polanyi. Bien entendu, le tiers secteur est enserré dans une économie elle-même principalement capitaliste. Mais il montre qu’entre l’administration bureaucratique de l’économie et la gestion capitaliste cherchant avant tout la rétribution de l’actionnaire, il y a une autre voie non seulement possible mais porteuse d’espoir.

Toutefois, la nouvelle économie comme la renaissance de la démocratie sont soumises à une condition: retrouver les vertus du citoyen. Ces vertus sont été mises à mal par l’idéologie du désir lié à un « capitalisme de la séduction » (Michel Clouscard), capitalisme qui s’est mis en place à partir des années 1970. C’est l’état d’esprit libéral-libertaire qui est en cause : il est  jouisseur, hédoniste, et il dévalorise le travail. Or, un métier n’est pas un « job ». C’est bien plus et bien mieux que cela. C’est l’état d’esprit libéral-libertaire qui est arrivé en bout de course.

PLV

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■ Guy Hermet, L’hiver de la démocratie ou le nouveau régime, Armand Colin, 2007.

Selon l’auteur, nous sommes au crépuscule d’une époque. Un populisme « people », une sorte de bougisme donne encore l’illusion qu’il se passe quelque chose.  Mais la démocratie s’est vidée de son contenu. La question est de savoir ce qui sortira de la métamorphose  en cours.

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■ Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard, 2008.

L’auteur dénonce le vide idéologique des grands partis, l’isolement de la classe dominante (l’hyperclasse) et ne voit comme solution pour refaire une démocratie qu’un protectionnisme à l’échelle européenne.

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■ Marcel Gauchet, L’avènement de la démocratie, Gallimard, 2007

Sur quatre tomes prévus, deux sont parus : “La Révolution moderne” (tome I) et “La crise du libéralisme” (tome II). Une enquête rigoureuse sur l’émergence de la forme politique démocratique en Occident.

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■ Michel Clouscard, Néo-fascisme et idéologie du désir, 1973 et rééd. Delga, 2007.

Le premier livre de critique de l’idéologie « libérale-libertaire ». Il sera suivi par beaucoup d’autres – notamment ceux d’Alain Soral - sur le même thème. Malgré le caractère un peu systématique de la critique, qui sous-estime sans doute les aspirations vraiment émancipatrices de Mai 68, l’auteur montre bien la formidable capacité du système marchand à récupérer les aspirations à « vivre mieux » pour les réduire à « consommer plus ».

samedi, 13 août 2022

La fin du projet de Fukuyama

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La fin du projet de Fukuyama

Source: https://nritalia.org/2022/08/10/la-fine-del-progetto-di-fukuyama/

Francis Fukuyama fonde ses fantasmes sur l'avenir du libéralisme, sur la grandeur passée des États-Unis en tant que puissance mondiale hégémonique. Ces temps sont révolus depuis longtemps, une nouvelle phase de l'histoire a commencé. Le projet de la "fin de l'histoire et du dernier homme" ne peut plus se justifier.

J'ai récemment assisté à une conférence de Francis Fukuyama à la Michigan State University. La conférence, parrainée par le LeFrak Forum on Science, Reason and Modern Democracy, était consacrée au "Libéralisme et ses problèmes", titre du dernier livre de Fukuyama. Ce panel a discuté du contraste saisissant entre un point de vue qui cherche à justifier le libéralisme et un point de vue qui espère l'enterrer. Il est juste de dire que nous avons rempli les rôles qui nous étaient assignés, en étant fondamentalement en désaccord sur la cause et le sort de nos déclarations.

Patrick J. Deneen

J'ai commencé par souligner notre situation profondément malheureuse en mettant en évidence les griefs: dus à l'inégalité économique profonde et omniprésente à gauche et à la dégradation culturelle qui a conduit à un nombre sans cesse croissant de "morts du désespoir" à droite - et j'ai relié ces deux "revendications" directement aux conséquences attendues des principales dispositions du libéralisme sur la nature humaine et la nature de l'ordre politique et social. Fukuyama a fait l'éloge du libéralisme comme étant peut-être le régime le plus humain et le plus décent qui ait jamais existé. Il a affirmé qu'il n'existait aucune alternative susceptible de séduire les personnes qui valorisent la prospérité, la dignité, le respect de la loi, les droits individuels et la liberté. Il était d'accord avec ma description de nos "mécontents", mais ne pensait pas qu'ils étaient propres au libéralisme. En bref, nous avons examiné le même problème et sommes arrivés à des conclusions très différentes sur ce que nous y avons vu.

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Fukuyama a avancé trois propositions principales, qui selon lui ne sont pas tirées de domaines complexes de la théorie politique (dans une conférence dominée par les théoriciens politiques de Strauss), mais basées sur des observations empiriques du monde. Ses trois principales propositions étaient les suivantes :

  1. 1) Le libéralisme est apparu après la Réforme comme une solution après les guerres de religion et a fourni un moyen d'atteindre la paix et la stabilité politique sans exiger le consentement métaphysique ou théologique du peuple.
  2. 2) Ce que nous voyons aujourd'hui comme les maladies du libéralisme (économique et social) sont en fait des pathologies qui ne découlent pas nécessairement d'un ordre libéral sain. Elles sont plutôt aléatoires et dépendent d'autres facteurs, et peuvent donc être soignées sans tuer le patient.
  3. 3) Le libéralisme doit chercher dans ses nombreux succès passés une garantie pour ses réalisations futures. En abandonnant les efforts pour atteindre le "bien commun", le libéralisme a permis aux biens individuels de s'épanouir, aboutissant à un ordre politique riche, tolérant et pacifique. Sa capacité à apporter la prospérité et la paix a été prouvée par l'histoire.

Les trois points sont interconnectés. Parce que le libéralisme était fondé sur le rejet du concept de bien commun (proposition 1), et qu'il reposait au contraire sur un modus vivendi de tolérance et de gouvernement limité protégeant les droits de propriété, il a permis au monde entier de vivre dans la prospérité et le bien-être (proposition 3). Ses "maux" actuels peuvent être soignés en limitant les excès du libertarisme économique, du wokisme et du conservatisme post-libéral (proposition 2). Le vrai libéralisme se situe immédiatement dans notre avenir, mais il peut également être vu dans notre passé récent où ces trois éléments n'étaient pas aussi proéminents ou absents.

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Alors que Fukuyama prétendait être un politologue et un réaliste historique parmi les penseurs éphémères, fondant ses affirmations sur des preuves réelles de l'acceptabilité des coûts du libéralisme sur fond de ses énormes avantages, les tentatives de validité empirique de ses affirmations suggéraient le contraire. Ces trois affirmations témoignent d'efforts acharnés pour mettre leur perception de la réalité en conformité avec les exigences de leur théorie. Qu'il s'agisse d'une histoire sélective, d'un vœu pieux ou d'une fantaisie nostalgique sur la façon dont l'avenir imitera un moment particulier du passé, Fukuyama s'avère être tout sauf un réaliste. Son libéralisme fantaisiste repose en fin de compte sur une réinterprétation tendancieuse et très sélective des preuves du passé et du présent pour extrapoler une vision de l'avenir qui est à la fois peu plausible et qui occulte la nature vicieuse du régime libéral.

Voici mes réponses, brièvement et sur chaque point :

1.

Fukuyama, comme de nombreux participants à la conférence, a fait appel à l'histoire familière des origines du libéralisme comme "solution de paix" en temps de lutte fratricide sur le plan religieux et en temps de guerre. Cet argument vieux comme le monde a été utilisé par des penseurs tels que Judith Shklar, John Rawls et Richard Rorty, et est maintenant repris en masse par la communauté libérale. Il s'agit d'un récit typique du triomphe du libéralisme, avec des histoires de temps sombres d'où le véritable salut a surgi sous la forme du Deuxième traité et d'un Essai sur la tolérance de John Locke.

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Le problème est qu'il s'agit d'une histoire simpliste qui est répétée si souvent qu'elle est devenue une sorte de credo du libéralisme. Une recherche historique minutieuse de la période au cours de laquelle les contours de l'État moderne se sont dessinés, montre au contraire que les "guerres de religion" étaient le plus souvent une couverture utilisée par le pouvoir politique pour parer à la fois aux conditions restrictives de l'Église d'en haut et au pouvoir limitatif des diverses formes aristocratiques d'en bas. De nombreuses batailles de ce que l'on appelle les "guerres de religion" n'ont pas été livrées pour des questions de croyance ou, comme les libéraux ont coutume de le voir, pour des questions de foi personnelle et irrationnelle, mais plutôt pour des questions de pouvoir politique.

L'histoire de la politique moderne peut être racontée de différentes manières, mais les faits de base soulignent la consolidation du pouvoir politique sous une forme totalement nouvelle : l'État moderne. Afin de promouvoir la forme moderne de l'État, des efforts considérables ont été déployés pour séparer le pouvoir "séculier" du pouvoir "religieux" (termes qui ont été réattribués pour ce projet). Parmi les écrits les plus succincts et les plus convaincants qui remettent en question ce récit libéral, je citerai à titre d'exemple un essai lapidaire de William T. Cavanaugh : Assez de feu pour consumer une maison : les guerres de religion et la montée de l'État moderne. L'essai de Cavanaugh revisite, de manière démonstrative, le récit libéral habituel.

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Avec moults détails, en grande partie tirés des récits d'éminents historiens du début de l'ère moderne (tels que Richard Dunn et Anthony Giddens), Cavanaugh décrit comment cette théorie a été construite pour protéger les intérêts d'une nouvelle génération de penseurs libéraux, où elle a été truquée, et décrit aussi les principales motivations des acteurs historiques.

En bref, dans la quête de la création d'un État libéral moderne - l'entité politique la plus puissante jamais connue dans l'histoire de l'humanité - on a raconté l'histoire du "gouvernement limité" qui exigeait le retrait de la "religion" de la sphère privée. Il y a eu un "rebranding" : ce qui était autrefois des batailles politiques est devenu des guerres "religieuses". Il n'est pas surprenant que l'émergence de l'État whig, en particulier le parti bourgeois moderne et la classe politique qui l'accompagne, ait nécessité l'interprétation "whig" de l'histoire.

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D'un autre point de vue, le classique Du pouvoir de Bertrand de Jouvenel (1949) reste parmi les meilleures histoires de la consolidation du pouvoir politique à cette époque. Contrairement à l'affirmation libérale selon laquelle le libéralisme représente le progrès historique mondial sous la forme d'un "gouvernement limité", Jouvenel montre dans son livre influent que l'État moderne a assidûment démantelé le véritable "fédéralisme" de l'ère pré-moderne en dissolvant divers "domaines" concurrents - qu'il s'agisse du clergé ou de la noblesse.

Cette centralisation du pouvoir a été largement réalisée en faisant appel aux masses, au "peuple" à qui l'on promettait la libération de l'ancienne aristocratie. Retraçant la même histoire racontée en termes économiques par Karl Polanyi dans La grande transformation, Jouvenel examine les raisons pour lesquelles la libération des formes politiques décentralisées a pris fin avec la consolidation et le renforcement du pouvoir centralisé de l'État moderne. Cependant, en s'appropriant et en redéfinissant des termes tels que "liberté", "gouvernement limité" et "fédéralisme", l'État moderne a transformé son pouvoir croissant et consolidé en ce que nous reconnaissons aujourd'hui comme l'État centralisé libéral moderne.

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Les principales idées de l'analyse de Jouvenel ont été exprimées sous une forme puissante et persuasive par Robert Nisbet dans son texte classique de 1953, In Search of Community. Comme Jouvenel, mais en tenant compte de l'expérience des régimes totalitaires du 20ème siècle, Nisbet est arrivé à la conclusion que l'État moderne est fondé sur la dissolution ou la redéfinition effective de diverses affiliations et communautés qui servaient autrefois de principales formes d'identité communautaire - familles, églises, syndicats, communautés, collèges, etc. Alors que Nisbet attribuait la montée des régimes totalitaires fascistes et communistes à la "recherche de la communauté" moderne, il prédisait que la même dynamique s'appliquerait aux démocraties libérales. L'État moderne, la forme politique de la nation moderne, était une fusion de l'individualisme libéral et de la centralisation.

Rien n'était donc "juste comme ça", comme le montre la version déformée de Fukuyama sur la naissance de l'État moderne. Ses prétentions à l'empirisme se heurtent à une montagne de suppositions non vérifiées et de déclarations tendancieuses destinées à rassurer ses auditeurs que tout recul du libéralisme nous ramènera aux âges sombres de la guerre civile, de l'intolérance et de l'oppression.

À la fin de notre conversation, je lui ai dit que nous devrions effectivement être très prudents quant aux affirmations selon lesquelles le libéralisme ouvrirait une ère de tolérance et de paix sans précédent. Au contraire, les preuves empiriques montrent que la principale incarnation politique du libéralisme, les États-Unis, a rarement, voire jamais, toléré un ensemble constant mais changeant d'éléments "inacceptables", des indigènes de son continent aux enfants non désirés, qui sont libérés (de la vie) au nom de la liberté et du choix. Il ne faut pas non plus penser que ce pays est un modèle pour le monde face à l'ennemi actuel (volatile, mais omniprésent) du libéralisme. Les États-Unis ont été en état de guerre presque continuellement tout au long de leur existence, selon certaines estimations, 92% du temps. Pourtant, pour une raison quelconque, nous devons croire que le libéralisme nous a apporté les avantages indéniables de la "paix".

2.

Fukuyama affirme que les "griefs" du libéralisme actuel - économiques et sociaux - bien que réels, sont néanmoins négociables. Il considère l'Europe comme un antidote au "néo-libéralisme" anglo-américain qui est devenu la marque politique de la droite depuis l'ère Reagan et Thatcher et qui s'est poursuivi avec Clinton et Blair jusqu'à aujourd'hui. Voyant cela comme la principale cause du "mécontentement" économique, il pense que l'on s'éloigne déjà du fondamentalisme du marché autrefois promu par Hayek et Friedman et que l'on tente de restaurer le modèle de démocratie sociale économique de l'Europe occidentale.

Il reconnaît la déchéance sociale qui se produit à la racine même du libéralisme. Elle reconnaît la gravité de l'affaiblissement des liens sociaux, des structures morales et des institutions éducatives, qui est l'une des principales conséquences du "succès" du libéralisme. Il cite des penseurs comme moi-même, Sohrab Ahmari et Adrian Vermeule parmi ceux qui insistent sur ce point. Cependant, il affirme qu'il n'y a pas de retour en arrière possible. Comme en économie, le libéralisme peut finalement modérer ces extrêmes en permettant à la nature humaine de s'affirmer.

Comme il l'a écrit dans un essai qui a servi de prélude à son livre, "le libéralisme, correctement compris, est parfaitement compatible avec les impulsions communautaires et est devenu la base de l'épanouissement de diverses formes de société civile".

L'expression remarquable dans sa déclaration est "bien compris", le but ultime du rêveur, représenté par des données empiriques contradictoires. Seul le libéralisme sans les pathologies qui l'accompagnent est le vrai libéralisme, c'est-à-dire le libéralisme "correctement compris". Le libéralisme qui est à l'origine de notre profond mécontentement est simplement basé sur un "malentendu".

Lors de la conférence, j'ai suggéré à Fukuyama qu'il existait au moins une société libérale qui ne connaît aucune des formes extrêmes de "grief" dont il admet l'existence. Je lui ai demandé de citer un pays libéral qui existe en réalité, et non en théorie, qui ne connaît pas de mécontentement, qu'il soit, comme il l'a dit, temporaire ou dépendant d'autres facteurs.

En réponse à ma question, il a souligné les tentatives de l'Europe de contenir le néolibéralisme économique, mais a omis de mentionner que tout pays qui s'efforce d'y parvenir d'une manière ou d'une autre est également confronté à des formes extrêmes de dégradation sociale, qu'il s'agisse de la destruction de l'institution familiale, de la crise de la natalité, du déclin de la conscience religieuse et de la vulnérabilité généralisée des institutions de la "société civile". Si l'on s'en tient aux faits, il est impossible d'éviter la conclusion que nos "mécontents" ne sont pas le fruit du hasard, mais qu'ils sont caractéristiques du libéralisme. Maintenir cette expérience politique éphémère fondée sur le "mythe" de l'individualisme et de l'autocréation revient simplement à provoquer de nouvelles maladies. Ce que Fukuyama décrit comme une pathologie est plus correctement compris comme une maladie génétique au sein même du libéralisme.

3.

Mais s'il y avait une époque où le libéralisme se développait sans ces pathologies ? Cela ne prouve-t-il pas que nous pouvons avoir tous les avantages et aucun des effets négatifs ?

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Oui, on peut contrer l'affirmation précédente en faisant référence à la domination antérieure du libéralisme, lorsqu'il ne présentait ni inégalité économique extrême ni décadence sociale. Comme de nombreux libéraux américains, Fukuyama est attaché au libéralisme qui semble s'être brièvement épanoui dans les premières décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Dans son essai, il écrit : "La période de 1950 à 1970 a été l'âge d'or de la démocratie libérale dans le monde occidental. Il se félicite de l'état de droit, des progrès en matière de droits civils, de l'égalité économique relative, ainsi que de la forte croissance économique et de l'expansion du système de protection économique de la classe moyenne.

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En réponse à des critiques tels que moi-même, Ahmari et Vermeul qui, selon lui, veulent faire revivre une certaine forme de christianisme médiéval, Fukuyama écrit que nous ne nous trompons certainement pas en pensant que nous pouvons "remonter le temps". Pourtant, en pointant du doigt les deux décennies durant lesquelles le libéralisme a connu son "âge d'or", Fukuyama offre comme argument empirique que le libéralisme peut s'épanouir sans qu'aucun ressentiment évident ne l'accompagne, si... il remontait le temps ! Ni l'inégalité économique radicale ni la désintégration sociale n'étaient aussi évidentes aux États-Unis au cours de ces décennies avant que le libéralisme ne commence apparemment, bien qu'accidentellement, à s'estomper.

Fukuyama est assez poli pour admettre que l'appel à ces décennies est erroné. Il ne s'agit là que de la nostalgie (justifiée) de l'"âge d'or" de l'Amérique, mais un regard rétrospectif ne fait que souligner le caractère unique et la temporalité de cette période. L'Amérique avait gagné le conflit mondial, sa vie économique et sociale était relativement intacte à une époque où une grande partie du reste du monde développé était en ruines. Elle a brièvement joui des trophées uniques de la victoire, se libérant de toute concurrence économique et produisant des biens et des ressources dont le reste du monde avait désespérément besoin. Elle a créé un système économique international très favorable à ses propres intérêts économiques et politiques, qui est aujourd'hui de plus en plus fragile.

Les années 1970, reconnues par Fukuyama comme étant la fin de cet "âge d'or", ont marqué le début de la fin de l'hégémonie américaine, les limites de sa domination militaire ayant été révélées. La position économique autrefois unique des États-Unis est aujourd'hui compromise par sa dépendance au pétrole du Moyen-Orient (et la crise qui s'ensuivra dans les prochaines décennies), sa brève harmonie politique intérieure brisée par la désintégration sociale motivée par la réussite matérielle, le démantèlement de l'héritage des institutions et l'arrogance. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que nous vivons le crépuscule d'un bref moment impérial unique dans l'histoire du monde. Et Fukuyama offre cet ordre ancien comme une panacée pour le libéralisme, croyant qu'il peut résister à tous ses problèmes.

Cet ordre politique hautement suspect ne pouvait fonctionner que dans ces conditions historiques uniques, idéales et temporaires. Si le monde, et même l'Amérique, n'étaient pas encore libéraux avant 1950, et que les troubles n'ont commencé que vingt ans plus tard, quelle conclusion pouvons-nous et devons-nous tirer de ce moment de l'histoire ? Il ne semble pas que la conclusion à laquelle Fukuyama nous appelle contredise ce que nous devrions voir clairement de nos propres yeux : que le libéralisme a des ressources internes et la capacité de surmonter le mécontentement qu'il génère. Au contraire, l'évidence, non entachée de vœux pieux et de nostalgie spectrale, suggère que Fukuyama est bien plus un "théoricien" que l'empiriste pur et dur qu'il essaie d'être.

Fukuyama semble avoir finalement reconnu les limites de sa propre prétention à démontrer la supériorité inhérente du libéralisme, tant dans notre conférence que dans son essai, faisant appel au spectre des alternatives illibérales et anti-libérales comme principale raison de venir en aide au libéralisme. Dans son essai, il cite des pays comme l'Inde, la Hongrie et la Russie comme exemples d'alternatives illibérales qui, malgré les imperfections de l'Amérique, devraient nous aider à éviter un destin illibéral. Ces pays, écrit-il, utilisent le pouvoir de l'État pour "détruire les institutions libérales et imposer leurs vues à la société dans son ensemble". (D'autre part, ici aussi les faits réels montrent que l'ordre libéral n'est guère à l'abri de telles formes d'imposition politique et sociale. Mais cela s'écarte de la principale conclusion que l'on peut tirer de son raisonnement).

Lors de notre conférence, il (et d'autres) a qualifié à plusieurs reprises la Russie et le conflit en Ukraine de spectre qui devrait hanter les libéraux pusillanimes. Si le libéralisme a pu une fois de plus tenter de surmonter ses difficultés, c'est grâce à notre engagement commun à combattre la menace que représente le rival mondial illibéral qu'est la Russie dans un avenir proche et la Chine qui se profile à l'horizon.

Nous rappelons ici une fois de plus l'appel au libéralisme "naissant" des années 1950 et 1970. Ce furent les décennies non seulement de l'État unique des États-Unis, mais aussi de la consolidation de l'Amérique comme l'une des deux superpuissances mondiales revendiquant l'hégémonie idéologique mondiale. L'Amérique a pu contenir le mécontentement politique en grande partie non seulement en raison de sa richesse, mais aussi en raison de la perception d'une menace existentielle d'un ennemi extérieur. Il s'avère que le libéralisme a prospéré lorsqu'il avait un ennemi.

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Le destin est très ironique : Fukuyama s'est fait un nom et une réputation de penseur audacieux en affirmant que la chute du mur de Berlin en 1989 était "la fin de l'histoire". L'histoire s'est terminée parce que la plus vieille énigme politique a été résolue : les événements de 1989 ont répondu à la question "quel régime est le meilleur?" par: "la démocratie libérale". Il n'y avait plus de rivaux au libéralisme. Ses rivaux, le fascisme et le communisme du 20ème siècle, ont été vaincus, et le seul régime survivant qui répondait aux besoins politiques fondamentaux de l'homme était la démocratie libérale. Bien qu'il reconnaisse qu'ils resteront des opposants distincts à cette conclusion indéniable, aucun d'entre eux ne représente une réelle menace pour la victoire du libéralisme.

Trente-trois ans plus tard, Fukuyama fonde ses espoirs pour le libéralisme sur notre reconnaissance commune d'un ennemi commun. L'espoir d'arrêter l'histoire a été de courte durée. Rétrospectivement, 1989 n'a pas été la victoire finale du libéralisme, mais une illusion de victoire. Notre désaccord actuel avec ce régime commençait déjà à se manifester lorsque la mondialisation économique et le rôle croissant du secteur financier dans l'économie ont commencé à créer un état mondial historique d'inégalité économique et que tous les indicateurs de bien-être social se sont effondrés dans tout l'Occident développé.

1989 n'était pas la fin de l'histoire, c'était le début de la fin du libéralisme.

Fukuyama n'a pas mieux prédit l'avenir en 1989 qu'il ne le fait aujourd'hui. Cependant, il sait maintenant que le libéralisme doit être soutenu par tous les moyens disponibles, et si une déformation partielle des faits est nécessaire, il s'attellera à cette tâche. Le problème est que nous ne sommes pas en 1989, et encore moins en 1950. Les années 2000 nous ont certainement montré que l'histoire n'est pas terminée. La seule chose qui a pris fin est le projet de "fin de l'histoire" de Fukuyama.

Source : postliberalorder.substack.com

samedi, 30 juillet 2022

Au-delà de la droite et de la gauche

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Au-delà de la droite et de la gauche

par Andrea Zhok

Source : Andrea Zhok & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/oltre-destra-e-si...

Le nouveau terrain politique qui nous est offert doit partir de la reconnaissance du caractère désormais obsolète et trompeur de l'opposition historique entre la droite et la gauche. Ce rejet ne doit pas être compris comme une mode à suivre, mais comme le fait que nous comprenons bien les enjeux de la fin d'une époque. La droite et la gauche ont toujours été des oppositions sans identité stable : depuis leur origine dans la Révolution française, la droite et la gauche ont eu des rôles et des incarnations très différents. Il existe des identités théoriques telles le socialisme, le communisme, le libéralisme, le traditionalisme, le conservatisme catholique, le naturalisme chrétien, etc. etc., mais il n'y a pas d'identité de "droite" ou de "gauche", sauf dans la contingence d'expressions journalistiques plus ou moins vagues.

Au cours des trente dernières années, tant les partis de droite autoproclamés que les partis de gauche autoproclamés ont contribué à alimenter et à renforcer un modèle de société libéral et mondialiste. Les deux camps ont contribué à l'adoption de stratégies qui ont liquéfié le tissu social, déraciné les individus et sapé le fonctionnement des familles et des communautés territoriales. Tous deux ont contribué aux processus de privatisation des biens et services publics sans tenir compte des intérêts stratégiques nationaux ; tous deux ont soutenu la cession de la souveraineté à des organismes supranationaux ; tous deux ont accompagné l'érosion du bien-être et ont sapé la protection du travail ; tous deux ont soutenu une modernisation cosmétique de l'enseignement public qui a provoqué son effondrement. Tous deux ont soutenu la transition progressive d'un ordre démocratique à un ordre technocratique, où la souveraineté est déléguée à des élites opaques de personnes autoproclamées "compétentes".

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Cette convergence substantielle de la gauche et de la droite, qui a été possible en raison de leurs identités, qui sont in fine intrinsèquement ténues, a été une véritable manœuvre de camouflage, une tromperie pour dissimuler leurs lignes dominantes à l'électorat. Bien sûr, tout ce qui a grandi dans l'ombre de forces qui se considéraient comme de droite ou de gauche n'est pas à rejeter, et tous les protagonistes individuels qui se sont reconnus comme tels n'étaient pas non plus de mauvaise foi. Tant à droite qu'à gauche, il a existé - bien que de manière minoritaire - des lignes critiques à l'endroit du développement du libéralisme, dont les tendances destructrices et autodestructrices ont été reconnues par les uns comme par les autres. Mais cette vigilance critique résiduelle a été dépassée par la logique du "front commun" : contre la droite sur la gauche et contre la gauche sur la droite. Malgré l'interchangeabilité substantielle des politiques, cette astuce rhétorique, cet appel à s'unir contre "l'ennemi" a fonctionné pendant des décennies, permettant à une politique sans idées ni principes, autres que les intérêts des grandes entreprises, de s'imposer sans scrupules.

Ceux qui, à gauche, se méfiaient des impératifs du marché ont fini par soutenir toutes les formes de dissolution des liens humains (familiaux, affectifs, territoriaux, communautaires, traditionnels, naturels, religieux), de manière parfaitement fonctionnelle pour produire des individus isolés à la merci du marché, pour produire des sujets fragiles, liquides, prêts à occuper des postes de rouages dans la machine mondiale.

Ceux qui, à droite, considéraient avec méfiance les processus de dissolution des liens familiaux, territoriaux, traditionnels, etc., ont cependant fini par soutenir des formes de marchandisation généralisée de la société, quand ce n'est pas carrément du darwinisme social, alimentant ainsi les formes sociales mêmes qui dévastaient ces liens qu'ils prétendaient vouloir défendre.

Dans le contexte de ce que l'on appelle "l'effondrement des idéologies", le couplage droite-gauche est donc devenu une astuce cosmétique pour maintenir en selle quelques survivants des anciennes formations idéologiques, alors qu'en fait l'idéologie globale du néolibéralisme a été imposée - déguisée en réalité ultime. Le besoin de mobilité de la main-d'œuvre sur le marché mondial a été dépeint de manière instrumentale comme de la "flexibilité", du "dynamisme", ou même invoqué au nom de l'"accueil" et de l'"hospitalité". Les exigences de fiabilité posées par le grand capital, protégé par la BCE, ont été présentées comme un européisme fier, par opposition à un nationalisme hargneux. La demande d'un capital humain illimité a été présentée comme une "libération des contraintes oppressives de la famille". La tendance libérale-capitaliste à la liquéfaction de tous les liens, qu'il s'agisse de lieux, de personnes, de cultures ou de traditions, a été présentée comme une force émancipatrice, qui permettait enfin aux individus de s'épanouir (tout en créant en fait des générations d'individus de plus en plus solitaires et désorientés).

Ce jeu a fait son temps. Si nous voulons rouvrir l'espace où un espoir politique fertile sera possible, nous devons laisser une fois pour toutes derrière nous l'opposition catégorique entre la gauche et la droite, en brisant l'inertie d'habitudes conceptuelles et verbales qui sont aujourd'hui totalement trompeuses.

lundi, 25 juillet 2022

Habermas: un exemple de démocratie utopiste et anti-démocratique

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Habermas: un exemple de démocratie utopiste et anti-démocratique

par l'équipe de Blocco Studentesco

Rédactrice: Elena

Source: https://www.bloccostudentesco.org/2022/07/14/bs-esempio-di-democrazia-utopistica-e-antidemocratica/

Il existe de nombreux types de démocraties et aucune d'entre elles ne parvient à exceller sur l'autre, aucune ne s'avère donc moins imparfaite que l'autre. L'idéal démocratique est une rengaine de l'époque contemporaine selon laquelle les gens croient qu'il s'agit du meilleur de tous les systèmes de gouvernement possibles, comme se pose l'univers leibnizien.

La démocratie aurait pour but et pour distinction d'être le système de gouvernement le plus inclusif, car elle permettrait à chaque citoyen d'avoir son mot à dire. Mais est-ce vraiment le cas ? Comme tant d'autres systèmes de gouvernement, la démocratie aussi cédera tôt ou tard la place à autre chose, mais d'ici là, nous pouvons nous réjouir de parler des nombreuses propositions avancées par les théoriciens de la morale qui sont des défenseurs de l'idéal démocratique.

Jürgen Habermas, membre allemand de l'École de Francfort, s'est engagé au 20ème siècle dans la défense de la démocratie, en particulier de la démocratie délibérative. Pour Habermas, alors que les libéraux sont trop attachés aux théories économiques et que les républicains favorisent l'émergence d'un certain communautarisme, la forme délibérative est la meilleure solution pour garantir la participation des citoyens à la vie politique.

Mais comment la démocratie délibérative fonctionne-t-elle pour Habermas ? L'idée centrale est de faire participer les citoyens dans toute la mesure du possible à la vie politique. Chaque citoyen devrait donc participer à des assemblées pour discuter des problèmes de toutes sortes dans le but d'atteindre la vérité (c'est-à-dire celle de la majorité, bien sûr, et, dès lors, quelqu'un, par suite, sera toujours exclu).

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Par l'action communicative, les interlocuteurs entrent en communication les uns avec les autres dans le but de parvenir à une compréhension (ou du moins à une compréhension mutuelle). La compréhension doit créer un consensus puis convaincre en évitant l'échec. Quel beau rêve ! Cet objectif ne peut être atteint que si tous les citoyens s'engagent à participer activement à la vie politique, à proposer et à débattre, à abroger et à promouvoir.

Comme il est clair, les acteurs sociaux de cette communauté imaginaire auront tendance à poursuivre leurs propres objectifs personnels et non le bien et la santé de la communauté, ils s'accorderont et se dissoudront donc en fonction de la réalisation de leurs objectifs. Nous ne pouvons pas supposer que la communauté entière accepte éthiquement son rôle social actif dans une assemblée, car nous oublierions alors complètement la subjectivité humaine qui porte en elle l'instinct de conservation et d'autodétermination. Ce faisant, nous démontons de fait la thèse que le but d'une délibération est le bien commun. En amont encore, nous pouvons objecter que l'on ne peut pas contraindre l'ensemble des citoyens à une participation politique par des moyens "démocratiques".

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Aujourd'hui, de nombreuses objections peuvent être soulevées à l'encontre de Habermas. L'une d'entre ces objections est certainement liée aux médias de masse, objection déjà connue de l'auteur (et manifestement ignorée dans ses démonstrations). Une personne qui apparaît fréquemment dans les médias a une influence sur les individus et cela ne peut que déplacer l'attention des masses qui ne seront donc pas entièrement elles-mêmes lorsqu'il s'agira de choisir de promouvoir ou non une proposition politique.

En substance, chers amis démocrates, du haut de votre piédestal, essayez de voir au-delà du banc de brouillard que vous avez construit en dessous. Les libertés ne sont pas des slogans.

dimanche, 24 juillet 2022

Schumpeter et les impérialismes

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Schumpeter et les impérialismes

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2022/07/09/schumpeter-och-imperialismerna/

Joseph Schumpeter (1883-1950) a été l'un des économistes les plus influents du 20ème siècle, et sa perspective est également un complément très intéressant à la fois à Marx et à von Mises. Il y a notamment une parenté évidente avec Burnham et d'autres machiavéliens dans la pensée de Schumpeter, avec une perspective qui nous dévoile plutôt une élite dynamique que statique. Schumpeter ne s'est pas seulement intéressé au rôle des élites dans la société, mais a accordé une importance considérable à la manière dont les élites conduisent les processus de changement. Par rapport à Marx, il était également bien conscient que les différences entre les personnes étaient un facteur important dans la société et l'histoire. Schumpeter a écrit, par exemple à propos des classes, que "le fondement ultime sur lequel repose le phénomène de classe consiste en des différences individuelles d'aptitude ... en ce qui concerne les fonctions que l'environnement rend "socialement nécessaires" - dans notre sens - à un moment donné ; et en ce qui concerne la direction, selon des lignes qui sont en accord avec ces fonctions. Les différences, en outre, ne concernent pas l'individu physique, mais le clan ou la famille". L'importance qu'il accorde aux éléments pré-bourgeois en Occident, ainsi qu'à l'ineptie politique de la bourgeoisie en général, a également porté ses fruits. Sans l'élément de la société et des classes que Sam Francis a qualifié de "normatif", la bourgeoisie aurait été laissée à elle-même, comme cela semble s'être produit. Les "intellectuels" et les gestionnaires ont pris la place de l'aristocratie et de l'église comme dirigeants, avec les résultats familiers d'aujourd'hui.

Un exemple intéressant de la pensée de Schumpeter est son texte sur les impérialismes dans Imperialism and Social Classes. Il y analyse le phénomène de l'"impérialisme", qu'il définit comme "la disposition sans objet d'un État à une expansion forcée illimitée". Dans le même temps, il a constaté des différences si importantes dans le temps et l'espace que le concept d'"impérialismes" était préférable. Nous ne disons pas si son modèle explicatif doit être considéré comme une réfutation du matérialisme historique ou, au contraire, comme une version plus avancée de celui-ci ; en tout cas, il s'agit d'un modèle précieux qui cristallise l'interaction entre les classes, les intérêts et les systèmes de valeurs.

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Le regard de Schumpeter sur le rôle de l'intérêt dans la société et l'histoire est crucial. Il note que l'intérêt n'englobe pas nécessairement l'ensemble de la population de l'État, tout comme l'intérêt réel derrière un acte de guerre n'est pas nécessairement exprimé en paroles ("l'intérêt qui explique réellement un acte de guerre n'a pas besoin, enfin, d'être ouvertement admis"). Ici, nous nous rapprochons apparemment de la perspective marxienne avec son intérêt pour les intérêts de classe derrière les différentes idéologies. Mais Schumpeter note que les intérêts n'expliquent que partiellement les impérialismes. Parfois, la guerre en tant que telle est l'intérêt, la fin plutôt que le moyen. "Elle valorise la conquête non pas tant en raison des avantages immédiats - avantages qui, le plus souvent, sont plus que douteux, ou qui sont négligemment rejetés avec la même fréquence - que parce qu'elle est conquête, succès, action. Ici, la théorie de l'intérêt concret dans notre sens échoue."

Les études de cas historiques, réalisées par Schumpeter, portent sur l'Égypte, la Perse, l'Assyrie et d'autres pays: elles ont souligné l'importance de la structure sociale. Lorsque l'Égypte était une société de paysans, il lui manquait une force sociale capable de mener des politiques impérialistes ; une telle force n'a existé qu'après l'expulsion des Hyksos. Il s'agissait alors d'une classe de soldats professionnels, en alliance avec la couronne. Le résultat fut une ère d'expansion impérialiste. "La couronne a ainsi réalisé une révolution sociale ; elle est devenue le pouvoir en place, avec la nouvelle aristocratie militaire et hiérarchique et, dans une mesure croissante, avec les mercenaires étrangers également. Cette nouvelle organisation sociale et politique était essentiellement une machine de guerre. Elle était motivée par des instincts et des intérêts guerriers".1024px-Persian_warriors_from_Berlin_Museum-1200x900.jpg

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Schumpeter a comparé cela à la Perse, où les valeurs guerrières existaient depuis le début. Les Perses étaient un peuple guerrier, "dans une nation guerrière, la guerre n'est jamais considérée comme une urgence interférant avec la vie privée ; mais, au contraire, cette vie et cette vocation ne se réalisent pleinement que dans la guerre. Dans une nation guerrière, la communauté sociale est une communauté de guerre. Les individus ne sont jamais absorbés par la sphère privée. Il y a toujours un excès d'énergie, qui trouve son complément naturel dans la guerre. La volonté de guerre et d'expansion violente émane directement du peuple - bien que ce terme ne soit ici pas nécessairement utilisé au sens démocratique, comme nous le verrons plus tard".

Chez les Assyriens, au contraire, le motif religieux était central, exprimé par un roi en ces termes: "le Dieu Assur, mon Seigneur, m'a ordonné de marcher... J'ai couvert de ruines les terres de Saranit et d'Ammanit... Je les ai châtiés, j'ai poursuivi leurs guerriers comme des bêtes sauvages, j'ai conquis leurs villes, j'ai emporté leurs dieux avec moi". J'ai fait des prisonniers, j'ai saisi leurs biens, j'ai abandonné leurs villes au feu, je les ai ravagées, je les ai détruites, j'en ai fait des ruines et des décombres, je leur ai imposé le joug le plus dur de mon règne ; et en leur présence, j'ai fait des offrandes de remerciement au Dieu Assur, mon Seigneur." L'Assyrie despotique se distingue ici de l'impérialisme tout aussi religieux des Arabes, où Schumpeter se concentre sur la forme de société démocratique et patriarcale des Bédouins ("leur organisation sociale avait besoin de la guerre ; sans guerres réussies, elle se serait effondrée").

51XDNRRZEWL._SX210_.jpgUn facteur important à l'origine des impérialismes réside dans "les besoins vitaux des situations qui façonnent les peuples et les classes en guerriers - s'ils veulent éviter l'extinction - et dans le fait que les dispositions psychologiques et les structures sociales acquises dans un passé lointain dans de telles situations, une fois fermement établies, ont tendance à se maintenir et à continuer à produire leurs effets longtemps après avoir perdu leur sens et leur fonction de préservation de la vie". L'une de ces classes belliqueuses était l'aristocratie française.

Schumpeter renoue ici avec le matérialisme historique en notant qu'il s'agit "de relations de production passées plutôt que présentes... d'un atavisme dans la structure sociale, dans les habitudes individuelles et psychologiques de réaction émotionnelle". En ce qui concerne l'ère capitaliste, Schumpeter a affirmé que l'atavisme représenté par les impérialismes perd progressivement ses fondements. Il y a aussi le fait que la concurrence économique absorbe la majeure partie de l'énergie psychique, laissant peu d'énergie pour la guerre ("dans un monde purement capitaliste, ce qui était autrefois de l'énergie pour la guerre devient simplement de l'énergie pour le travail de toute sorte").

Il y avait deux tendances opposées. Premièrement, l'influence des classes et des mentalités précapitalistes. Il y a un siècle, Schumpeter écrivait que "quiconque cherche à comprendre l'Europe ne doit pas oublier qu'aujourd'hui encore, sa vie, son idéologie, sa politique sont largement sous l'influence de la "substance" féodale, que si la bourgeoisie peut faire valoir ses intérêts partout, elle ne "gouverne" que dans des circonstances exceptionnelles, et alors seulement brièvement. Le bourgeois en dehors de son bureau et le professionnel du capitalisme en dehors de sa profession font piètre figure. Leur chef spirituel est un "intellectuel" sans racines, un roseau fin ouvert à toutes les impulsions et en proie à un émotivité débridée.

Les éléments "féodaux", en revanche, ont les deux pieds sur terre, même psychologiquement parlant. Leur idéologie est aussi stable que leur mode de vie". L'héritage de l'État autocratique est encore bien présent, même si "à la fin, le climat du monde moderne doit les détruire". À cela s'ajoute la possibilité de l'émergence d'un capital monopoliste ayant des connexions politiques, "un groupe social qui a un grand poids politique, un intérêt économique fort et indéniable dans des choses telles que les tarifs protecteurs, les cartels, les prix de monopole, les exportations forcées (dumping), une politique économique agressive, une politique étrangère agressive en général, et la guerre, y compris les guerres d'expansion au caractère typiquement impérialiste". De tels monopoles d'exportation contribueraient également à une tendance impérialiste. Cependant, Schumpeter a souligné les nombreuses forces compensatoires aux monopoles d'exportation. Sa conclusion était que les jours de l'impérialisme sous le capitalisme étaient comptés.

Dans ce contexte, il est intéressant d'essayer d'analyser la société actuelle, y compris les éventuelles tendances impérialistes, sur la base du modèle de Schumpeter. Nous constatons ensuite que l'élément précapitaliste s'est estompé. Francis parle de "prescriptivisme" et Moldbug d'"optimisme", mais tous deux le décrivent comme un écho presque ténu. Cependant, le capitalisme libre supposé par Schumpeter a été envahi et repris par un système managérial, ce qui a donné lieu à un hybride chimérique entre capitalisme et despotisme oriental. Aujourd'hui, ce système a clairement des tendances parasitaires et rappelle à la fois la description que fait Schumpeter des tendances impérialistes des cottages capitalistes monopolistes et sa description du contexte de l'impérialisme de Rome : "l'occupation des terres publiques et le vol des terres paysannes formaient la base d'un système de grands domaines, fonctionnant de manière extensive et avec une main-d'œuvre esclave. Dans le même temps, les paysans déplacés affluaient dans la ville et les soldats restaient sans terre - d'où la politique de guerre." Des tendances à l'impérialisme managérial peuvent ainsi être identifiées, tandis que l'absence relative d'éléments précapitalistes influence les formes de l'ensemble. Assez peu de références au nationalisme et aux guerriers, souvent des méthodes postmodernes comme les guerres par procuration et les "révolutions de couleur". Un impérialisme de "renards" plutôt que de "lions", pour paraphraser Pareto, à bien des égards une forme de société qui peut avoir du mal à faire face aux "peuples guerriers" schumpétériens et aux impérialismes plus typiques.

Dans l'ensemble, nous trouvons dans la théorie de l'impérialisme de Schumpeter un modèle fructueux de l'interaction entre l'histoire, les élites et les idées, résumée dans les mots "l'ancienne vérité que les morts gouvernent toujours les vivants".

lundi, 18 juillet 2022

Relire Roberto Michels pour comprendre la crise du parti

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Relire Roberto Michels pour comprendre la crise du parti

par Gennaro Malgieri

Source: https://www.destra.it/home/gioielli-ritrovati-rileggere-roberto-michels-per-comprendere-la-crisi-dei-partiti/

Le destin de Roberto Michels (1878-1936) est curieux. L'extraordinaire fortune de son œuvre la plus importante, Sociologie du parti politique, a comprimé tous les autres aspects de sa pensée fertile, limitant quelque peu la compréhension globale de son oeuvre. S'il est vrai que dans le domaine de la sociologie Michels a été un innovateur et un maître, il est tout aussi vrai qu'il est arrivé à cette science à travers un itinéraire politique dans lequel le "moment" syndicaliste-révolutionnaire a été décisif.

Il a donc été gravement lésé de vivo et à titre posthume lorsque son expérience syndicale a été escamotée, concluant de manière très approximative que son détachement du socialisme était typique d'un "démocrate déçu", voire d'un "antidémocrate", liquidant ainsi un travail théorique et politique qui aurait été le fondement de ses propres études sociologiques.

Partis-Politiques-Robert-Michel.jpgCarlo Curcio a eu raison d'observer que ce qui arrive normalement aux auteurs d'œuvres à grand succès est aussi arrivé à Michels, c'est-à-dire qu'il a été écrasé sous le poids de la notoriété de son œuvre la plus célèbre. Les origines de Michels, sociologue de la politique, auteur d'un "classique" tel que la Sociologie du parti politique, qui, après des années, revient à la lumière grâce à Oaks Editrice (pp.544, €38), avec une somptueuse introduction de Gennaro Sangiuliano, sont à rechercher dans son militantisme socialiste d'abord et syndical ensuite (bien que dans le second cas il s'agisse d'un militantisme entièrement intellectuel).

Ses réflexions sociologiques découlent de son observation du parti politique par excellence de l'époque, le parti socialiste, ainsi que des changements en son sein et des composantes culturelles qui le traversent. Plus qu'un "révolutionnaire", Michels était donc avant tout un analyste du mouvement ouvrier, un observateur qui, au moment opportun, ne manquait pas de faire sentir son poids de théoricien, un théoricien qui était tout ce que l'on veut sauf un théoricien détaché des événements troubles du monde socialiste.

Montrant un vif intérêt pour la "question sociale" dès son plus jeune âge, Michels a rejoint la social-démocratie à un âge précoce. Les motifs qui l'ont poussé à emprunter une voie sensiblement opposée à celle de sa famille bourgeoise étaient principalement de nature morale et s'exprimaient dans un "réformisme pratique" qui, à la suite des relations du jeune savant avec Bebel et Lagardelle, a été rapidement abandonné.

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Il y a quelques dates particulièrement significatives dans la biographie de Michels. Entre 1900 et 1901, il passe quelques mois en Italie, tombant follement amoureux du pays au point de reprendre une certaine activité politique dans les rangs du PSI. De 1902 à 1907, il a été intensivement actif au sein de la social-démocratie allemande, bien qu'à un niveau intellectuel.

De 1908 à 1913, il enseigne l'économie politique à Turin et voit paraître en 1911 le livre contenant la somme de ses considérations suscitées par son bref mais intense militantisme politique dans les rangs du socialisme: Sociologie du parti politique, qui sera publié en traduction italienne l'année suivante. Son plus grand acte d'amour pour l'Italie a lieu en 1913 : il renonce à la citoyenneté allemande et demande la citoyenneté italienne, qui, en raison du déclenchement de la guerre, ne lui sera accordée qu'en 1920.

On peut dire que dans la vie de Michels, tout s'est passé dans les quinze premières années de ce siècle. L'année "cruciale", cependant, est 1907, non seulement parce qu'il retourne en Italie pour s'y installer définitivement, mais surtout parce que son choix politique se précise, son impatience à l'égard du réformisme socialiste explose. En d'autres termes, il est devenu convaincu que la classe ouvrière n'avait que la possibilité révolutionnaire de se racheter des conditions de subalternité sociale dans lesquelles elle se trouvait.

Comme mentionné ci-dessus, Michels, dès ses premiers écrits, a accordé une attention particulière à l'observation de la composition du parti politique, comme on peut le voir dans Sociologie du parti politique. Sa description de la social-démocratie allemande dans les années 1910 reste particulièrement significative aujourd'hui en tant que représentation d'un parti politique "classique" sur le modèle duquel les partis de masse seraient bientôt "construits". Dans cette observation se profile déjà l'explication des éléments du grand théoricien sociologique que Michels à l'époque évitait d'approfondir, préférant travailler sur l'"essence" des classes antagonistes afin de préciser, peut-être inconsciemment, sa propre voie politique.

En 1908, en effet, il publie Le prolétariat et la bourgeoisie dans le mouvement socialiste italien, qui coïncide avec la rupture définitive avec le Psi et marque la "transition" vers le syndicalisme révolutionnaire. Dans cet ouvrage, Michels fait quelques timides références à la théorie qui le consacrera plus tard comme l'un des pères de la sociologie politique moderne : - "la loi d'airain des oligarchies".

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"Les partis modernes", écrit-il, "ne sont que des superstructures symptomatiques de la constitution socio-économique de notre société. Chaque classe sociale crée indépendamment sa propre représentation politique, c'est-à-dire son propre "parti". Il a ajouté dans ses études sur les tendances oligarchiques des agrégats politiques comment les partis, même les plus extrémistes des socialistes, sont destinés à se transformer rapidement en bureaucraties oligarchiques. Ceux-ci sont destinés à des confrontations sanglantes qui modifient les arrangements démocratiques.

Dans son œuvre majeure, ainsi que dans d'autres écrits, Michels s'est attardé non seulement sur le problème de la représentation politique, mais aussi sur la relation entre les masses et les dirigeants, de préférence les intellectuels. Dans la dernière partie, par exemple, de son ouvrage intitulé Le prolétariat et la bourgeoisie, il expose sa conception syndicaliste qui influencera une partie du mouvement dans ses développements nationalistes.

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Le syndicalisme révolutionnaire était configuré chez Michels comme un courant intransigeant et idéaliste au sein du mouvement socialiste dont le but aurait dû être d'élever les masses à la conscience de leur mission de classe. En d'autres termes, Michels ne croyait pas que le simple fait d'appartenir socialement au prolétariat donnait automatiquement aux masses une "conscience de classe", mais, au contraire, il pensait que la maturation politique, morale, révolutionnaire des ouvriers devait être la conséquence de l'action éducative d'une minorité de révolutionnaires professionnels.

La masse, pour Michels, n'était donc pas un élément suffisant, bien que nécessaire, pour le renouveau social. Sans l'intervention de dirigeants compétents, animés de "grandes idées", l'élite révolutionnaire en somme, la masse prolétarienne aurait été incapable de jouer un quelconque rôle.

Ces passages exsudent une aversion pour la démocratie parlementaire, le "royaume de l'incompétence", selon l'expression de Michels lui-même, et témoignent de l'influence décisive de Georges Sorel sur le jeune savant. Ce n'est pas un hasard si Michels conclut son ouvrage majeur en niant le caractère éphémère de l'immaturité de la masse : "Elle est au contraire inhérente à la nature même de la masse en tant que telle, qui est amorphe et a besoin d'une division du travail, d'une spécialisation et d'une direction, et qui, même organisée, est incapable de résoudre tous les problèmes qui l'affligent".

Michels espérait donc l'avènement d'une aristocratie révolutionnaire idéale caractérisée non seulement par des qualités "traditionnelles", mais aussi par les compétences techniques requises par la modernité. En ce sens, il justifiait et soutenait pleinement l'attitude antiparlementaire des syndicalistes révolutionnaires, "à la fois dans la mesure où ils mènent une guerre inexorable contre le groupe parlementaire du Parti, composé presque exclusivement de réformistes, et en principe, dans la mesure où ils s'efforcent énergiquement de déplacer le centre de gravité du mouvement ouvrier, qui se trouvait jusqu'à présent dans l'action principalement parlementaire du Parti, compte tenu de leurs objectifs révolutionnaires, vers la masse prolétarienne formée dans les ligues économiques. Ils souhaitent donc une action anti-Parti vigoureuse dans les limites du Parti lui-même".

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Toujours à partir de l'observation et de l'analyse du mouvement ouvrier, Michels tire sa critique du marxisme, dont il note les insuffisances dans la vision peu claire de la psychologie des masses qu'il manifeste et dans son incapacité à concevoir une véritable organisation révolutionnaire. Il reprochait surtout au marxisme son manque total d'éthique: les marxistes, disait-il, ont tenté de réduire l'homme à un concept purement "scientifique", sans même soupçonner qu'il est avant tout un produit culturel animé par un sentiment moral. Les masses et les dirigeants, a-t-il ajouté, sans un but moral à poursuivre sont destinés à succomber sous la fureur des intérêts.

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"Michels", note à cet égard le spécialiste américain de l'idéologie du fascisme, James A. Gregor, "soutenait que le marxisme classique était incapable de rendre compte du comportement humain individuel et collectif et que toute théorie insuffisante à cet égard ne pouvait être considérée comme valable à des fins explicatives et prédictives, ni servir de guide aux révolutionnaires engagés dans l'organisation révolutionnaire d'un grand nombre d'individus". Le jugement de Michels, comme celui des syndicalistes de son époque, a été influencé par les travaux d'écrivains de la stature d'un Gabriel Tarde, d'un Gustave Le Bon, d'un Scipio Sighele et même d'un Vilfredo Pareto. Tous avaient affirmé que les hommes ne pouvaient être mis en mouvement que par des appels à des intérêts "idéaux", bien différents des intérêts purement matériels. Les syndicalistes, et Michels avec eux, ont également fait valoir que toute poursuite d'intérêts purement matériels conduit nécessairement à la "division".

Un autre thème de rencontre entre Michels et les syndicalistes révolutionnaires était le sentiment national. Le savant a perçu très tôt, dès 1903, l'importance de l'esprit de groupe, de l'organisation communautaire dans le déroulement historique des affaires humaines et a tenté de concilier cela avec l'internationalisme socialiste. Ce dernier, pour affirmer sa validité, selon Michels, doit également offrir une place au sentiment de groupe exprimé par le nationalisme. Négliger le sentiment national, a-t-il souligné, c'est s'empêcher de résoudre les problèmes sociaux modernes.

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"A une époque où les socialistes avaient fait un fétiche de leur anti-nationalisme et de leur 'internationalisme prolétarien'", observe encore Gregor, Michels leur rappelle que le socialisme a en son sein une longue tradition de nationalisme. Il leur a rappelé le "socialisme patriotique" de l'infortuné Carlo Pisacane (illustration). Il leur a rappelé le patriotisme des communards. Bien que les socialistes italiens aient fait de leur renoncement au sentiment national un point politique, il les invite à se souvenir que Pisacane et les premiers révolutionnaires italiens ont toujours uni le nationalisme et le socialisme dans le sentiment des "Italiens".

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Michels a dédié au national-socialisme le volume L'imperialismo italiano, sur l'entreprise libyenne de 1911, dans lequel il défend les raisons de "l'impérialisme prolétarien de l'Italie". Comme nous l'avons déjà mentionné, bien qu'il adhère intimement aux thèmes syndicalistes révolutionnaires, l'influence politique plus immédiate de Michels sur le mouvement est rare. Il collabore activement avec les journaux du syndicalisme révolutionnaire, comme par exemple "La Lupa" de Paolo Orano, mais se tient plutôt à l'écart de l'action militante. Michels était essentiellement un observateur des développements du mouvement ouvrier et des tendances révolutionnaires du début du siècle, qu'il a su décrire et interpréter avec une grande intelligence, au point de prédire l'issue de la lutte politique qui s'est développée en Italie dans les années 1910.

Le syndicalisme révolutionnaire sera la colonne vertébrale du socialisme", écrivait-il en 1905 dans "La lotta proletaria". Il avait à moitié raison : le syndicalisme révolutionnaire était la colonne vertébrale non pas du socialisme tel qu'il était connu, mais du socialisme transformé par la conjonction par le sentiment national, c'est-à-dire le fascisme. Et que Michels était un pré-fasciste est incontestable. Toute son œuvre en témoigne, de sa convergence avec les idées de Sorel et de Mussolini à la conception du mouvement politique incarnée par le parti fasciste.

Les masses, selon la définition qu'en donnait Michels, ont trouvé dans le fascisme l'instrument qu'elles cherchaient et dans Mussolini la direction qu'elles n'avaient pas trouvée auparavant. Avec l'avènement du fascisme, la loi générale des oligarchies a été confirmée par la réalité politique. Et avec Michels, bien que dans une perspective différente, Vilfredo Pareto avait eu la même vision.

Il faut dire aussi, comme l'a observé Gennaro Sangiuliano, que même quatre-vingt-sept ans après sa mort, il n'est pas facile de cadrer immédiatement l'œuvre de Michels. "Sa vie d'homme libre du moule", observe Sangiuliano, "l'a surtout pénalisé après la Seconde Guerre mondiale, lorsque, avec une fermeture idéologique consécutive à la tragédie du conflit, il a été hâtivement marqué au fer rouge pour ses sympathies fascistes, qui existaient sans aucun doute, mais pas moins que celles de nombreux autres intellectuels. Pendant longtemps, son œuvre a été ignorée alors qu'elle reflétait une "époque historique contrastée et troublée".

Aujourd'hui, nous lisons Michels avec regret. Sa Sociologie du parti politique se lit comme un bréviaire écrit il y a plusieurs siècles : les partis ont occupé l'occupable ; ce ne sont pas des élites qui les dirigent, mais des marchands approximatifs de politique ; d'eux émane la fièvre partisane. Nous appelons tout cela sans esprit critique la démocratie, vidant et humiliant la notion même de gouvernement ou de pouvoir du peuple. À notre époque, conclut Sangiuliano, rongée par la dictature du politiquement correct, ainsi que par la culture de l'annulation, "les oligarchies prolifèrent, elles n'acceptent pas la dialectique démocratique, elles écrasent toute forme de dissidence et liquident presque comme une forme de folie quiconque pense différemment d'elles".

Cette "nouvelle dimension" de la démocratie aurait "effrayé" Michels, a observé Carlo Curcio dans un souvenir affectueux de son ami, ajoutant qu'au fond "il était un romantique". Il regrette probablement beaucoup l'époque où un parti était un club ou n'était qu'un programme soutenu par quelques fanatiques. C'était un romantique et un idéaliste. Peut-être cela déplairait-il à Michels, s'il était vivant, d'être appelé ainsi. Mais peut-être pas.

Beaucoup, beaucoup trop de choses ont changé pour qu'il soit toujours aussi optimiste. C'est vrai, Michels a toujours espéré le meilleur, cru que le meilleur viendrait. Et il croyait que son travail de sociologue, même si ce n'était qu'à petite échelle, pouvait contribuer à l'avènement d'une société meilleure, moins matérialiste, moins massifiée, plus spiritualisée. Étrange pour un sociologue qui était aussi un économiste et un spécialiste de nombreux phénomènes sociaux : Michels croyait fermement que les forces de l'esprit étaient bien plus puissantes que la "matière".

lundi, 27 juin 2022

De l'État néolibéral à l'État justicialiste

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De l'État néolibéral à l'État justicialiste

"Dans l'état de justice, la vocation à former une communauté est fondamentale. Des liens sociaux stables ne peuvent être construits avec des individus égoïstes et matérialistes", affirme l'auteur.

Aritz Recalde

Ex : https://revistazoom.com.ar

"Nous ne sortirons pas de cette crise uniquement avec des plans macroéconomiques ou en ajustant le déficit fiscal. Cela va plus profondément, éthiquement, moralement, dans le sous-sol où se construit la société visible de notre époque. Nous devons chercher une issue et trouver comment faire de la Communauté organisée une réalité".

Antonio Cafiero

Mondialisation néolibérale

"Il ne peut y avoir d'organisation économique mondiale avec l'immense pouvoir de quelques nations d'un côté et le reste du monde appauvri de l'autre".

Antonio Cafiero

La notion de mondialisation néolibérale a été formulée et diffusée par les nations occidentales anglo-saxonnes. Ses partisans prétendent qu'elle fournit l'explication à une mondialisation inévitable et qu'elle décrit un processus naturel dans le développement des relations internationales. En réalité, elle n'est pas la seule et nécessaire façon d'organiser le système mondial, mais représente les intérêts et profite aux intérêts d'un petit groupe d'États et de sociétés.

La mondialisation néolibérale impose et justifie la division internationale du sous-développement. Sa vocation d'universalité la rend totalitaire et ses détracteurs nient le droit à l'autodétermination nationale des peuples et des pays du monde. Dans son système de pensée binaire, il y a la liberté d'être néolibéral, mais la possibilité de ne pas l'être est supprimée.

La mondialisation néolibérale construit et justifie le chaos politique du monde contemporain, qui se caractérise par cinq aspects :

- Premièrement : l'existence de quelques nations riches et d'une majorité de pays pauvres et sous-développés.

- Deuxièmement, il existe des nations souveraines qui décident et planifient leurs propres projets de développement et d'autres qui obéissent à des mandats extérieurs.

- Troisièmement : à cause du développement d'un système économique international qui privatise les bénéfices pour quelques banques et sociétés financières basées dans les pays centraux, tout en socialisant les pertes pour tous les peuples du monde.

- Quatrièmement : l'existence de pays qui exportent des denrées alimentaires et, paradoxalement, produisent en même temps des millions de personnes affamées. Il y a des États qui accumulent la dette extérieure et augmentent en même temps leur dette sociale. Dans la division internationale du sous-développement, les pays faibles cèdent leurs marchés, leurs ressources naturelles et leur souveraineté aux puissances anglo-saxonnes.

- Cinquièmement, par la formation d'un ordre politique qui génère de profondes divisions au sein de chaque nation. Le néolibéralisme divise les zones géographiques en zones développées intégrées à la consommation capitaliste et en périphéries pauvres de mise au rebut social. Politiquement, elle sépare l'élite qui décide des masses qui, tout au plus, délibèrent, mais ne gouvernent jamais. Sur le plan social, la mondialisation néolibérale divise les habitants de la nation en trois grands secteurs : les exclus, les exploités et les intégrés au système.

Fondements idéologiques de la mondialisation néolibérale

"Le néolibéralisme, bien que minoritaire en tant que courant politique, tente d'installer - sous les auspices des puissants - une culture hégémonique et se présente comme la seule alternative rationnelle au progrès. Ses airs messianiques évoquent ceux du marxisme du siècle dernier. Il tente d'imposer ses croyances, ses valeurs et ses paradigmes au péronisme : il s'affirme dans les vertus supposées du marché maximum et de l'État minimum et se moque de l'autonomie nationale, de l'égalité, de l'équité et de la solidarité".

Antonio Cafiero

La mondialisation néolibérale est soutenue sur la base d'une idéologie qui est assimilée et acceptée par un secteur important de la société. Elle fait surtout consensus parmi les classes supérieures et les secteurs moyens. Les piliers idéologiques sur lesquels il repose sont les suivants :

- Matérialisme : les gens se réunissent sur la base de principes économiques et s'intègrent et se relient les uns aux autres sur la base du marché dans le seul but d'accumuler des biens.

- Individualisme : les valeurs de la communauté sont niées et la culture nationale est écartée comme étant capable de construire un principe de solidarité sociale et une unité de destin.

- Société stratifiée : les différences sociales se creusent et des classes antagonistes se forment. Les néolibéraux proposent un État de classe et donnent le pouvoir politique au secteur économiquement dominant.

- Immoralité : les personnes sont considérées comme une variable du marché et la totalité de la personne humaine est ignorée. C'est pourquoi ils proposent l'exploitation et la mise au rebut social comme moyens censés attirer les investissements. Ils n'ont aucune morale et, pour accumuler des richesses, ils sont prêts à briser tous les codes culturels et historiques et à se comporter au-delà du bien et du mal.

- Le cosmopolitisme économique : ils ne croient pas en la capacité du producteur et du travailleur national à construire et à commander un programme économique. Ils donnent au capital étranger le contrôle des principaux leviers de la production et cet acteur cesse d'être un allié pour devenir le centre du projet de développement.

- L'idéologie agro-exportatrice : ils proposent d'orienter toute l'activité productive vers le commerce extérieur. Le marché intérieur et la recherche de la qualité de vie des personnes disparaissent comme objectifs de développement. Le secteur de l'exportation devient la fin de toute programmation économique et cesse d'être un moyen pour le progrès intégral du pays.

L'état justicialiste

"El fin proper de la societat civil no consiste no solament en garantir el respect als llibertats individuals i als drets de cada cada tots, i assegurar el bé material : hauria també de procurar el bé verdaderamente human de la societat, que és de orden moral".

Jaques Maritain

"La loi a une fonction morale : elle est l'éducatrice des hommes dans la science d'être libre ; et les devoirs qu'elle impose, quand elle est juste, lient la conscience. Une prescription injuste n'est pas formellement une loi ; c'est pourquoi il est permis d'y résister".

Jaques Maritain

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Dans le cadre de certains de ses cours en 1989, le penseur et homme politique de Buenos Aires, Antonio Cafiero (photo), a mentionné que "les libéraux parlent de l'État de droit, nous parlons de l'État de justice (l'Etat justicialiste). Les libéraux parlent des Droits du Citoyen, nous parlons des Droits de l'Homme, qui est plus qu'un citoyen : l'homme est une personne qui génère une famille, un travail, des professions, une vie de quartier, une vie de voisinage, des partis politiques et une multitude d'actions sociales. Les libéraux croient à la magie du marché libre, nous ne croyons pas à la main invisible et nous ne croyons pas non plus à la main de fer qui étouffe toute initiative et dirige toute activité; nous croyons plutôt à ce que Perón appelait la "main directrice", c'est-à-dire la planification concertée".

Selon Cafiero, l'état justicialiste comprend l'état de droit, mais va bien au-delà en proposant l'organisation d'un gouvernement et d'une communauté dont le but est la dignité, la justice et la liberté humaine. L'État justicialiste contient une éthique nationale, un humanisme social et une volonté politique de réalisation historique.

Dans la vision doctrinale du penseur de Buenos Aires, la démocratie ne peut être subsumée à l'application d'un régime politique formel ou simplement procédural. En effet, pour Cafiero, la démocratie doit être consolidée comme la volonté d'un peuple à réaliser dans une période historique. L'activité politique ne se réduit pas aux questions juridiques institutionnelles, mais inclut les "droits sociaux, économiques, culturels et même spirituels" d'un peuple.

Dans l'état justicialiste, la vocation à former une communauté est fondamentale. Des liens sociaux stables ne peuvent être construits avec des individus égoïstes et matérialistes. Cafiero a souligné que "les peuples n'avancent pas dans l'histoire derrière les objectifs de la consommation, mais guidés par des passions élevées". L'égoïsme du marché n'est pas un facteur d'agglutination sociale; cette place est prise par les valeurs transmises par la culture et par l'héritage historique d'un peuple.

La communauté ne naît pas d'un contrat ou d'un simple pacte juridique et rationnel, mais implique l'unité morale et affective de la communauté. La nation est une unité politique et émotionnelle de destin et non une accumulation grégaire d'individus capitalistes.

L'ordre international

Cafiero considère que l'immense inégalité entre les nations est un facteur de déstabilisation de l'ordre mondial. Il a également remis en question le colonialisme, l'interventionnisme et les diverses violations de la souveraineté exercées par les organisations, les puissances et les sociétés internationales.

Selon lui, les communautés doivent revendiquer le droit inaliénable à l'autodétermination politique, économique et culturelle face à la mondialisation néolibérale. En 2006, il a préconisé de forger un "nationalisme compétitif" qui "défend l'identité de nos nations et fait valoir que la mondialisation ne doit pas progresser en ignorant les patries. Il défend la propriété nationale des ressources naturelles. Cela encourage la participation des entreprises nationales. Cela encourage la fierté nationale.

La sphère nationale serait la base de la construction de la souveraineté régionale et de la "citoyenneté latino-américaine progressive".

L'individu et la communauté

"La communauté à laquelle nous devrions aspirer est celle où la liberté et la responsabilité sont à la fois la cause et l'effet d'une joie d'être fondée sur sa propre dignité, où l'individu a quelque chose à offrir au bien général et pas seulement sa présence muette".

Antonio Cafiero

Cafiero estime qu'il est essentiel de promouvoir l'autonomie de l'individu en tant que personne et critique les États communistes, car dans le "système collectiviste, il n'y a pas de liberté, et l'État absorbe progressivement toutes les fonctions, insécurisant l'individu". Selon lui, l'intégrité de l'individu et la reconnaissance de la juste valeur du travail doivent être garanties.

D'autre part, il considérait que la liberté individuelle devait être comprise en fonction de sa fonction sociale. Les gens devaient agir sur la base des valeurs de solidarité et de patriotisme. L'individu devait assumer la mission d'accompagner les objectifs collectifs du peuple et de la nation. En 1989, Cafiero souligne que "nous remplacerons l'égoïste parfait par la personnalité communautaire transcendante, nous voulons l'homme qui aspire à un destin supérieur".

La propriété privée et l'État social

Pour construire l'État de justice (justicialiste), il faut refonder l'État libéral. La fonction du gouvernement ne peut pas être uniquement de garantir ou d'imposer l'égoïsme d'une classe sociale. Selon Cafiero, l'État doit fixer les orientations et les objectifs politiques visant à réaliser les droits de la communauté. Selon lui, "le bien commun est le but et la raison d'être de tous les actes de gouvernement".

D_NQ_NP_634003-MLA48924283844_012022-V.jpgCafiero a souligné qu'il n'y a pas d'ordre économique viable sans "respect de l'économie nationale en tant qu'unité nationale". Dans ce cadre, l'État doit contribuer à la réalisation de l'indépendance économique, qui est le fondement de la souveraineté politique nationale. En 1952, il mentionne que dans le justicialisme, "la richesse est considérée comme un bien individuel qui doit remplir une fonction sociale". Personne n'a de droits absolus sur les richesses de la terre : ni l'homme ni la société".

Selon le penseur de Buenos Aires, l'État a la tâche incontournable d'être le garant de la justice distributive et de la dignité humaine. Il a souligné que "la solution aux graves problèmes de la marginalité et de la pauvreté ne peut être laissée aux lois du marché ou à l'aide sociale. Elle appelle à une politique commune de l'État et des libres organisations du peuple".

La volonté politique pour la réalisation de l'histoire

"Le péronisme n'est pas une étape dans la marche vers le socialisme démocratique ou marxiste, il n'est pas né pour éviter le communisme, il ne peut pas non plus être confondu avec le radicalisme (...) le nôtre est un projet spécifique et original".

Antonio Cafiero

Tout au long de sa remarquable carrière au sein du parti, Cafiero a réfléchi sur l'origine, l'histoire et l'avenir du justicialisme, auquel il attribuait un protagonisme politique indélébile. En 1984, il a déclaré que "le péronisme ne sera pas absorbé par d'autres mouvements tant qu'il continuera à exprimer une façon de penser et de sentir l'Argentine qui lui est propre et qui n'est pas transférable".

Selon lui, le péronisme ne peut être caractérisé comme un simple mécanisme électoral, ni comme un système de gestion des problèmes sociaux.

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Selon lui, le justicialisme est une organisation et une doctrine humaniste en mouvement derrière une mission transcendante. Le péronisme contient et émane une doctrine d'"affiliation socio-chrétienne" qui "est au Mouvement ce que l'âme est au corps". C'est pourquoi ses militants doivent être convaincus de la valeur de leur cause et, comme le soutient Cafiero, "on ne peut pas se battre sans vérités".

Le justicialisme, selon Cafiero, est une tradition historique faite de volonté politique, c'est une réalité culturelle en développement et un Mouvement de réalisations économiques et sociales.

Le péronisme est une cause nationale et démocratique de réparation sociale et contient une aspiration à la justice qui cherche à libérer le pays et à rendre sa dignité à l'homme argentin dans une communauté organisée.

Cafiero soutient que "le péronisme n'est pas né pour les petites tâches ; il est en politique pour les grandes causes". Le justicialisme est un projet de développement intégral, une émotion en mouvement, une pensée qui se renouvelle, une mystique de la grandeur nationale et une foi populaire dans la capacité du triomphe de la cause.

mardi, 21 juin 2022

Notes pour un syndicalisme de solidarité

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Notes pour un syndicalisme de solidarité

Juan José Coca

Source: https://posmodernia.com/apuntes-para-un-sindicalismo-solidario/

ORIGINES DU SYNDICALISME ET PERSPECTIVE GLOBALE DU CAPITALISME

Les premières organisations syndicales remontent au 19ème siècle, et leur naissance apparaît comme la prise de conscience personnelle de ceux qui sont engagés dans un secteur social et qui entrevoient la nature sous-humaine de salarié qu'on leur impose: ils réagissent dès lors aux conditions de travail créées par le capitalisme. Ils se sont constitués comme des organes de défense des travailleurs contre les intérêts des employeurs. Avec la révolution industrielle et le processus de prolétarisation, les organisations se sont consolidées et sont devenues des organisations de masse et certaines idéologies les ont utilisées comme instruments politiques et comme organes de lutte à leur service. Cette circonstance impliquait que les syndicats étaient désormais liés au concept de la lutte des classes. Cependant, après l'encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII, les syndicats catholiques ont opté pour un modèle de syndicalisme basé sur la collaboration entre employeurs et travailleurs, loin du "dogme" de la lutte des classes.

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Avec l'apparition du "Contrat social" et du "Discours sur l'origine de l'inégalité" de Jean-Jacques Rousseau, de "La richesse des nations" et de la "Théorie des sentiments moraux" d'Adam Smith, le libéralisme politique et le capitalisme économique sont nés: tout doit être soumis à la volonté du peuple, il n'y a pas de vérités absolues et la main invisible doit être celle qui régule le marché.

Le libéralisme et le capitalisme économique ont toujours fait bon ménage. Le capitalisme et le libéralisme économique sont nés ensemble mais ce sont des choses différentes:

- Le capitalisme est la suprématie du capital. Placer le capital au centre des processus de production, en lui donnant le droit exclusif de propriété des moyens de production.

- Et le libéralisme économique, c'est la main invisible, c'est laisser les ressources être allouées de manière plus ou moins spontanée, en pensant que cela produira le plus grand bien pour le plus grand nombre de personnes.

Le sens juste de la naissance du socialisme

Un siècle plus tard, Marx ne formule pas une seule explication de la crise économique capitaliste mais trois: la crise économique associée à l'augmentation de la composition organique du capital, la crise dérivée de la concentration du capital et de la prolétarisation progressive de la société et, enfin, la crise de surproduction. Cela donnerait un sens juste à la naissance du socialisme.

Selon la théorie marxiste, le taux de profit dans le temps tend inévitablement à sa réduction par une augmentation de la composition organique du capital, qui est symbolisée par le rapport entre le capital fixe et le capital variable.

Le taux de profit étant la rentabilité marginale du capital. C'est-à-dire le bénéfice nécessaire pour que le capital soit réinvesti et que le système économique continue à fonctionner. Le capital fixe est ce que nous comprenons comme étant le capital et le capital variable serait la main-d'œuvre.

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Comme le capitalisme tend vers la substitution du travail par le capital et l'accumulation de la propriété entre quelques mains, cela implique que le taux de profit diminue inévitablement, augmentant ainsi le taux d'exploitation.

Et qu'est-ce que le taux d'exploitation ? Le taux d'exploitation est directement lié à la plus-value ou à la valeur ajoutée, qui, dans un système capitaliste, va dans les mains du capitaliste ou de l'entrepreneur au détriment de la classe ouvrière.

La défense de la propriété privée

La correction du système devrait concentrer la plus-value de la production dans une forme de propriété à laquelle participent les travailleurs d'une entreprise, le syndicat étant une opportunité avec sa propre force économique qui procurerait le crédit nécessaire pour produire, sans avoir besoin de le louer aux banques.

Toutefois, contrairement à l'exposé marxiste, il convient de faire une distinction entre la propriété privée et le capitalisme. La propriété privée est la projection de l'homme sur ses choses. Il s'agit d'un attribut essentiellement humain. Nous sommes propriétaires de notre travail et, de cette manière, nous nous projetons sur la nature et la transformons. Le capitalisme est la destruction de ce droit que nous avons tous de posséder notre travail et les fruits de celui-ci.

Nous ne devons pas seulement faire la distinction entre la propriété privée et le capitalisme, car il s'agit de deux concepts antagonistes. Le capitalisme est la destruction de la propriété privée parce que le capitalisme tend à concentrer la propriété des moyens de production entre les mains de quelques-uns, et surtout parce qu'il institue le régime du salariat.

Sous le capitalisme, l'employeur ne se contente pas d'acheter le fruit du travail mais achète le travail lui-même. Le salaire est le prix du travail. Le travail est un attribut essentiellement humain et le salaire, en fin de compte, est un montant que l'on reçoit et constitue un moyen de déshumanisation.

Dans la Rome antique, le salarié était considéré au même niveau que l'esclave, car d'une certaine manière, il était entendu qu'il se vendait lui-même. La doctrine sociale de l'Église nous dicte d'essayer de faire en sorte que chaque personne soit propriétaire de son travail comme moyen d'épanouissement personnel, non seulement d'un point de vue économique pour obtenir un moyen de subsistance, mais aussi pour pouvoir maintenir la relation entre l'homme et ses choses, la nature qui l'entoure et son environnement.

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Tout au long de l'histoire, il y a eu des modèles qui ont tenté d'harmoniser le capital et le travail, de maintenir les relations de production telles qu'elles sont produites dans le système capitaliste, mais en essayant de les tempérer, de rechercher un équilibre, de faire disparaître la lutte sociale. Actuellement, un modèle syndical qui n'aspire qu'à cela ne pourra pas faire face aux bases ou aux piliers de l'avenir. Harmoniser le capital et le travail est un mélange d'huile et d'eau. Il s'agit de biens de nature totalement différente et l'harmonisation est impossible. Le fascisme s'y est essayé et n'a pas manqué de devenir une sorte de capitalisme retardé qui a cherché à tempérer ses abus sociaux mais sans altérer l'essence du système.

Guy-Standing-250x250.jpgLe travailleur, en échange d'un salaire fixe, cesse d'être propriétaire du fruit de son effort, il renonce à lui-même car en renonçant à son travail, il refuse une partie de son humanité. Dans le présent, pour reprendre les termes de Bauman, le conflit n'est plus entre les classes sociales, mais entre chacun et la société. "Les grands changements dans l'histoire ne sont jamais venus des pauvres miséreux, mais de la frustration de personnes ayant de grandes attentes qui ne sont jamais venues". Guy Standing (photo), professeur à l'Université de Londres, associe les mots "précaire" et "prolétaire" pour expliquer la création de ce nouveau collectif en déclarant ce qui suit :

"Le précariat a des relations de production ou des relations de travail différentes. Contrairement à ce qui se passe dans le prolétariat, le précariat a un emploi précaire, instable, passant rapidement d'un emploi à l'autre, souvent avec des contrats incomplets ou contraint à des emplois négociés et négociables par des agences".

L'homme au centre des considérations économiques et sociales

Le capitalisme de la révolution industrielle qui a son point de référence iconographique dans la ville hautement industrialisée de Manchester au XIXe siècle n'a pas grand-chose à voir avec les économies mixtes d'aujourd'hui dans lesquelles le secteur public gère entre 35 et 50 % de la richesse nationale.

Il est possible que les corrections capitalistes actuelles de l'État-providence trouvent leur origine dans l'école d'économie historiciste allemande, représentée par le leader de sa "jeune" génération, Gustav von Schmoller (photo).

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Schmoller a soutenu que l'économie et la politique "devaient être fondées sur une science morale de l'économie elle-même. C'est pourquoi son approche doit également être qualifiée de réaliste et d'éthique. Il a particulièrement insisté sur la composante éthique de l'économie, qu'il entendait orienter dans une certaine direction, afin de placer les personnes au centre des considérations économiques et sociales, par opposition aux biens. Il s'agissait de souligner le rôle de l'État en tant qu'entité politique suprême et en tant qu'organe éthique le plus important pour l'éducation de l'humanité. C'est la principale matrice du réformisme dans les domaines interdépendants de l'économie et de la politique sociale. Dans la mesure où la question sociale devient une question politique, de nouvelles formes d'organisation sociale et un nouveau rôle de l'État dans la société sont nécessaires".

D'autres apports théoriques ont permis de corriger les effets du capitalisme: la publication en février 1936 de la "Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie" de J. M. Keynes, les réformes économiques du chancelier Bismarck, l'influence de la Doctrine sociale de l'Église, les demandes de soins économiques formulées par la génération qui subit les conséquences des guerres mondiales, etc.

Cependant, toutes ces théories ne criminalisent pas le marché en tant que lieu d'échange des produits des processus de production. Ils harmonisent plutôt, selon le principe de subsidiarité, le marché avec l'État, en plaçant l'homme au centre de l'action économique. Il s'agit d'une contribution intéressante qui reflète le sociédalisme de l'Asturien Vázquez de Mella (photo).

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Le concept de sociédalisme est exprimé dans notre essai, ici, parce qu'il servira de source d'inspiration pour la solidarité syndicale lorsqu'il s'agira d'énumérer les bases essentielles qui devraient régir un syndicalisme total imprégné du principe de subsidiarité de ses membres.

En soustrayant une grande partie des décisions économiques au marché, décisions prises en dehors du principe du profit maximum, le système capitaliste a pu survivre. Cependant, malgré le soi-disant "État-providence" dans lequel opèrent les économies du premier monde, de nombreux maux essentiels du capitalisme continuent de faire surface. Les scénarios d'exploitation se sont diversifiés :

    - La surexploitation des ressources naturelles.

    - L'hyper-promotion de la société de consommation.

    - Symétrie de la répartition des revenus dans les sociétés développées, qui s'accentue en période de récession.

    - La division du monde en zones d'exploités et d'exploiteurs... Nous voyons comment (selon les données de l'ONU) l'écart entre les pays développés et les pays sous-développés s'accroît.

    - Prolétarisation de la société avec la disparition progressive des classes moyennes suite au harcèlement des entreprises par des Etats qui dilapident les ressources mixtes à des fins idéologiques/politiques plutôt que sociales.

    - La pression du turbo-capitalisme, enfant de la mondialisation, pour améliorer ses comptes de profits et pertes impersonnels par l'homogénéisation des goûts culturels des consommateurs ?

    - Des modèles néolibéraux qui menacent les États-nations, tendant à la privatisation des secteurs stratégiques nationaux. Ainsi, les États perdent leur indépendance et leur souveraineté économique dans la gestion autonome de leurs ressources essentielles.

    - Etc....

Multinationales, village global et sociétés ouvertes

Le matérialisme historique s'est emparé de tout, le marxisme conjugue ses abus avec les excès du capitalisme, le chômage reste un phénomène massif qui, malgré l'État providence et toutes les mesures de protection sociale qui ont été créées, est lié aux inégalités existantes, à la pauvreté et à la terrible division du monde en zones d'exploitation.

Et aujourd'hui, l'ingénierie sociale des lobbies néo-capitalistes est le plus grand ennemi des conquêtes sociales de l'Occident, de ses économies mixtes et finalement de l'État-providence. A cette fin, ils tentent d'opérer une idéologisation vers un concept de village global et plus spécifiquement vers celui de la société ouverte.

La société ouverte prônée par le néocapitalisme n'est pas celle théorisée par Karl Popper, soit une société qui défend la démocratie et l'esprit critique... La société d'aujourd'hui doit être comprise comme amorphe, dépourvue de traditions, d'identité. Avec des individus déracinés de leur histoire et de toute religion, attendant l'arrivée d'une utopie définitive : la mise en place de l'État global et du Nouvel Ordre Mondial sous des prémisses absolument néolibérales. Et pas tant pour que le système financier et les nouvelles méga-corporations puissent gagner encore plus d'argent, ce qui est possible, mais pour mettre en œuvre un nouveau modèle social et rien de moins qu'une nouvelle façon de comprendre les êtres humains et le monde.

Comme stratégie pour atteindre leurs objectifs, il est nécessaire d'éliminer les structures de base de la résistance telles que l'État-nation, les identités culturelles des peuples, le sens spirituel de la vie, la famille en tant que cellule de base de la coexistence sociale, et d'entraîner les syndicats supposés de classe à suivre les diktats idéologiques homogénéisants. Il ne s'agit plus seulement de protéger la démocratie contre la dictature, l'homme contre l'individu, la tolérance contre l'intolérance. À notre époque, la bataille se déroule à un niveau beaucoup plus profond ; le plus grand ennemi de l'État-providence et du système de protection sociale se trouve aujourd'hui dans l'idéologisation/homogénéisation et dans le détournement de l'argent destiné à la protection sociale des familles vers des structures de propagande ancrées dans les ceintures des administrations publiques qu'elles contrôlent.

Les processus de délocalisation, un euphémisme amusant s'il ne cachait pas la souffrance et la misère humaine, ont conduit le monde à une surproduction de matériaux et de biens dans des pays où les droits sociaux des travailleurs sont très éloignés des conquêtes occidentales. Des pays où les coûts de la main-d'œuvre sont ridicules, parviennent à produire et à inonder tout l'Occident de ces marchandises, annulant leur compétitivité productive et générant du chômage ou débouchant sur la très mauvaise situation des salaires inférieurs.

Un autre élément dystopique de l'approche néocapitaliste, et qui menace les États-providence, se situe dans sa détermination suicidaire à encourager l'immigration vers l'Europe, en la subventionnant, et en contrôlant ainsi les systèmes d'immigration à partir de la gouvernance mondiale. Pendant ce temps, les conséquences sont payées par les gens habituels, les migrants qui s'exposent à la mort à la recherche d'un avenir meilleur, et les travailleurs espagnols avec le frein à la productivité comme conséquence des changements de salaire à la baisse. Dans la logique néolibérale, dans un système de libre-échange, les salaires ont tendance à baisser uniformément dans tous les pays et l'effet est une diminution de la demande et une tendance à la surproduction maintenue dans le temps.

UNE PROPOSITION POUR L'ACTION SYNDICALE EN ESPAGNE

Nous avons précédemment analysé les origines du syndicalisme en tant que réponse aux abus du capitalisme. Nous avons examiné le sens légitime de la naissance du marxisme en tant que réponse au libéralisme politique et au capitalisme de Jean-Jacques Rousseau et d'Adam Smith. Nous nous sommes concentrés sur les trois prédictions marxistes de l'effondrement du capitalisme et nous sommes passés à l'évolution du capitalisme aujourd'hui. Les corrections apportées au capitalisme au fil du temps ont permis d'assurer sa survie sous la forme d'États-providence à économie mixte dans lesquels le secteur public gère entre 35 et 50 % de la richesse nationale. Cependant, les États-providence actuels sont menacés par une nouvelle forme d'expression capitaliste: un système financier et de nouvelles méga-corporations qui tentent de mettre en œuvre un nouveau modèle social déraciné des structures fondamentales de résistance telles que l'État-nation, les identités culturelles des peuples, le sens spirituel de la vie, la famille en tant que cellule de base de la coexistence sociale... ce qui nous conduit à l'homogénéisation de la société mondiale afin d'augmenter ses comptes de profits et pertes et de faire reculer les droits sociaux obtenus par les travailleurs au cours des derniers siècles.

En Espagne, aux maux mondiaux du capitalisme s'ajoutent les maux politiques que le régime de 78 a incorporés dans notre nation, entraînant une perte globale du pouvoir d'achat, la prolétarisation de la société et la réduction des salaires et des droits sociaux.

Face à cette circonstance, il est nécessaire d'articuler une réponse citoyenne qui protège les fonctionnaires, les travailleurs, les indépendants et les PME à un niveau structurel. Une réponse articulée par l'action syndicale et éloignée des paramètres idéologiques des syndicats traditionnels et de leurs pratiques corrompues.

Espagne : Concentration du capital et pillage des impôts : Le tombeau des indépendants et des PME

En Espagne, 99,98 % des entreprises sont des PME et créent 74 % des emplois du pays, ce qui fait de l'économie espagnole l'une des plus dépendantes des PME en Europe.

Cette réalité est attaquée sur deux fronts: au niveau international par les Trusts, les méga-corporations, les multinationales et les fonds d'investissement, et au niveau local par l'Etat et les différentes administrations publiques à travers les taxes et les obstacles administratifs.

Les grandes entreprises internationales se développent et absorbent en même temps les petits capitaux, les petites industries, les petits commerçants. Le capitalisme de la mondialisation est le grand ennemi du travailleur et du petit capital, car il absorbe et annihile les sources de production. Le processus transforme les hommes, les travailleurs, la classe moyenne de plus en plus réduite, en individus et en prolétaires, soit directement, en les éloignant des moyens de production, soit par le biais du phénomène du précariat.

D'autre part, l'Espagne souffre d'une superstructure administrative qui est le résultat d'un système autonome et d'une administration parallèle qui insiste pour maintenir les travailleurs, les indépendants et les PME au détriment des impôts. Une superstructure qui sape le principe fondamental de justice face à un corps héroïque de fonctionnaires qui ont dû préparer et réussir un concours pour accéder à leur emploi.

La conséquence de ces deux offensives est que la richesse fuit des mains des classes moyennes, qui subissent un processus de prolétarisation.

Espagne : Le secteur primaire a toujours été négligé

L'Espagne doit exiger que l'UE change de cap dans sa politique de dérégulation des marchés et de libéralisation des échanges, et mette en place des mécanismes efficaces pour stabiliser les marchés agricoles et garantir aux agriculteurs des prix qui couvrent leurs coûts de production.

La mise en œuvre des accords de libre-échange (TTIP, CETA, Australie et Nouvelle-Zélande, Japon, etc.) a de graves répercussions sur notre agriculture et notre alimentation. Dans tous ces cas, le modèle d'agriculture familiale durable, de petite et moyenne taille, majoritaire en Europe, est mis en danger, au profit des intérêts du modèle industriel de distribution. Il est urgent de les réviser et, dans certains cas, de les paralyser, car ils affectent directement les cadres réglementaires relatifs à la sécurité alimentaire, aux réglementations environnementales, aux désignations de qualité et à la volatilité des prix.

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Il est essentiel de mettre en place des mécanismes publics pour lutter contre la concurrence déloyale des importations de produits agricoles et alimentaires qui ne respectent pas les normes de production espagnoles en matière de sécurité alimentaire, de bien-être animal et d'environnement, ainsi que pour prévenir les pratiques abusives et déloyales (vente à perte, enchères aveugles, etc.).

La Nation comme concept de solidarité et de subsidiarité

"Seuls les riches peuvent se permettre le luxe de ne pas avoir de nation". Tant le capitalisme que le socialisme génèrent la désunion des peuples et des individus. L'individualisme sépare les personnes de leur environnement. La Nation, comprise comme communauté, comme Patrie, devient l'espace de solidarité dans la perspective de la subsidiarité de l'Etat.

Dans la vision du monde communautaire, indépendamment du fait que cette position sociologique comprend qu'il ne faut pas dépendre d'instruments monopolisant la communauté tels que les États, il existe trois concepts entrelacés qui favorisent un sens harmonieux du concept de Patrie : le principe de la hiérarchie des valeurs, le principe de la construction sociale de la valeur et le principe de la certification a posteriori.

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La reconnaissance du principe de la hiérarchie des valeurs, selon le professeur José Pérez Adán (photo), "s'exprime lorsque nous affirmons que la vie est plus importante que la propriété et nous mettons en garde contre le danger de donner à la propriété plus de valeur qu'à la vie, car cela revient à asservir certains êtres humains au caprice d'autres personnes". Cela nous permet d'établir des critères de hiérarchie dans les valeurs fondamentales, les valeurs elles-mêmes n'étant pas importantes, mais le principe hiérarchique. La préséance des valeurs est obtenue par des accords minimaux. La diversité dans l'unité, la pluralité sauvant les accords de base sur la préséance des valeurs.

Par conséquent, si nous parlons du concept de patrie du point de vue d'Ortega : la patrie comme construction intergénérationnelle de l'avenir, d'une mission historique reconnue par des tiers... La patrie comme contribution intercommunautaire, voire internationale (nations hispano-américaines dans leur ensemble, ou nations européennes dans leur ensemble), nous parlons de diversité dans l'unité, de pluralité avec un accord vers l'unité, vers la mission, vers l'avenir...

Afin de construire socialement la valeur de la patrie, nous devons garder à l'esprit que l'identité collective transmise par la culture est différente de l'identité individuelle, et qu'elle est constituée de nombreuses facettes qui nous sont données. L'histoire n'est pas seulement construite par des individus mais par des collectifs et des groupes humains. Contrairement au relativisme, le communautarisme affirme le contextualisme. Les valeurs sont façonnées socialement par les relations sociales au fil du temps.

Lorsque nous défendons notre concept de patriotisme à partir du principe de la communauté plurielle, il n'est pas synonyme de nationalisme. Le nationalisme est la négation de la communauté, l'élimination de toutes les communautés sauf une, parce qu'elle comprend de manière chauvine qu'elle est au-dessus de toutes les autres.

La certification de l'existence de la patrie est un contraste empirique résultant de la transmission des valeurs dans les relations sociales, de la confirmation de la communauté des communautés dans un accord vers l'unité, et de la coopération et de l'entraide comme éléments de progrès et de bonheur collectif. Un dialogue intergénérationnel vers la construction de l'avenir, une entente entre les communautés en tant que groupes primaires dans la construction d'une communauté de communautés basée sur la subsidiarité entre elles, sur la solidarité émanant de la communion dans l'identité collective par opposition à l'individualisme et réaffirmant le concept de Patrie.

Principes de base pour un syndicalisme solidaire. Une proposition pour l'action syndicale en Espagne

Un changement de tendance est nécessaire dans l'action syndicale pour assurer la défense des droits des travailleurs dans notre Nation, une nouvelle philosophie organisationnelle est nécessaire pour représenter les besoins réels de tous les agents du travail impliqués et pour garantir la paix et la cohésion sociale tout en respectant la légalité. À cette fin, nous proposons les bases suivantes comme principes devant inspirer un syndicat total et uni :

1.- L'homme comme centre des considérations économiques et sociales, par opposition aux marchandises. Dans toute action syndicale, la composante humaine doit primer sur les considérations matérielles, afin de faire prévaloir un facteur éthique de l'économie dans les relations de travail.

2.- L'action syndicale doit suivre une voie transversale éloignée des idéologies matérialistes et individualistes. Le socialisme et le libéralisme sont les deux faces d'une même pièce. Un syndicat solidaire doit fuir la désunion qui accompagne le dogme de la lutte des classes et l'individualisme consumériste qui voit l'autre comme un bien de consommation, comme une satisfaction du moi.

3.- Un syndicalisme total doit aspirer à l'excellence dans sa défense des services publics essentiels, et en même temps protéger la propriété privée comme projection de l'homme sur ses choses. Un syndicalisme de solidarité qui est du côté de la propriété privée face à la déshumanisation des multinationales capitalistes qui tendent à concentrer la propriété des moyens de production dans les mains de quelques-uns.

4.- La défense des intérêts des indépendants et des petites et moyennes entreprises contre la dictature de l'administration publique doit être l'un des piliers essentiels de l'action syndicale. La demande d'élimination des obstacles bureaucratiques et la baisse des impôts comme source de création d'emplois, une des constantes essentielles de son action publique.

5.- Le syndicat doit être compris comme une communauté de solidarité entre égaux. Une mutualité constituée selon les principes de subsidiarité et d'entraide entre ses membres. Un instrument au service des intérêts légaux en droits de ses membres et de la gestion de prestations importantes en cas d'aléas professionnels, d'invalidité temporaire ou de cessation d'activité de ses membres.

6.- Le syndicat comme instrument de capitalisation qui oriente la plus-value de la production vers une forme de propriété à laquelle participent les travailleurs d'une entreprise. Encouragement de la promotion des coopératives de crédit syndical face à la spéculation bancaire et comme forme d'actionnariat salarié dans les entreprises.

Le syndicat est une opportunité avec sa propre force économique qui devrait fournir le crédit nécessaire à la production, sans avoir besoin de le louer aux banques.

7.- Demande d'un système mixte de négociations : collectives dans les secteurs productifs stratégiques et négociations individuelles avec les indépendants et les PME. Promotion de la représentation syndicale, en tant qu'arbitre, dans les négociations individuelles. Le syndicat en tant qu'observateur neutre entre les indépendants et les salariés.

8.- La revendication de la rémunération des bénéfices comme forme d'accès à la plus-value dans toutes les négociations collectives et individuelles où son existence est avérée. Lutte contre la précarité comme nouvelle forme d'exploitation du travail.

9.- Défense de la suppression des subventions publiques aux organisations patronales et syndicales. Financement propre du syndicat, renoncement aux subventions publiques.

10.- Lutter contre le modèle syndical espagnol car il est dépassé, archaïque et terriblement pernicieux. Il est devenu un instrument de corruption et de fraude au profit de quelques-uns, aux dépens de l'argent de tous les contribuables. Il s'agit d'une stratégie conçue au niveau organisationnel pour se financer de manière irrégulière, en tant qu'usines de placement idéologique dans les administrations publiques, en contournant tous les contrôles et garanties prévus par la loi afin d'éviter d'éventuelles actions illicites.

11.- Exiger une réduction drastique des dépenses publiques pour des positions et des organes idéologiques et redondants. Élimination des institutions dont le but est de créer des structures parallèles de l'État. Des ressources devraient être allouées pour aligner les salaires des fonctionnaires travaillant dans les services sociaux de l'État sur les moyennes européennes.

12.- Défense du modèle public dans les secteurs stratégiques nationaux.

13.- Défense des soins de santé publics et de qualité. La fin des réductions de salaire pour les travailleurs de la santé. Réclamer des augmentations de salaire à hauteur de la moyenne européenne.

14.- Défense de l'égalisation salariale réelle entre le Corps de la Police Nationale, la Garde Civile et les forces de police autonomes.

15.- Défense d'une loi unique sur la carrière militaire qui évite le manque de protection des soldats et des sous-officiers à partir de 45 ans. Les militaires et les marins ont les mêmes droits que le reste des citoyens et ne peuvent être soumis à vie à la précarité.

 16.- Les agriculteurs garantissent un approvisionnement stable en nourriture, produite de manière durable et à des prix abordables, à plus de 46 millions d'Espagnols. Le syndicat doit être un instrument au service de la production de la campagne espagnole et de ses travailleurs. Augmenter la compétitivité du secteur, améliorer et renforcer les assurances agricoles, exiger des mesures pour éviter la volatilité des marchés, promouvoir la diversification des revenus des agriculteurs avec des aides à l'investissement, exiger des accords-cadres pour l'importation d'engrais, la défense de la priorité de la politique agricole espagnole sur la politique agricole commune de l'UE, la défense d'une production durable et multifonctionnelle qui respecte l'environnement, la promotion de mesures de lutte contre les pratiques abusives et déloyales résultant de la concurrence déloyale des importations sans droits de douane... doit être la base de l'action syndicale pour la défense de notre agriculture.

17.- La défense des travailleurs maritimes pour éviter la dépréciation des biens et faciliter leur accès à la propriété des éléments nécessaires à l'exercice de leur profession. La défense de notre souveraineté dans nos propres zones de pêche et dans les eaux internationales.

18.-Dénonciation des politiques d'immigration car elles ont été une source de coûts très importants pour les caisses publiques, et ont été utilisées par les grandes entreprises pour réduire les salaires et déstabiliser l'équilibre du travail de notre société. Ils ont été irresponsables envers les millions d'immigrants déjà installés, qu'ils soient en situation régulière ou non, afin qu'ils puissent avoir accès aux droits à un emploi et à un logement décent établis dans le préambule de notre ordre constitutionnel.

Pour le capital, le manque de contrôle des processus migratoires est une affaire importante, et ce manque de contrôle se traduit par des mouvements massifs de personnes dans un laps de temps très court. Cela conduit, d'une part, à une homogénéisation culturelle des goûts des consommateurs, qui permet aux grandes multinationales d'augmenter leur clientèle potentielle en générant des besoins uniformes quel que soit l'État-nation dans lequel se trouvent leurs futurs consommateurs ; et, d'autre part, à un ralentissement de la productivité en raison de l'évolution des salaires à la baisse. Dans la logique néo-libérale, dans un système de libre-échange, les salaires ont tendance à baisser uniformément dans tous les pays et l'effet est une diminution de la demande et une tendance à la surproduction maintenue dans le temps.

19.- Exiger les besoins de nos retraités. Défense d'un programme spécifique pour les retraités qui incorpore des actions décisives pour réduire le coût du logement, l'adaptation du logement à leurs besoins, la réduction ou l'élimination des impôts pendant les 10 prochaines années pour les retraités vivant dans les zones rurales et l'incorporation d'un programme de dépendance qui garantit la qualité de vie, l'utilisation de leurs capacités intellectuelles et de leur expérience au service de la communauté, et la restructuration administrative pour faciliter leur accès aux services sociaux de base.

20.- Défense des travailleurs dans l'Espagne dépeuplée. Pour s'attaquer au problème, une action conjointe d'incitations est nécessaire, telles que des abattements et des déductions fiscales dans l'impôt sur le revenu des personnes physiques, dans les activités professionnelles et commerciales, des subventions à l'embauche et des abattements sur les cotisations de sécurité sociale pour tous ceux qui exercent leur activité et ont leur résidence habituelle dans des communes dont la population est inférieure à 5 000 habitants. Des incitations à la copropriété des exploitations agricoles comme moyen de promouvoir les femmes dans les zones rurales. En même temps, il est urgent de mettre en place un plan de relance spécifique pour les PME et les indépendants et pour la création d'entreprises et d'emplois dans le secteur agroalimentaire, les petites entreprises et le tourisme dans les zones rurales, en donnant la priorité, dans l'attribution des marchés publics, aux entreprises qui embauchent des personnes vivant dans ces zones, en garantissant la satisfaction des besoins des consommateurs, la professionnalisation du secteur agroalimentaire et l'injection de ressources économiques du secteur touristique. Du point de vue de l'emploi public, un plan d'incitation à la carrière économique et professionnelle devrait être créé afin de garantir que les fonctionnaires résident habituellement dans les zones rurales où ils sont affectés.

Bibliographie:

- Références aux articles des auteurs suivants : José Manuel Cansino Muñoz-Repiso, Manuel Funes Robert, Miguel Ángel Gimeno Álvarez, Gustavo Morales Delgado, et Adolfo Muñoz Alonso.

- Le Contrat social" (1762) et "Discours sur l'origine de l'inégalité" (1754) de Jean-Jacques Rousseau ; "La richesse des nations" (1776), et "Théorie des sentiments moraux" (1759) d'Adam Smith. "Le Capital" (1867) de Karl Marx.

- "Postmodernité dystopique : Revisiter l'héritage de Zygmunt Bauman" par Cherry Adam.

- "Une anthologie politique". Par Juan Vázquez de Mella y Fanjul.

- "La politique sociale dans la doctrine du penseur allemand Gustav von Schmoller". Par Juan Miguel Padilla Romero

- Popper, Soros et le nouvel ordre mondial" par Antonio Martínez.

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- "Communautarisme" par José Pérez Adan. Université de Valence

- Manifiesto Sindicalista" par Jorge Garrido San Román.

- Encyclique des DSI Quadragesimo anno de Pie XI (1931) qui traite du syndicalisme d'entreprise.

dimanche, 19 juin 2022

Ludwig von Mises au-delà de la droite et de la gauche : sur les leçons de l'école autrichienne d'économie

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Ludwig von Mises au-delà de la droite et de la gauche: sur les leçons de l'école autrichienne d'économie

Michael Kumpmann

Source: https://www.geopolitika.ru/de/article/mises-jenseits-von-rechts-und-links-ueber-die-lektionen-der-oesterreichischen-schule-der

Dans mes textes et dans mon entretien avec Stefan Blankertz, je me suis beaucoup référé au texte de Douguine, "Libéralisme 2.0", et j'ai poursuivi les idées qui y sont exposées. Il y a cependant un sujet que j'ai eu tendance à éluder jusqu'à présent. Douguine divisait le libéralisme en trois phases et disait que la première phase, qu'il associait à Hayek et à l'école autrichienne, était encore la plus supportable et un allié potentiel dans la lutte contre le libéralisme de gauche actuel, de type sorosien. Mais jusqu'à présent, j'ai plutôt abordé des auteurs centrés sur la société, comme Leo Strauss, et j'ai évité autant que possible l'économie.  J'aimerais maintenant corriger cette omission et proposer une sorte de "Mises de droite" (ou plutôt "Au-delà de la droite et de la gauche").

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Tout d'abord, le projet d'un "Marx de droite" est plutôt à l'ordre du jour dans les cénacles de la Nouvelle Droite européenne. Les libéraux-conservateurs et certains libertariens de premier plan comme André Lichtschlag (photo), une plume qui s'exprime dans Junge Freiheit (cf.: https://de.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_F._Lichtschlag), s'en émeuvent et demandent que l'on cesse de se rapprocher de Marx et que l'on se dirige plutôt vers Mises et Hayek. Une telle position n'a aucun sens. L'analyse de la position marxiste par des personnalités comme Alain de Benoist a apporté aux milieux non-conformistes de nombreuses informations importantes. Notamment celle selon laquelle l'économisme a été érigé en doctrine politique dans les sociétés libérales et que les métaphores du marché et de la concurrence ont envahi des domaines où elles n'avaient pas leur place. (Le meilleur exemple en est le marché du mariage. La concurrence n'est pas une fin en soi, mais doit remplir des fonctions concrètes dans l'économie. C'est pourquoi de tels "marchés sont aussi des absurdités économiques"). Ou la prise de conscience qu'un impératif invisible prévaut en Occident : les gens doivent vivre pour le marché.  De telles découvertes sont très justes et importantes. C'est pourquoi l'étude de Marx ne peut pas être rejetée au seul profit des Autrichiens (de l'école autrichienne). De plus, des libertaires comme Stefan Blankertz (photo, ci-dessous) ont lancé des analyses similaires de la théorie marxiste. Plutôt que de "détester" Marx, il serait donc probablement plus judicieux de comparer la manière dont de Benoist, Benedikt Kaiser et Stefan Blankertz interprètent Marx et de voir où se situent les différences et les similitudes.

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L'un des problèmes de l'analyse d'Alain de Benoist et de Benedikt Kaiser est cependant qu'ils ne séparent pas assez clairement les composantes économiques et idéologiques du capitalisme. La maxime actuelle "l'économie est la chose la plus importante dans la vie et la meilleure façon de résoudre les problèmes sociaux est de donner des emplois aux femmes, aux migrants, aux handicapés et aux autres minorités et d'ignorer complètement tout le reste (par exemple l'amour, la famille, la religion, etc.) ou même de le dénigrer comme un obstacle à l'activité capitaliste, car seule l'économie compte", n'est pas du tout inhérente à l'économie. Josef Schumpeter, par exemple, considérait l'esprit de famille comme un moteur central de l'économie et de l'entrepreneuriat.

Et bien sûr, il faut également dire que l'économie en général est une incarnation du principe de "vie nue" critiqué par Leo Strauss et Giorgio Agamben. Il est important de noter qu'avant la crise du coronavirus, les économistes étaient au moins aussi impliqués dans la "tyrannie de la vie nue" que les médecins aujourd'hui. C'est pourquoi il serait préférable d'exclure autant que possible les économistes du discours politique.

Mais que peut malgré tout apprendre la 4e position des Autrichiens ?

Douguine a mentionné Henry de Lesquen comme un "hayekien de la nouvelle droite". Lesquen a décrit le libéralisme comme un outil utile, mais sur lequel toute la société ne peut pas être construite seule.  Il utilise ensuite l'idée de Hayek de "présomption de savoir" pour se prononcer en faveur de la tradition. Il affirme qu'un seul homme n'a pas assez de connaissances pour transformer radicalement le monde, mais que la tradition humaine est une collection de nombreuses stratégies qui ont été essayées par de nombreuses générations pendant des milliers d'années et qui se sont révélées les plus utiles.  C'est pourquoi, dans l'esprit de Hayek, il vaut mieux préserver la tradition que d'adopter un utopisme hostile à la tradition [1]. Lesquen fait également remarquer que l'économie libérale (par exemple la "main invisible" de Smith) a été conçue comme une économie nationale et non comme un État mondial globalisé (ce qui implique également que l'avantage de l'entrepreneuriat pour la société réside dans la solidarité de l'entrepreneur avec sa communauté).  Mais en même temps, Lesquen a expressément souligné que les idées libérales ne devaient pas quitter la sphère de l'économie et ne devaient pas s'immiscer dans des institutions telles que la famille, etc.

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Du point de vue de l'existence, la théorie de la valeur subjective ("les choses dans le monde n'ont pas de valeur et de prix objectifs, mais elles ont de la valeur parce que quelqu'un décide qu'elles ont de la valeur à ce moment-là") serait la plus intéressante, car elle se complète parfaitement avec les idées de Husserl, Heidegger, etc. Dans certains cas, la théorie de la valeur subjective est également utilisée pour contester le fait qu'il existe quelque chose qui serait également rationnel pour tous les êtres humains. Un chaman dansant autour d'un feu de brousse ne serait pas plus irrationnel qu'un investisseur de Wall Street.  Ceci est également très important et constitue un bon argument pour remettre en question l'idée d'un progrès linéaire.

Dans la perspective du traditionalisme, l'idée de Carl Menger sur la préférence pour le présent, et en particulier son traitement par Hans Hermann Hoppe, est la plus intéressante. Celle-ci affirme en gros que les systèmes traditionnels tels que la monarchie peuvent très bien planifier sur de longues périodes et sont capables de sacrifier le désir pour des objectifs à long terme ou "éternels". Cependant, les systèmes modernes comme la démocratie libérale ont détruit cette idée et favorisent de plus en plus la satisfaction du désir à court terme, ce qui explique pourquoi ces systèmes perdent lentement leur avenir.  Le mouvement néo-réactionnaire de Mencius Moldbug (photo, ci-dessous; pseudonyme de Curtis Yarvin) utilise précisément cette théorie pour rapprocher les idées libertaires de la tradition intégrale représentée par Guénon et Evola. (Michael Anissimov -photo, ci-dessous- est particulièrement important ici).

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Mencius Moldbug et Michael Anissimov.

La description de Hopper selon laquelle le propriétaire d'un territoire pourrait décider librement des règles et des systèmes politiques sur son territoire, sans être lié par des choses comme les droits de l'homme, et pourrait et devrait "enlever physiquement" toute personne qui n'est pas d'accord avec ses actions, est nettement plus proche de Carl Schmitt que de John Locke. Et sa théorie dit clairement que personne ne peut être forcé d'établir un système libéral sur son territoire.

En ce qui concerne la tradition, il faut dire que l'État organique, dans l'interprétation d'un système "confucianiste" de relations d'obligations informelles réciproques (par exemple parents/enfants, paysans et société, etc.), s'harmonise bien avec la théorie de l'ordre spontané dans de nombreux domaines. (Bien que Rothbard associe plutôt cette idée au philosophe taoïste Zhuangzi) [2].

Guénon a décrit dans le texte La dégénérescence de la monnaie que la monnaie devrait en fait être basée sur l'or et que le "système de papier-monnaie non couvert" ("fiat money") du dollar actuel était une déchéance qui causerait des dommages extrêmes.  Ezra Pound a également critiqué ce système et Haku Zynkyoku a décrit ce système de "Réserve fédérale" comme un "système extrêmement malveillant" qui servirait "Yamata no Orochi", un démon serpent shintoïste qui symbolise la destruction et le déclin et qui vient à intervalles réguliers pour exterminer presque complètement l'humanité.

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Et c'est précisément dans ce domaine qu'il y a une convergence étonnamment élevée avec les objectifs des partisans de l'école autrichienne. En effet, l'un de leurs cris de guerre est exactement: "End the Fed(eral Reserve) ! Le meilleur exemple de cette convergence dans l'espace germanophone pourrait également être le livre "Goldgrund Eurasien".

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Un problème de l'école autrichienne est qu'elle n'est pas objective en raison de la praxéologie de Ludwig von Mises, mais se considère explicitement comme un "individualisme méthodologique". Elle fait donc explicitement partie de la première théorie politique du libéralisme. Pour rendre l'école autrichienne utilisable, il faut d'abord la séparer de la première théorie politique.

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L'ordolibéralisme en Allemagne, influencé par Alfred Müller-Armack (photo, ci-dessus) et surtout Ludwig Erhard, a été explicitement conçu comme une forme de "troisième voie" entre le capitalisme et le socialisme. Dans le même temps, l'école autrichienne a également joué un rôle important.

La Chine est également un exemple connu d'économie de marché illibérale depuis les réformes de Deng Xiaoping. En tant qu'Européen, on a même souvent l'impression que les Chinois respectent davantage la liberté économique que nous, alors que chez nous, les "libéraux" s'occupent plutôt de retentissantes conneries comme le genre (le "gendérisme").

On sait qu'il y avait un lien entre les réformes de Deng et le régime de Pinochet, qui était un étrange croisement entre le libéralisme et le fascisme et qui a été loué par Hayek. (mais son système juridique a été influencé par les théories de Carl Schmitt à la même époque). Le disciple de Hayek, Milton Friedman, était un invité de marque du gouvernement chinois et devait notamment l'aider à lutter contre l'inflation. Friedman a ensuite travaillé à la fin du contrôle des prix par l'État (Une mesure qui est également associée, sous une forme similaire, au miracle économique allemand des années 1950). [3]

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Cependant, Friedman n'appartenait plus à l'école autrichienne, mais à l'école dite de Chicago. L'influence de l'école autrichienne sur la Chine est controversée dans la littérature (Murray Rothbard a cependant déclaré que le gouvernement chinois voulait acheter le plus de livres possible sur le sujet à l'Institut Mises américain). L'essai scientifique "The (Im-)Possibility of Rational Socialism : Mises in China's Market" (L'(im-)possibilité d'un socialisme rationnel : Mises sur le marché chinois) d'Isabella Weber avance la thèse selon laquelle l'économiste chinois Jiang Chunze aurait été un disciple de Ludwig von Mises et aurait voulu profiter de l'échec du "grand bond en avant" de Mao pour combiner les idées autrichiennes avec celles du soi-disant "socialisme de marché". En plus de lui, des paysans comme Jing Rongben et leurs thématisations du soi-disant "problème du calcul socialiste" (soulevé principalement par Mises) auraient été décisifs pour la réforme. (Problème de calcul socialiste = s'il y a un planificateur central qui peut fixer les prix, il n'y a pas de sous-enchère pour produire les choses au meilleur prix, ce qui signifie que les coûts élevés évitables ne sont pas identifiés).

Selon ce document, Rongben aurait eu une idée intéressante pour la 4e théorie politique en examinant ce sujet : il n'existe pas de modèle économique idéal qui fonctionne dans chaque endroit et vers lequel le progrès se dirige inévitablement.  Au lieu de cela, les habitants d'une région doivent trouver eux-mêmes le modèle économique qui leur convient le mieux. Et ils ne pourraient le trouver que s'il existait une possibilité de créer différents modèles et de les tester "de manière compétitive" (Ergo plus généralement : une monoculture progressiste politique globale aboutit également à l'érosion de la concurrence et à l'émergence d'une "mauvaise gestion"). 

Dans le même temps, Rongben écrit que les socialistes doivent abandonner la doctrine de l'égalité. Cependant, il faut dire que les économistes chinois ont conclu que la propriété privée et l'individualisme n'étaient pas indispensables au bon fonctionnement de l'économie et qu'il n'était pas nécessaire de rejeter l'intervention de l'État. Il faut simplement veiller à ce que la concurrence ne soit pas ébranlée. (Il n'est cependant pas nécessairement expliqué QUI doit être en concurrence.) Ils recommandaient cependant d'autoriser au moins un certain degré de propriété privée et de ne pas tout nationaliser. Cela rappelle quelque peu "l'économie du pouvoir" de Thiriart.

L'engagement de Rongben en faveur de la concurrence, pourrait-on dire avec Nietzsche, est en quelque sorte un engagement envers la nature humaine. Et le refus complet de toute concurrence est contraire à la vie. Mais la concurrence ne doit pas être un "chacun pour soi" sans solidarité. On peut très bien dire que la famille, la paroisse, le peuple, etc. devraient former une "équipe" en compétition, qui se comporte de manière solidaire les uns envers les autres et qui devrait également aider les membres les plus faibles. Les meilleurs membres de l'équipe doivent se battre tranquillement pour leur place dans la "tempête", mais les autres membres doivent également être entraînés.

Un tel "von misesianisme à la chinoise" autorise généralement des systèmes de marché sans primauté de l'individu, tels que la doctrine sociale chrétienne, le distributisme de G.K. Chesterton, le strasserisme, les systèmes de gildes prémodernes (tels que ceux représentés par Crowley et Evola) et offre la possibilité de réconcilier les idées de personnes comme Pierre-Joseph Proudhon avec l'école autrichienne.

Le gouvernement chinois a également voulu éviter l'influence des entreprises sur la politique lors des réformes. Ce principe devrait également être adopté, car dans le "libéralisme 2.0" occidental, c'est le principe opposé qui prévaut et des entrepreneurs tels que Bill Gates et George Soros veulent se profiler comme des créateurs de politique et transformer la société par le biais d'ONG. Les entrepreneurs ne devraient toutefois pas pouvoir s'ériger en "plombiers de la société".  L'idée américaine libérale de gauche de l'entrepreneur comme bienfaiteur progressiste qui fait avancer la société peut sembler belle sur le papier. Mais un coup d'œil sur Soros et compagnie, ou sur le fait que les entrepreneurs américains ont soutenu le mouvement eugéniste dans les années 30, montre que le slogan de Friedman "Le seul but de l'entrepreneur est de gagner de l'argent" était peut-être meilleur et plus humain après tout [4].

Un autre problème des Autrichiens est bien sûr que, dans la tradition libérale, tous les individus sont de facto des entrepreneurs qui prennent des décisions libres pour des raisons purement rationnelles. Dans ce contexte, l'idée d'un pauvre prolétaire contraint de faire un "boulot de merde" par nécessité, qu'il ne fait que pour ne pas mourir de faim mais qu'il maudit intérieurement, est absurde, tandis que son patron exploite la nécessité de ce "pauvre type" pour son propre profit. Cela n'apparaît pas chez Mises et consorts. Cela montre que la théorie de l'école autrichienne ne peut représenter qu'une partie de la vérité et qu'elle doit être complétée par d'autres concepts de la deuxième théorie politique et parfois même de la troisième théorie (les travailleurs d'Ernst Jünger).

Notes:

[1] En Allemagne, une économie très attachée aux familles et à la tradition a été créée après 1945 sous la direction de Ludwig Erhard (photo), influencé par l'école autrichienne. Et dans des pays comme le Japon, l'économie s'est également souvent bien intégrée à la tradition sous l'influence des "Autrichiens", au lieu de l'attaquer.

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[2] Il est intéressant de noter que des personnes comme Lee Kuan Yew (Singapour) ont très souvent enseigné un mélange d'idées de Hayek et de Confucius.

[3] L'exemple de la Chine montre que le concept de "socialisme monétaire pour une inflation délibérément générée" inventé par Roland Baader est assez stupide.

[4] Le libéralisme 2.0 doit de toute façon être considéré comme une campagne de marketing visant à faire accepter le capitalisme libéral à la gauche. Ce système d'ONG d'un Soros ou d'un Gates blanchit la position de l'entrepreneur.  La politique des minorités y est toujours liée à l'affirmation implicite que c'est précisément le capitalisme qui aide les "minorités pauvres et discriminées". Il en résulte toutefois que l'"homo economicus" pénètre dans des domaines sociaux où il n'a pas sa place.

lundi, 06 juin 2022

Sur la vérité politique

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Sur la vérité politique

Par Pablo Anzaldi           

La thèse libérale défend la primauté de l'individu sur la communauté politique, primauté qui est constituée comme un dispositif au service du désir des individus.

Son fondement métaphysique est l'idée de la nature comme matière et mouvement dépourvus de fins, sur laquelle repose la primauté de l'économie par rapport au politique primauté qui, elle, se constitue à partir de l'exaltation du vice individuel érigé sophistiquement en moteur du bien-être général.

Déconnecté de sa finalité transcendante, l'individualisme s'érige sur lui-même dans un mouvement chaotique et incontrôlé, qui converge vers le sommet de la pyramide du pouvoir concentré. Le néolibéralisme est la projection politique de cette philosophie et le corrélat idéologique des banques privées et de la finance internationale. Selon son credo, tous les peuples de la terre doivent se soumettre au flambeau de Wall Street.

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Selon ce renversement de l'ordre des moyens et des fins, le phénomène de l'exploitation du travail et de l'exclusion sociale dans son extension globale sous tous les régimes politiques peut être considéré comme une conséquence politique de la thèse libérale et de son fondement métaphysique. Parallèlement à cela, la démocratie en tant que ploutocratie réelle se constitue comme le système qui - dans le même souffle - reproduit l'inversion des moyens et des fins, car elle oriente un régime politique comme une fin et plie le bien commun.

Face à cela, l'insipide philosophie des valeurs qui soutient le discours prétendument contre-hégémonique n'est rien d'autre qu'une manifestation de subjectivisme idéaliste, c'est-à-dire un des facteurs de plus qui déforment l'horizon de la réalité. D'autres manifestations de critique et d'opposition comme le marxisme, l'humanisme immanentiste ou le culturalisme ethniciste - pendant des années serviles à la philosophie nihiliste des valeurs - ne font que récapituler et approfondir certaines des déviations mentionnées ci-dessus.

1) L'approche du malaise contemporain peut être élucidée et affrontée, au niveau de la théorie, en retravaillant une idéologie politique orientée vers le Bien Commun et la Justice comme spécification du Droit, en tenant compte de l'expérience des luttes contre l'usure et pour la coexistence correcte entre l'Etat, le Travail et le Capital.

La récupération du réalisme philosophique est une tâche inévitable au sein de la culture politique de notre peuple, saturée d'images et de confusions. En ce sens, les grandes thèses réalistes gagnent en importance : le finalisme de la réalité comme fondement métaphysique de l'ordre politique, la nature finaliste de l'homme, la finalité de l'être, du savoir et de l'agir, la communauté politique comme perfection de la nature humaine, le Bien commun comme finalité des régimes politiques. En bref, la connaissance politique en tant que science pratique finaliste des affaires humaines. Avant toute affirmation d'identité, il est nécessaire de disposer d'un savoir politique qui se concentre sur la réalité concrète et s'y rattache par le biais de délibérations et de recherches orientées vers ce qui est bon et juste. Pour paraphraser Hipólito Yrigoyen, c'est "la cause contre le régime fallacieux et incrédule".

2) La pensée politique réaliste et orientée vers la justice n'est pas une nouveauté sur le sol argentin. La pensée de Perón est la version la plus puissante de la tradition classique et chrétienne, argentine et américaine. La célèbre phrase "La seule vérité est la réalité" est le trou de serrure par lequel on peut accéder à sa pleine compréhension. Qu'est-ce que la réalité ? Elle est ce qu'elle est en elle-même - "de suyo", dirait Xavier Zubiri - et est tendue vers son entéléchie, c'est-à-dire vers des fins de perfection. La Doctrine Justicialiste a été proposée de manière dynamique comme un ensemble harmonieux de parties tendant à l'élévation physique, matérielle et spirituelle du Peuple. La tâche de sa récupération, de son remaniement et de sa projection est la tâche politique qui réintroduit la vérité au milieu du libéralisme esclavagiste. Et lorsque la Vérité émerge, les eaux se séparent, les fronts sont délimités et le mouvement politique renaît dans le cœur du peuple.

*Pablo Anzaldi : Pablo Antonio Anzaldi (1972). Politologue. Professeur d'université. Leader justicialiste.

pabloanzaldi@gmail.com

lundi, 30 mai 2022

Denis Collin: Nation et souveraineté et autres essais

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Denis Collin: Nation et souveraineté et autres essais

Source: https://www.hiperbolajanus.com/2022/05/resena-nacion-y-soberania-y-otros.html?m=1

Recension: Denis Collin, Nación y soberanía y otros ensayos, Letras inquietas, 2022, pp.182, ISBN979-8438119741G-2yPSwOL._SY264_BO1,204,203,200_QL40_ML2_.jpg

41G-2yPSwOL._SY264_BO1,204,203,200_QL40_ML2_.jpgNous allons passer en revue un livre du philosophe français Denis Collin, qui, étant donné les connotations idéologiques et académiques de l'auteur, se situe quelque peu en dehors des courants avec lesquels nous, en tant qu'animateurs d'Hyperbola Janus, avons travaillé tout au long de notre carrière d'éditeur. Pour cette raison, il est également possible que nous soyons un peu moins réceptifs à certains aspects collatéraux de la pensée de Collin, qui a un fond marxiste bien que dans une ligne des plus hétérodoxes, et que nous soyons obligés de montrer nos positions face à certaines idées avec lesquelles nous ne coïncidons pas et avec lesquelles nous ne sommes pas d'accord. Ce qui est évident et tout à fait évident et sur quoi nous sommes d'accord, c'est un rejet absolu et radical du mondialisme et de ses conséquences, qui sont totalement destructeurs et déshumanisants, et contre lesquels il n'y a pas de place pour les demi-mesures.

Ceci étant dit, et en tenant compte des formalités et de l'aspect technique du travail, nous devons dire qu'il s'agit d'une publication sous l'enseigne des éditions Letras Inquietas, qui a dans son catalogue un palmarès remarquable de publications de grand intérêt et qui, comme dans notre cas, approfondit la pensée dissidente et non-conformiste avec pour thèmes l'actualité dans les domaines de la politique, de l'histoire, de la philosophie et de la géopolitique. Nous vous recommandons de lire et d'acquérir les livres publiés par cette maison d'édition.

L'ouvrage qui nous concerne est Nation et souveraineté et autres essais, de Denis Collin, dont l'édition a été préparée par le professeur et philosophe Carlos X Blanco, dans une autre de ses excellentes contributions à la pensée dissidente. L'auteur, qui, comme nous l'avons déjà mentionné, pourrait être considéré comme un marxiste hétérodoxe, a collaboré avec la Nouvelle Droite d'Alain de Benoist, rejoignant ainsi un groupe d'auteurs tels que Diego Fusaro ou encore Domenico Losurdo, qui proposent un discours critique sur le globalisme et les tendances dissidentes qui y sont attachées, et sur la gauche mondialiste qui, à notre avis, depuis les années de la soi-disant "révolution contre-culturelle", est devenue le fer de lance de toute l'ingénierie sociale en place et le laboratoire de la destruction menée en de nombreux domaines sociaux, économiques et spirituels, propres à notre civilisation.

Dans le prologue de l'ouvrage, que nous devons au politologue Yesurún Moreno, nous trouvons trois parties parfaitement différenciées qui divisent l'ouvrage; la première partie dans laquelle se détachent la défense de l'État-nation et la dialectique entre nation et internationalisme en fonction de la situation héritée des traités de Westphalie de 1648; dans la deuxième partie, il entreprend une analyse du totalitarisme, en utilisant l'œuvre d'Hannah Arendt et l'exemple des totalitarismes historiques du XXe siècle comme fil conducteur pour l'opposer à celui qui se forge dans le présent, qui présente des caractéristiques totalement nouvelles et différentes des précédents; dans la dernière partie de l'essai, Collin remet en question l'idée de démocratie intégrale, en démontrant les origines oligarchiques de la démocratie occidentale, tout en défendant le retour à un régime parlementaire et libéral qui puisse servir de noyau pour la défense des intérêts des travailleurs.

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Nous pensons que les références à Karl Marx et au développement de sa pensée n'apportent rien ou presque au problème actuel posé par la menace d'une dictature technocratique mondiale. Nous entendons par là les références constantes au "mode de production capitaliste" ou à la "lutte des classes" dans un contexte qui n'est plus celui que Marx lui-même a connu dans l'Europe du XIXe siècle ou que nous avons connu  au cours du siècle dernier. À notre modeste avis, nous assistons à un scénario dans lequel l'assujettissement des peuples aux élites mondiales n'est pas seulement dû à des raisons économiques ou matérielles, mais à d'autres éléments de nature plus perverse, qui nous renvoient à la soi-disant "quatrième révolution industrielle" par l'utilisation de la technologie et de l'idéologie transhumaniste, impliquant même des éléments spirituels et contre-initiatiques qui affectent profondément la condition humaine et son avenir.

En ce qui concerne la question de l'État-nation, Collin nous avertit que la disparition progressive et théorique, prônée ces dernières décennies au profit d'un gouvernement mondial, est totalement erronée au vu des conjonctures géopolitiques mondiales actuelles, avec l'émergence de grands blocs géopolitiques menés par la Chine et la Russie, ou les confrontations du géant asiatique avec les États-Unis, la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington étant plus juste. De plus, elle indique même une revendication ethnique et tribale contre le melting-pot global et indifférencié souhaité par les ploutocraties mondialistes.

L'origine de l'État-nation, ou des nations bourgeoises modernes, remonte aux théories contractualistes de Jean Jacques Rousseau, qui a tenté d'éliminer toute référence à un processus naturel de maturation historique, dans lequel interviennent des forces et des variables très complexes, pour tout soumettre à un "pacte social" dans lequel le peuple "devient souverain".

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Collin souligne l'idée que les théoriciens de l'État moderne, tels que Thomas Hobbes, n'ont pas résolu la question de l'ordre et de la paix en dehors des nations et ont posé une guerre de tous contre tous. Plus tard, avec la paix de Westphalie (1648), nous avons la gestation d'un nouveau droit international cosmopolite puis, plus tard, les théories d'Emmanuel Kant sur la paix perpétuelle fondée sur un État mondial, le concert des nations et l'équilibre des pouvoirs, le droit de chaque nation à se gouverner elle-même sans ingérence étrangère ou une hypothétique "Société des Nations". Cependant, la paix éternelle n'est pas possible et la guerre n'est légitime que comme moyen de défense. Il est évident qu'il existe des difficultés de compréhension entre les nations, chacune forgée dans un héritage historique propre, avec leurs visions du monde et leur langue, ce qui génère une dichotomie permanente entre l'universel et le particulier. Ainsi, pour créer une communauté politique mondiale, il faudrait homologuer les cultures, les croyances, les coutumes et les traditions, en faisant abstraction de l'attachement à tout ce qui fait l'identité d'une personne par rapport à un enracinement, par rapport à la famille, la langue, la patrie, etc. Tout cela en accord avec l'anthropologie libérale, qui propose des individus isolés de leur environnement, tous identiques, réductibles à des automates rationnels dont il faut extraire l'utilité. Mais outre le fait que cette mosaïque de cultures, de peuples et d'identités ne peut être détruite ou avalée par le broyeur mondialiste, la gouvernance mondiale implique également l'existence du chaos et de l'anarchie, contre lesquels, selon l'auteur, seule la démocratie dans le cadre de l'État-nation peut servir de digue de contention ; elle est la seule forme possible de communauté politique.

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En ce qui concerne sa définition de la communauté politique, nous ne pourrions être plus en désaccord avec Denis Collin lorsqu'il affirme qu'une nation n'est pas une communauté politique partageant des origines, une langue ou une religion communes, mais tout groupe humain doté d'une conscience nationale qui aspire à former un État, faisant une fois de plus allusion à l'idée rousseauiste du contrat social. Il fait évidemment référence à la conception libérale de la nation, où tout se réduit au droit positif et à l'État de droit. Collin élabore un discours contre les empires, qu'il considère comme ayant historiquement échoué, et donne comme exemple les républiques commerciales d'Italie du Nord associées à l'idée de la matérialisation et de la sécularisation de l'idée politique sous l'humanisme et le rationalisme naissants. Sous cette nouvelle dimension, Collin nous suggère une vision totalement désacralisée de l'Etat et éloignée de l'universalité représentée par le Saint Empire romain germanique au Moyen Âge, et par d'autres empires comme l'Empire hispanique, qui se caractérisaient par leur universalité et la pluralité et l'autonomie des parties qui le composaient à partir de l'harmonie et de l'unité. La conception violente et centralisatrice du pouvoir s'observe, en revanche, avec l'absolutisme, lorsque les intrigues, le machiavélisme politique et la diplomatie l'emportent sur la "guerre sainte" et la "guerre juste" qui prévalaient au cours du cycle historique précédent.

Denis Collin tente de justifier son idée de l'Etat-nation comme étant apparentée aux conceptions marxistes, en récupérant une idée originale de Marx qui a été oubliée, volontairement ou non, par l'extrême gauche actuelle, et dans laquelle il place le penseur du XIXe siècle comme l'un des plus grands défenseurs des revendications nationales, par une lutte de classe internationale dans son contenu et nationale dans sa forme, dans laquelle il doit y avoir une lutte contre le "mode de production capitaliste" prévalant dans le contexte mondial et la "lutte de classe" dans la sphère politique, dans un cadre politique concret régi par des lois. C'est l'exemple de la transformation de la Russie tsariste en URSS après la révolution d'octobre 1917, avec la garantie du droit à l'autodétermination des parties constitutives du défunt empire tsariste dans une volonté "anti-impérialiste" et la constitution d'un État fédéral.

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Cependant, comme le souligne Denis Collin, le phénomène de la mondialisation n'est pas nouveau, mais plutôt un processus historique qui remonte à la découverte de l'Amérique, et qui s'est mis en œuvre au cours des siècles successifs à travers différentes phases dans un laps de temps qui va du XVIe siècle à nos jours, et dont la dernière étape a commencé avec la chute du mur de Berlin, une étape dans laquelle, paradoxalement, les nations ont été réévaluées, les conflits entre elles ont augmenté, et différents blocs géopolitiques ont été forgés à l'aide d'une multitude de puissances régionales émergentes. Selon Collin, l'explication de ce phénomène d'un point de vue marxiste est que le "mode de production capitaliste" exige que les États imposent la propriété capitaliste et le libre-échange. On peut se demander si les dernières mesures prises par le mondialisme en vue d'une gouvernance mondiale par le biais d'un endettement excessif induisant une faillite certaine, ou les conséquences désastreuses du Great Global Economic Reset qui se profilent déjà à l'horizon, ne sont pas très conformes à l'ancien capitalisme qui est laissé pour compte.

Collin justifie également l'existence de l'État-nation et sa défense comme un moyen de résistance du peuple au capital, soutenu par certains systèmes de redistribution au niveau national tels que des systèmes d'éducation, de santé ou de protection contre le crime et la délinquance. Cependant, nous constatons déjà un processus croissant de privatisation des services publics et leur détérioration accélérée, sans parler de l'insécurité croissante des villes d'Europe occidentale, en lien évident avec l'afflux massif de populations non européennes inadaptées. Et, comme le reconnaît à juste titre Collin, l'État que veulent les libéraux doit avoir un rôle instrumental, servant leurs intérêts, vidé de tout contenu historico-politique, où les peuples ne sont que des individus isolés, atomisés et interchangeables, réduits au rôle de simples consommateurs. L'immigration apparaît également comme une ressource du capital pour pratiquer le dumping de la main-d'œuvre et réduire au minimum les droits du travail du travailleur national. De même, notre auteur rejette le modèle multiculturel, et avec l'expérience de la France, il a toutes les raisons de justifier sa position, de s'opposer aux multiples destructions que le mondialisme tente d'imposer aux nations et qui nous conduisent à la barbarie la plus absolue. C'est pourquoi elle appelle à la souveraineté de chaque nation dans ses propres frontières et à la création de liens de collaboration et de solidarité entre les nations.

41VcCvvIX9L._SX307_BO1,204,203,200_.jpgComme nous l'avons indiqué plus haut, dans la deuxième partie de l'ouvrage, le philosophe français analyse le phénomène historique du totalitarisme à travers l'œuvre classique de Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, et tente une généalogie du concept depuis sa formulation originelle dans l'Italie de Mussolini jusqu'à nos jours en nous offrant une analyse comparative des aspects qui, selon Collin, caractérisent le national-socialisme allemand, le fascisme italien et le communisme soviétique. Chacun de ces régimes a utilisé différents moyens pour établir le contrôle social et la terreur, que ce soit par le racisme ou l'exploitation des travailleurs. Pour Denis Collin, Hannah Arendt a raison lorsqu'elle affirme que le totalitarisme ne correspond à aucune nation totalitaire, et que le totalitarisme naît sur les ruines de l'Etat et n'est pas un produit de l'Etat, c'est pourquoi les positions anti-étatistes n'empêcheront en rien la dérive totalitaire de notre époque. Collin insiste particulièrement sur le cas de l'URSS, où, au nom de l'émancipation humaine, l'exploitation des travailleurs était justifiée, et où les communistes eux-mêmes n'échappaient pas à la répression, comme le montrent les procès de Moscou de 1936-1938.

D'autres aspects de l'œuvre d'Arendt que Collin met en évidence est le caractère anti-politique du régime totalitaire, révélé par le remplacement de la lutte politique par un appareil techno-bureaucratique, une caractéristique commune aux régimes libéraux-capitalistes, qui se sont imposés après la Seconde Guerre mondiale, remplaçant le parlementarisme précédent. L'idée de fusionner la gouvernance et l'administration remonte à loin et, avec les systèmes modernes d'organisation politique, elle a même conduit à la fusion des entreprises et de l'État, comme en témoignent des exemples tels que celui de Silvio Berlusconi en Italie avec Forza Italia dans une sorte de "parti de l'entreprise", un exemple qui peut être extrapolé à d'autres formations portant des étiquettes différentes au sein de la partitocratie démo-libérale d'Europe occidentale. À ces éléments, il faut ajouter l'entrée en scène d'une nouvelle classe politique capitaliste et transnationale qui a également engendré de nouvelles formations politiques qualifiées de post-démocratiques par Collin. Ces formations peuvent être le Mouvement 5 étoiles en Italie ou Podemos en Espagne, ce dernier étant directement issu du 15-M en collusion avec les expériences et l'ingénierie sociale de l'Open Society, ou des substituts du spectre politique supposément en opposition au système comme VOX, avec des liens étroits avec le Rotary Club, des affiliations libérales-maçonniques transnationales. Nous pourrions également mentionner le PSOE-PP-C'S, qui s'inscrit dans la même dynamique, au service du même Agenda 2030 mondialiste.

Les références à Herbert Marcuse et à ses théories freudiennes-marxistes sur la société industrielle, technologique et de consommation la plus avancée, dans lesquelles il dénonce le nivellement, l'assujettissement et le conditionnement sous un système oppressif de domination, qui se réalise par le bien-être et l'opulence, sous couvert de liberté et de démocratie, pourraient bien défendre cette idée que Collin met en évidence dans la dernière section du livre sur le "totalitarisme doux", au visage amical qui offre un bonheur matériel permanent. D'autre part, la civilisation technologique de Marcuse détruit la théorie révolutionnaire du prolétariat en élevant le niveau de vie matériel de l'ouvrier, qui aspire au bien-être du bourgeois et finit par être absorbé par le système.

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Mais la prétendue "contestation" que Marcuse propose ne cesse de se poser dans les limites de la civilisation technologique de la consommation elle-même, et au lieu de s'attaquer à la technologie et à ce qui la soutient, il tente d'intégrer les déshérités du monde sans proposer un modèle alternatif à celui mis en avant par le progrès technologique du capitalisme libéral. D'autre part, Marcuse construit autour de Freud une sociologie de l'homme liée aux inhibitions internes et aux complexes ancestraux qui est totalement délirante. Il ne faut pas non plus oublier que Marcuse a été l'un des prophètes du mouvement de protestation et de la contre-culture des années 1960, lorsque les plus grandes transformations sociales et mentales ont eu lieu grâce à l'ingénierie sociale complexe de l'École de Francfort, qui a promu le processus de mondialisation sous le couvert d'une lutte pseudo-révolutionnaire et d'une "rébellion" contre "la société des pères".

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Pour en revenir au présent et au contenu même du livre, Collin nous met en garde contre un processus auquel nous assistons, à savoir la réduction et l'élimination systématiques des libertés et des droits au nom du bien commun, la surveillance toujours plus étroite des personnes grâce à l'utilisation de moyens technologiques toujours plus sophistiqués, pour quelque raison que ce soit. Nous avons tous été témoins de la Plandémie et de ses effets au cours des deux dernières années environ, ainsi que des conséquences de l'Agenda 2030, qui propose déjà de manière non déguisée la transformation de l'homme dans sa condition très humaine par le biais du génie génétique. De plus, ce mondialisme exige une acceptation et une soumission sans réserve à ses plans pervers, sans esprit critique, sous l'accusation, au cours de ces deux années, d'être étiqueté "négationniste" et de devenir un paria sans aucun droit, expulsé du Système.

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Il est vrai que la "fin de l'histoire" annoncée par Francis Fukuyama ne correspond pas à la réalité des événements à venir, et que loin d'un monde homologué par un libéralisme planétaire et triomphant sous hégémonie américano-occidentale, on assiste à l'émergence de nouveaux conflits et blocs géopolitiques. Et le problème ne vient pas des dérives autoritaires du pouvoir autocratique de Poutine en Russie, ni des autocratismes observables dans d'autres contextes géographiques, mais plutôt du fait que ces pouvoirs oligarchiques qui se sont installés avec la démocratie libérale et parlementaire, avec la démocratie de masse, représentent un réel danger au sein de chacune des nations qui font partie du soi-disant Occident. Et nous sommes surpris que Collin prétende que nous sommes menacés par quelque chose qui n'a "rien à voir avec le libéralisme", alors qu'il existe une relation claire de continuité entre les groupes de pouvoir qui ont émergé derrière les démocraties occidentales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui, et nous ne pensons pas que les exemples de la première moitié du 20ème siècle soient nécessaires pour justifier les dérives du mondialisme d'aujourd'hui et toutes ses caractéristiques totalitaires, transhumanistes et dystopiques, mais plutôt qu'il s'agit d'une transformation qui s'opère au sein de ces démocraties libérales et parlementaires, celles-là même dans lesquelles Collin nous dit que les associations ouvrières ont prospéré et que des conquêtes ont été faites dans l'intérêt des travailleurs.

Un point qui nous semble très juste dans la pensée de Denis Collin est celui qui fait allusion aux nouvelles méthodes de contrôle social utilisées par ces élites mondialistes, beaucoup plus subtiles, sous la domination de la science économique et du libre marché, ou sous la couverture médiatique et idéologique de la pensée woke fournie par les universités américaines et la gauche mondialiste la plus déséquilibrée. Or, souligne Collin, les oligarchies libérales-capitalistes renvoient l'homme aux poubelles de l'histoire en remplaçant son statut de citoyen par celui de sujet. Notre auteur met en évidence le rôle de ces oligarchies dans le cas des Etats-Unis et de leur démocratie, qui est le paradigme même de la démocratie dans le monde, l'exemple que les autres démocraties libérales occidentales prennent comme modèle et guide. L'inexistence d'un mouvement ouvrier organisé dans la première démocratie du monde, les mécanismes parlementaires obscurs et enchevêtrés qui ont pétrifié la Constitution de 1787 dans ce pays, défendant et justifiant l'esclavage en son temps, ou les exemples (pratiquement tous ceux choisis par l'auteur sont républicains) du fonctionnement anormal du modèle électoral et représentatif américain illustrent bien la concentration du pouvoir dans quelques mains et l'échec de son modèle démocratique. Il aurait peut-être été intéressant d'évoquer les tractations de la Réserve fédérale ou le rôle de certains lobbies qui ont conditionné la configuration et l'avenir de la démocratie aux Etats-Unis.

Notre auteur français conclut également en notant l'échec de la prédiction de Marx et Engels selon laquelle la démocratie libérale et parlementaire finirait par faire tomber le pouvoir aux partis socialistes et communistes en raison de l'énorme disproportion entre les travailleurs et l'élite bourgeoise, avec pour conséquence une transition pacifique vers le socialisme.

Ce que nous partageons pleinement avec le philosophe français, c'est la fin du soi-disant progressisme, de la farce démocratique et du soi-disant "État de droit", avec toute la rhétorique droits-de-l'hommiste des dernières décennies, les libertés fictives proclamées et le prétendu "pluralisme politique", pour céder la place à un système de contrôle social très dur et à l'utilisation pharisaïque et criminelle des mécanismes juridiques et légaux pour obliger à vivre dans un état d'alarme ou d'exception permanent et ainsi perpétuer tous les changements envisagés dans l'Agenda 2030 susmentionné, et, en fait, nous avons déjà vu comment la Plandémie a fourni les outils fondamentaux pour provoquer cette rupture juridique et de mentalité qui nous conduit à des régimes technocratiques et dictatoriaux, de servitude par la technologie, et de crédit social d'inspiration chinoise. Et dans ce contexte, le rôle du progressisme et de la gauche, adhérant au capitalisme global et usurocratique, a été vital pour générer tout ce processus de liquidation des fondements traditionnels et de l'identité des nations et de "progression" vers l'abîme de la déshumanisation et du transhumanisme.

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mercredi, 18 mai 2022

"Guerre politique: à l'intérieur de l'État culturel"

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"Guerre politique: à l'intérieur de l'État culturel"

par Jorge Sánchez Fuenzalida

Source: https://editorialeas.com/guerra-politica-al-interior-del-estado-cultural-por-jorge-sanchez-fuenzalida/?fbclid=IwAR1_gONQaIcy6ajf-AoLQhXKN2VWESpgPiHgyAVVED0RzsnjBV7ysiQbFRs

Qu'est-ce que la guerre et qu'est-ce que la politique?

Bases conceptuelles de la lutte politique contre la subversion

"Le monde idéal n'existe pas lorsque les volontés des empires ou des hommes créateurs de pouvoir s'affrontent : le moment venu, une seule vision du monde prévaudra".

"L'ordre d'une civilisation est constitué par la guerre".

"La politique institutionnelle établit la poursuite de la guerre par d'autres moyens".

"La guerre idéologique actuelle n'est pas fondée sur des conceptions éthiques et morales : la guerre politique est elle-même une guerre culturelle ; la lutte de ceux qui reconnaissent les ennemis et le pouvoir".

La réflexion doctrinale qui suit est sans doute une création et en même temps un héritage : dans mes lectures et définitions, j'ai réussi à reconnaître deux aspects qui caractérisent ma tranchée politique: en philosophie, je me considère comme un zubirien et en théorie politique, comme un schmitien. Après avoir précisé ce détail important, permettez-moi de commenter une approche générale du concept de guerre politique.

Commentaire général sur l'état culturel et l'état administratif

La distinction entre l'État administratif et l'État culturel n'est pas anodine, elle est nécessaire, stratégique et radicale ; dans l'un on discute des procédures et dans l'autre on définit l'unité et l'identité politique d'une société : l'État administratif est ce système juridique bureaucratique qui applique la loi et l'État culturel est celui qui est fondé sur des principes philosophiques, doctrinaux et pratiques qui ont trait à la maturité politique d'un peuple. L'État culturel n'est pas une structure institutionnelle ; c'est une philosophie, ultra-métaphysique, mais il informe et façonne certainement le symbole institutionnel, le signifie, lui donne un sens.

Cependant, il est récurrent de trouver des jugements sur l'Etat en général, qui semblent germer à partir de biais idéologiques particuliers et non d'une compréhension véritable et radicale de l'être humain et de son être social, qui définit réellement un état actuel : certaines doctrines critiquent l'Etat à partir d'un positivisme philosophique pratique, matérialiste et d'autres à partir d'un prisme idéaliste et romantique.

 Dans ce contexte, il est défini que :

    - L'état culturel est la conjonction réelle et formelle d'une croyance synthétisée avec une organisation sociale complexe. La croyance n'est pas ici une question superficielle: c'est l'enracinement social des principes éthiques et moraux qui nous caractérise en tant qu'êtres humains particuliers, uniques, spéciaux.

    - L'État culturel est l'expression formelle de la dimension politique systémique d'un peuple: il s'agit d'une conscience politique individuelle et sociale, et non idéologique, car elle correspond à l'objectif supérieur de responsabilité que les êtres humains ont envers eux-mêmes et leurs semblables.

    - L'État culturel est une conscience politique intégrale car il n'est pas organisé selon des principes idéologiques de classe, mais selon des principes culturels.

    - L'État culturel, étant une théorie ultra-métaphysique, est antérieur et supérieur à l'État administratif constitutionnel. Cependant, elle fait partie et est l'expression de la loi fondamentale d'un peuple. À cet égard, il ne devrait y avoir aucune contradiction entre l'État culturel et l'État administratif: chaque fois qu'il y en a une, la cohérence sociale est démantelée parce que la contradiction sépare toujours le concept de culture en État-économie-religion-société politique et société civile, alors qu'en fait, tous sont et se fondent - acquièrent un sens - dans le même Être ; l'État culturel et le concept de la politique sont ici en pleine conjonction et cohérence philosophico-pratique.

Cependant, tout comme l'État administratif constitutionnel moderne est fondé sur des bases juridiques qui régulent et modèrent les relations humaines, sa projection historique dépend de sa manifestation institutionnelle : une élite bureaucratique représente sa défense contre les ennemis internes de ce même État. Mais un État culturel est soutenu et projeté en vertu d'un travail de renseignement systématique représenté par une avant-garde intellectuelle: une élite politique vivifie sa défense contre une multiplicité d'ennemis au sein de l'État administratif qui, pour des raisons idéologiques, cherchent la subversion culturelle de cet État; c'est-à-dire sa dissolution philosophique, doctrinale et pratique; sa signification et son sens.

Du point de vue d'une nouvelle doctrine de l'État, cette distinction entre un État bureaucratique et un État culturel doit être prise au sérieux : c'est une obligation intellectuelle et donc stratégique de comprendre que les relations de contre-pouvoir subversif se produisent naturellement de manière inexpugnable au sein des États ou des unités politiques tels que nous les concevons aujourd'hui ; c'est-à-dire qu'en vertu du fait qu'aucun État n'est absolu ou éternel, réellement et naturellement, l'expression de la guerre repose essentiellement sur la définition d'un système d'alliances dans lequel d'une part - selon la démocratie bourgeoise multipartite - 1) il conditionne un pouvoir politique qui a la volonté de décision de défendre l'État bureaucratique constitutionnel et d'autre part, 2) il couvre la prolifération de groupes politiques marginaux qui s'organisent illégalement pour faire la guerre à l'État administratif. La guerre politique est définie dans ce contexte d'alliances entre États amis ou États ennemis comme un rapport de force politique radical, dans lequel la discorde/discordance politique fondamentale historique ou particulière, qui se manifeste évidemment en permanence, est réglée et résolue selon l'urgence, l'intensité et la gravité.

À qui revient donc la responsabilité de défendre l'État culturel ? Qui sont les amis ou les ennemis de cet État culturel ? Tout comme la défense de la constitution (le fondement de l'État) est la responsabilité du président, la défense de l'État social historique, propre et politique culturel est la responsabilité de l'élite intellectuelle. Dans cet aspect théorique, certaines questions se posent : existe-t-il une élite intellectuelle au Chili ? Avons-nous la conscience et la maturité politique nécessaires pour savoir reconnaître notre état culturel?

La nécessité de réfléchir à la Guerre-Politique

Afin de donner une réponse franche à la question posée dans le titre de cet article, considérons ce qui suit :

Lorsque je fais référence au mot "monde", je parle d'un ordre culturel qui caractérise certains groupes d'êtres humains rassemblés sous les fondements d'une vision du monde : une définition de l'être humain, de la famille, de l'État, de la société qui transcende et caractérise une civilisation. Face à une telle définition, je m'interroge :

Notre monde occidental est-il démantelé ? Et si, après une réflexion honnête, nous partons du principe que oui, que devons-nous faire? La guerre face à la décadence? Le retour à une politique "saine"? Quoi?

L'histoire de l'humanité est peut-être l'histoire de la guerre: une guerre historique caractérisée par l'utilisation de la force physique; des armes, de la mort, des ennemis et des empires. Cette guerre traditionnelle est celle qui germe des désirs les plus féroces des êtres humains: que ces désirs soient motivés par l'épopée et la justice, ou par la haine ou le mal, la réalité de la guerre, circonscrite dans un être et un acte politique transcendant, doit être reconnue. Indépendamment des émotions particulières que nous éprouvons tous, il est impératif d'assumer que la guerre est un fait historique qui a marqué, comme une encre indélébile, nos grands projets de développement social. La guerre est une vérité que tout idéaliste (qui idéalise la vie humaine) n'acceptera jamais comme un fait concret, réel et actuel.

Cependant, il est souvent effrayant et exaspérant, comme un véritable parti pris acquis, de ne serait-ce que parler de la guerre - que ce soit dans l'espace du fantasmatique ou du mythique, ou comme une conversation profonde et analytique digne de réflexion - et qu'au lendemain de l'invasion des terres ukrainiennes par la Fédération de Russie, la question de la guerre est devenue, aujourd'hui plus que jamais, la cause de l'inhumain ou des serviteurs de Satan.

Cependant, au-delà des considérations qui révèlent des peurs ataviques et des résistances psychologiques à devoir assumer la radicalité des motivations humaines, dans leurs motivations et conséquences les plus profondes, c'est un devoir et une obligation de prendre au sérieux et véritablement la cause de la guerre. En ce sens, il est correct de définir que la guerre est, par excellence, une action politique radicale qui concerne le pouvoir fondamental des États culturels: en d'autres termes, la guerre fait partie de ce que nous faisons et de notre réalité sociale et politique primaire. La guerre concerne donc l'homme et l'humanité.

Comprenons-nous ce qu'est la guerre ? Nous avons beaucoup appris sur la conception intégrale de la guerre grâce à des auteurs aussi pertinents que le mythique oriental Sun Tzu et d'autres aussi influents dans la philosophie politique que Niccolò Machiavelli. Mais à notre époque, la science militaire s'est imprégnée de théoriciens aussi brillants que le stratège prussien Carl von Clausewitz. Cependant, il n'est pas dans mon intérêt maintenant de citer ces auteurs, ni de parler de la guerre dans les termes qu'ils ont avancés et perpétués dans une bibliographie aussi abondante.

Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est d'aborder une nouvelle vision sincère - et pas seulement consciente - et intelligente de ce qu'est radicalement la guerre dans la vie des êtres humains et de ses conséquences nécessaires et réelles en politique : je me réfère donc au contexte transcendantal dans lequel notre société chilienne doit acquérir une Unité et une Identité politiques culturelles et systémiques, afin d'assumer la guerre politique comme forme (incorporée au système étatique) et moyen (pour résoudre la crise et le conflit politiques actuels) de lutte et d'extermination de tout type de subversion insipide ou organique.

Tout ce qui précède, à propos de la tentative fanatique et psychopathe de la gauche déconstructionniste qui, s'incarnant dans la Convention de destitution, a défini la destruction institutionnelle de la République du Chili sans aucun fondement véritable et historique.

En bref, si la guerre est une action politique systématique et quotidienne intégrée à la vision complexe du monde des êtres humains, alors la politique pratique est le résultat cristallisé de cette action : la politique est croyance, culture et société. Philosophie créatrice de réalité.

Il n'y a pas de politique sans guerre et de guerre sans politique

Lorsque nous parlons de guerre et de politique dans ce commentaire théorique, je ne parle pas de guerre conventionnelle ou de politique partisane. La guerre est ici le développement quotidien, systématique et pratique des relations humaines dans le domaine de la discorde-discordance ; c'est-à-dire le développement complexe des relations de pouvoir dans l'expérience sociale de l'être humain. La politique, en vertu d'un tel concept, est l'incarnation d'une philosophie appliquée à la croyance cultivée qu'est la société.

Si l'on considère la définition étymologique de la guerre - du germanique Werra : désordre, discorde, divergence - on suppose immédiatement qu'un tel flux quotidien de l'expérience humaine naît de notre Être parce qu'il est une condition de notre nature humaine : médiés par nos émotions (de manière viscérale) et notre raison (de manière concrète et intelligente), la discorde et la divergence, en tant que véritable sentiment fondamental dans l'action de l'Être humain, se cristallisent ensuite dans les faits concrets de notre réalité et l'actualisent constamment. Cette actualisation régit les relations humaines parce qu'elle institue - en fonction de l'ampleur politique de la résolution de cette discorde/discordance - des relations de pouvoir : ces relations de pouvoir peuvent être coutumières-symboliques ou institutionnelles. La politique, étant la philosophie appliquée à la croyance, à la culture et à la société, se constitue comme un être et un faire intimement mêlés à la guerre.

Toutes ces considérations doctrinales prennent de la valeur aujourd'hui, alors que notre société chilienne pèse les coûts culturels d'un processus historique de subversion politique qui a confisqué-exproprié l'État administratif chilien à ses fins idéologiques. La convention destituante est la prétention formelle de refonder la République du Chili en cohérence claire avec cette subversion culturelle qui a caractérisé la gauche déconstructionniste chilienne, et qu'en fin de compte, après qu'il lui soit possible de compléter son œuvre, sous la protection du pouvoir politique de l'État, la voie est tracée pour réussir son objectif historique : celui de fonder un nouvel État culturel et de configurer ainsi un nouveau type d'Être humain qui a oublié de force sa culture historique.

Si la guerre est politique et la politique est guerre, ceux qui vivent cette prémisse doctrinale sont appelés à devenir des professionnels qui combattent sans naïveté ni idéalisme abstrait pour la défense de l'état culturel que nous voyons aujourd'hui assiégé par l'ennemi. Ce jalon doit être le premier moment de la création d'une élite intellectuelle qui transcende le temps historique pour défendre l'État culturel.

Jorge Sánchez Fuenzalida

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JORGE SÁNCHEZ FUENZALIDA est l'auteur de GUERRA IDEOLÓGICA: SUBVERSIÓN Y EMANCIPACIÓN EN OCCIDENTE

Il prépare actuellement un intéressant travail de recherche qui vise à approfondir les thèses présentées dans son premier livre, lesquelles sont liées à l'affirmation que le communisme, compris comme un grand processus d'action idéologique, a pour but l'émancipation culturelle, c'est-à-dire l'abolition du système de croyance dominant de la culture chrétienne occidentale.

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Pour commander l'ouvrage: https://editorialeas.com/guerra-politica-al-interior-del-estado-cultural-por-jorge-sanchez-fuenzalida/

dimanche, 15 mai 2022

L'économie politique de la vitesse

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L'économie politique de la vitesse

par Carlos Perona Calvete

Source: https://www.ideeazione.com/leconomia-politica-della-velocita/

Le Nu descendant un escalier n° 2 de Marcel Duchamp n'est pas un nu, comme le souligne le théoricien français de la culture Paul Virilio. C'est un flou perçant. Nous ne voyons pas un corps, mais une séquence. Il ne s'agit pas non plus d'une séquence telle que nous nous en souvenons - le moment où quelqu'un regarde en bas du haut de l'escalier, sa main se posant un instant sur la rampe à mi-hauteur, etc. Il s'agit de la séquence en un seul travelling abstrait.

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Le Dynamisme d'un joueur de football de Boccioni est différent. Le futuriste calabrais abstrait également la forme humaine, plus que Duchamp, mais il prend ces angles fragmentés et les assemble en quelque chose comme une sphère. Son dynamisme est une entité unique avec un centre. Un joueur de football, habituellement si direct, est présenté en position et pourtant en mouvement. Si nous devions imaginer un artiste martial démontrant son habileté sans avoir besoin d'un adversaire, cela ressemblerait à la vision de Boccioni. Ici, le dynamisme est vraiment un nom, une entité, plutôt qu'un verbe. Ses nombreux vecteurs de mouvement n'ont pas non plus d'arêtes vives et dentelées. Ils sont un peu comme un tissu balayé par le vent.

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Paul Virilio, auteur, entre autres, de Vitesse et politique, a écrit que "si le temps est de l'argent, la vitesse est le pouvoir". Nous pouvons suggérer que le succès d'un ordre politique (y compris le quatrième pouvoir) à utiliser la vitesse dépend de sa capacité à générer de la nouveauté. Pour maintenir l'attention d'une population sur quelque chose, il doit y avoir l'apparition de signaux objectifs cohérents indiquant l'urgence, de préférence croissante, de cette question. Les nouvelles doivent être diffusées en continu et une certaine mesure de robo-anonymisation est nécessaire si l'on veut éviter la désensibilisation. La succession de crises dans lesquelles l'état d'urgence de Schmidt prend le pas sur les normes légalement et socialement établies, comme le note Agamben, est précisément pertinente ici. Nous constatons que la politique a besoin d'un élan, craignant que si elle s'immobilise, elle ne soit pas en mesure de se relever (pour fabriquer à nouveau un consensus).

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En ce qui concerne les dommages extrêmes que cette utilisation politique de la vitesse peut avoir sur une population, nous pouvons réfléchir à l'apparence que prend la nouveauté constante au bord de la route depuis l'intérieur d'une voiture en excès de vitesse. Elle tend vers l'obscurcissement. C'est ce que note Paul Virilio. Pour notre part, nous pouvons le relier à l'estompement de la différenciation humaine, au point qu'une civilisation peut devenir tellement enivrée par la propulsion du "progrès" qu'elle se sent capable non seulement d'abolir les frontières, mais même de légiférer sur des réalités telles que le genre. Il ne les voit plus, tout est confus.

En termes de géopolitique, l'agilité logistique est l'une des raisons pour lesquelles "la vitesse, c'est le pouvoir". La possibilité de transporter des marchandises de la Chine à Londres, par exemple, donne l'impression d'une présence réelle et permanente. Les articles chinois qui remplissent les étagères des magasins sont toujours nouveaux, mais on peut les concevoir comme des éléments permanents de son caddie car ils sont réapprovisionnés de manière fiable. La rapidité et la stabilité de la logistique - en l'occurrence les chaînes d'approvisionnement - créent de la présence. La Chine est présente à Londres parce qu'elle peut s'expédier elle-même de manière rapide et cohérente. Le centre d'où provient cet envoi n'est apparent que lorsqu'il ne le fait pas, et les acheteurs sont obligés de réfléchir à ce contexte parce qu'ils ne connaissent généralement pas les rouages d'un iPhone.

La vitesse produit donc la dépendance, et la dépendance peut être comprise comme une dynamique de pouvoir si l'entité sur laquelle on compte a accès à des marchés alternatifs alors que l'entité dépendante n'en a pas. Ceci étant, il est logique que les puissances montantes cherchent à hériter non seulement du matériel mais aussi de l'élan des structures précédentes. Lorsque Jan Huyghen van Linschoten et Cornelis de Houtman ont découvert les routes commerciales portugaises, celles-ci ont été reprises par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Lorsque la domination britannique sur le commerce maritime mondial a décliné, les Japonais ont commencé à desservir les routes commerciales du Pacifique que la Grande-Bretagne abandonnait. Mais les retards dans ce transfert ont donné le temps d'établir des relations commerciales alternatives. Par conséquent, les vides de pouvoir doivent être momentanés ; les transitions doivent être transparentes.

Une implication souvent négligée est que ce ne sont pas toujours les acteurs politiques qui déterminent le contenu idéologique de l'ordre mondial. Le fait que le pouvoir d'un acteur soit basé sur le fait de devenir le nouveau garant des besoins existants va profondément conditionner le projet de cet acteur. Aujourd'hui, il serait absurde pour la Chine, par exemple, de ne pas s'insérer dans les structures mondiales existantes et de renoncer à la tâche de construire des arrangements alternatifs (sauf en cas de nécessité). Ce qui est plus intéressant, cependant, c'est que la Chine ne maintient pas seulement la structure de l'ordre mondial, incluant potentiellement une monnaie ancrée dans le pétrole (du moins à moyen terme), mais aussi sa direction.

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L'Agenda 2030 des Nations Unies est pertinent ici. Il convient de noter que cette transformation ambitieuse de l'économie mondiale a lieu précisément à un moment où nous semblons assister au déclin définitif de l'hégémonie (mais pas nécessairement de la prééminence) des États-Unis. Dans son discours d'ouverture du Forum économique mondial en janvier dernier, le président chinois Xi Jinping a souligné l'importance des diverses priorités politiques de l'organisation, des vaccins COVID-19 et des nouvelles technologies telles que la 5G à la réalisation de la neutralité carbone, mais il a spécifiquement fait référence à la nécessité de ne pas ralentir le rythme de l'économie mondiale. Il doit continuer car l'alternative est de risquer le déraillement : "Si les grandes économies freinent ou font volte-face dans leurs politiques monétaires, il y aurait de sérieuses répercussions négatives. Pourtant, c'est aussi une force de la nature, un fait historiquement déterminé qui ne peut être arrêté : la mondialisation de l'économie est la tendance du moment. Il y a certes des contre-courants dans une rivière, mais aucun ne peut l'empêcher de couler vers la mer. Les forces motrices renforcent l'élan de la rivière, et la résistance peut encore améliorer son débit. Malgré les contre-courants et les dangereux hauts-fonds qui jalonnent son parcours, la mondialisation économique n'a jamais changé de cap et ne le fera jamais".

Cela s'est accompagné d'un éloge familier de l'intégration économique mondiale comme un bien moral en termes de significations fluctuantes telles que "ouverture", "union" et "vitalité".

Nous devons supprimer les barrières, et non ériger des murs. Nous devons nous ouvrir, et non nous fermer. Nous devons rechercher l'intégration, et non le découplage. C'est la voie à suivre pour construire une économie mondiale ouverte... pour rendre la mondialisation économique plus ouverte, inclusive, équilibrée et bénéfique pour tous, et pour libérer pleinement la vitalité de l'économie mondiale.

À cette fin, les structures existantes doivent rester en place, et les nouvelles technologies dans lesquelles ces structures se sont déjà engagées doivent être poursuivies :

Nous devrions... soutenir le système commercial multilatéral avec l'Organisation mondiale du commerce en son centre. Nous devrions établir des règles généralement acceptables et efficaces pour l'intelligence artificielle et l'économie numérique sur la base d'une consultation complète, et créer un environnement ouvert, équitable et non discriminatoire pour l'innovation scientifique et technologique.

Ces structures assurent l'unité mondiale.

Nous sommes tous d'accord pour dire que pour faire passer l'économie mondiale de la crise à la reprise, il est impératif de renforcer la coordination des politiques macroéconomiques. Les grandes économies doivent considérer le monde comme une seule communauté, penser de manière plus systématique, accroître la transparence des politiques et le partage d'informations, et coordonner les objectifs, l'intensité et le rythme des politiques fiscales et monétaires, afin d'éviter que l'économie mondiale ne s'effondre à nouveau.

La Chine, semble-t-il, est déterminée à maintenir la dynamique des tendances actuelles de l'économie mondiale, dirigée par les Nations Unies, face au COVID-19 et, pourrait-on ajouter, malgré la possible transition du pouvoir de l'hégémonie américaine, dont le discours de Xi Jinping à Davos est une indication. Nous avons noté que le président chinois fait référence aux dangers de freiner et de faire demi-tour par rapport aux développements actuels dans le monde.

Il n'y a rien d'extraordinaire dans cet accent rhétorique sur la croissance, le déterminisme historique, la vertu de l'ouverture et l'unité d'action mondiale. Encore une fois, ceux-ci articulent la logique inhérente des institutions à travers lesquelles le pouvoir mondial se manifeste, et seront donc les piliers de tout acteur qui cherche à obtenir la prééminence mondiale principalement en utilisant de telles institutions.

Nous avons l'habitude de considérer les structures de pouvoir dominantes comme idéologiquement engagées de manière à répondre à une sensibilité spécifiquement occidentale, mais cela risque de masquer la mesure dans laquelle des initiatives mondiales telles que l'Agenda 2030 représentent une opportunité économique de créer, promouvoir et établir une domination a priori sur de nouvelles industries - la soi-disant "quatrième révolution industrielle". (La question de savoir si les technologies associées représentent une valeur ajoutée du point de vue de la prospérité humaine est entièrement différente - elles pourraient probablement être utilisées de manière édifiante, si cette utilisation était sélective, mais nous débattons de leur diffusion massive prévue).

Bon nombre des objectifs de développement durable des Nations unies sont clairement orientés vers la réalisation d'entreprises d'ingénierie sociale conformes à une vision du monde spécifique, mais l'opportunité économique évidente de lancer la 5G, l'Internet des objets ou les véhicules à conduite autonome est une incitation en soi. Si nous devions tenter une évaluation neutre de l'impact que l'application massive de ces technologies à une série d'activités quotidiennes est susceptible d'avoir (qu'elle soit menée sur la scène mondiale par Biden ou Xi Jinping), nous pourrions parler d'une expansion radicale des capacités de surveillance et de collecte de données, ou - plus subtilement - d'une atrophie des facultés relationnelles et réflexives de l'homme.

En outre, on peut suggérer que des éléments spécifiques de la postmodernité occidentale (tels que le libertinage sexuel ou l'appel à la migration de masse comme exercice de charité collective et de justice historique) transcendent la généalogie des idées qui les ont générés, ayant une valeur en tant que technologies de contrôle social, compte tenu de conditions spécifiques. Peu importe que les innovations les plus excentriques de l'Occident en matière de déconstruction de la tradition aient été réalisées par le biais d'un courant intellectuel spécifiquement occidental : si elles contribuent à atomiser la société et à accroître le contrôle de l'État ou des entreprises, elles seront incitées à être reprises par les élites de sphères culturelles très différentes.

Cela étant, on peut imaginer qu'ils survivent aux élites politiques qui les soutiennent actuellement et qu'ils soient tactiquement employés par une certaine élite rivale. Au-delà, le brouillage des catégories humaines peut être intrinsèque à l'utilisation de la technologie génératrice de nouveauté sensorielle dans les médias de masse (cerveau Zoomer accro à Internet), et donc au pouvoir que ceux-ci permettent à leurs responsables d'exercer sur une population.

La question posée par ce qui précède est de savoir comment ramener la politique, ou l'exercice délibéré de l'éthique de la vertu au niveau collectif, dans les affaires mondiales, soit 1) en perturbant la dynamique actuelle sans infliger ces "retombées négatives" dont Xi Jinping met en garde les populations vulnérables, soit 2) en faisant un usage sélectif de la dynamique existante d'une manière qui pourrait éventuellement la transformer.

Si nous revenons à notre représentation futuriste d'un joueur de football, la clé ici pourrait être de s'assurer que le dynamisme (plutôt que la distorsion) agit comme un voile pour une entité qui est clairement localisée, ressemblant aux courbes de tissu de Boccioni autour d'un centre, plutôt que de fusionner des formes ensemble sur un spectre. Ceci est probablement inséparable du rejet de la croissance et de l'innovation en tant que portails à travers lesquels nous pourrions recevoir une vision du bien - elle ne viendra pas dans l'image floue de l'espace qui se courbe autour de nous, mais dans le raffinement d'un dynamisme figé. Nous devrons déterminer comment la technologie peut être intégrée au mieux dans un sens clairement défini de la santé sociale. Des structures alternatives conformes à cette éthique, offrant une production et des chaînes d'approvisionnement locales résilientes, devront être établies afin que les changements dans le commerce mondial ne nuisent pas aux communautés.

Dans les relations internationales, cela peut se traduire par l'émergence de blocs de pays dont l'intérêt est de "changer de vitesse" sur la mondialisation, comme le dit Ha-Joon Chang,

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Le plus grand mythe de la mondialisation est qu'il s'agit d'un processus mû par le progrès technologique ..... Toutefois, si la technologie est ce qui détermine le degré de mondialisation, comment expliquer que le monde était beaucoup plus mondialisé à la fin du XIXe et au début du XXe siècle qu'au milieu du XXe siècle ? ... La technologie ne fait que fixer la limite extérieure de la mondialisation ... C'est la politique économique (ou la politique, si vous préférez) qui détermine exactement le degré de mondialisation et dans quels domaines.

Il existe, bien sûr, des pressions positives très claires dans ce contexte. Les récentes crises autour de la pandémie de COVID-19 et de la pénurie d'équipements médicaux, ou la vulnérabilité de l'approvisionnement énergétique de l'Europe en raison de la guerre en Ukraine, peuvent amener les gouvernements à favoriser un raccourcissement des chaînes d'approvisionnement et à s'orienter vers une relative autarcie. Cela saperait l'architecture de l'ordre mondial existant et la capacité de toute puissance mondiale à en tirer profit et à exercer une influence par ce biais. C'est pourquoi la Chine a tenté de dissuader les décideurs de cette option lors du Forum économique mondial. Au contraire, cela pourrait conduire à une version économiquement plus robuste de ce que nous avons déjà.

Des développements positifs pourraient être servis par l'attrait d'engagements idéologiques explicites face aux appels technocratiques au bien neutre du progrès, par le pouvoir galvanisant de la rébellion contre les dynamiques de pouvoir que ces appels dissimulent, et par le pouvoir doux exercé par une culture qui se désengage de la vitesse toujours croissante de la politique. Pour l'instant, cependant, nous devons être clairs sur le fait que ce type d'alternative, s'il est à l'horizon, n'est pas encore arrivé sur la scène des affaires mondiales.

7 mai 2022

jeudi, 12 mai 2022

"La transmutation totale du progressisme doit être radicale, complète et étrangère à la partitocratie et au néolibéralisme"

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"La transmutation totale du progressisme doit être radicale, complète et étrangère à la partitocratie et au néolibéralisme"

Nous avons interviewé Carlos X. Blanco auteur du livre "Le marxisme n'est pas de gauche".

Par Carlos Pérez- Roldán Suanzes- Carpegna

Nous avons interviewé Carlos X. Blanco, qui a récemment publié El Marxismo no es de izquierda (le marxisme n'est pas de gauche), un ouvrage dans lequel il démonte les sophismes de ceux qui se disent défenseurs des travailleurs.

- Tant le PSOE que Podemos insistent pour nous convaincre que les droits des travailleurs sont en sécurité avec eux. La gauche actuelle est-elle vraiment engagée dans la défense des travailleurs ?

Pas du tout, de manière générale et en référence aux organisations majoritaires. En réalité, ceux qui se définissent comme des gauchistes et des progressistes suivent, en général, les dictats d'un agenda créé par une élite urbaine et apatride, qui, en Espagne, fait partie de la caste des universitaires, des ONG, des syndicats, des fonctionnaires, etc. C'est une élite qui regarde avec beaucoup de hauteur et d'arrogance le travailleur salarié et le modeste indépendant, l'Espagnol qui se lève tôt, qui s'efforce de subvenir aux besoins de sa famille et qui lutte pour joindre les deux bouts. Ils méprisent aussi profondément les agriculteurs, qu'ils qualifient de réactionnaires, de carnivores, d'ennemis du développement "durable". Ces haineux font partie d'une caste qui n'a pas quitté le pouvoir depuis le Felipismo, pas même dans les législatures théoriquement conservatrices d'Aznar et de Rajoy: ce sont les mêmes qui détestent les indépendants, tous ceux qui ne dépendent d'aucune autorité ou subvention pour leur dire ce qu'ils doivent penser correctement, ils détestent ceux d'entre nous qui ne vivent pas de subventions ou d'avantages. Cette élite gauchiste post-moderne (ou progressiste) est le résultat immédiat des agressions commises par le felipismo contre l'ensemble de la classe ouvrière, et elle n'a cessé de se reproduire et de s'étendre depuis lors. C'est une élite ochlocratique, qui déteste le talent et s'attaque toujours aux secteurs les plus productifs du pays. Felipe González a pris sur lui, dans les années 1980, de démanteler le tissu industriel qui avait été rapidement et solidement créé par le défunt régime franquiste.

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La neuvième puissance industrielle du monde était l'Espagne que Franco a laissée derrière lui à sa mort, une place d'honneur obtenue par un peuple alors très endurant et responsable, dirigé par des critères techniques plutôt qu'idéologiques ; même si, à vrai dire, l'Espagne était une puissance économique pleine de contradictions internes à résoudre et qu'il n'y avait aucune volonté de les aborder. L'une de ces contradictions était l'absence d'une véritable intégration du facteur travail dans les structures de l'État, avec une représentation adéquate des producteurs et des mécanismes de négociation du travail non classistes et non libéraux qui minimiseraient les conflits endémiques de l'époque. Un modèle organique de représentation et de négociation était nécessaire, des systèmes non partisans qui protégeraient les travailleurs de l'instrumentalisation des "syndicats de classe" qui étaient, et sont, à proprement parler, les courroies de transmission et les bras d'exécution des partis "progressistes". Ceux-ci, à leur tour, se sont avérés être des marionnettes contrôlées par le capital étranger, ultra-subventionnées et achetées, avec un très faible militantisme et une très faible participation : ils ont été créés afin de démanteler la nation au niveau productif et de nous transformer en la triple colonie que nous sommes maintenant : une colonie des États-Unis, de Bruxelles et du Maroc, peut-être dans cet ordre. La gauche autoproclamée d'aujourd'hui ne fait que servir de bélier à la politique néolibérale sauvage et criminelle déjà initiée par les ministres de Felipe (Solchaga, Boyer), une politique économique qui a toujours eu le soutien de fait (sous couvert de critiques purement verbales et testimoniales) des communistes, honteusement reconvertis en "Izquierda Unida" (Gauche unie). Aux heures décisives, les communistes de l'IU ont presque toujours soutenu les gouvernements socialistes des municipalités et des communautés autonomes, et les syndicats ont participé à la corruption et à la cooptation des dirigeants ouvriers, à la domestication des rebelles, pour les faire entrer dans le rang et permettre au capital d'exercer sa domination.

Le repli de la gauche postmoderne et indéfinie, de plus en plus anti-marxiste, dans l'univers délirant de ce que Prada appelle à juste titre les "droits de la culotte" et la gestion hédonique des fluides corporels, les questions de "violence du pénis", etc, avec le multiculturalisme et le "génératisme" obligatoires, ainsi que la capitulation devant l'Islam et les puissances qui le promeuvent, est la trahison la plus dégoûtante du marxisme et de tous les autres courants et traditions de lutte pour la justice sociale. Ce progressisme anti-marxiste et post-marxiste, comme celui de Podemos et de ses mutations et franchises, collabore à la liquidation de notre peuple. Il n'y a pas de libération du peuple si le peuple n'existe plus. Dans vingt ans, en 2042, le peuple espagnol n'existera plus.

- La gauche est-elle tombée dans le piège de la défense du marché et des grands dogmes libéraux ?

Complètement. C'est pourquoi ils ne comprennent plus le Das Kapital de Marx. Ils ne savent pas le lire, et s'ils le lisaient intelligemment, peut-être cesseraient-ils de s'identifier à la gauche et opteraient-ils pour les notions de souverainisme et de troisième position. C'est pourquoi, à d'honorables exceptions près, la gauche post-moderne qui n'a pas quitté le wagon du pouvoir, et qui ne cesse de créer des "marques blanches" pour compléter les montagnes russes du PSOE (Podemos, Más País, divers séparatistes...) n'a pas la moindre idée des lois économiques du capitalisme. C'est pourquoi la gauche dégénérée ne fait que des extrapolations métaphoriques des lois du marché. Le virus du libéralisme est si profondément ancré dans leur cerveau qu'ils ne peuvent qu'appliquer la logique mercantile et réifiante du Capital, et supposer tacitement et inconsciemment que la personne est une marchandise dont l'emballage peut être modifié à volonté. Aujourd'hui, je suis un homme, demain une femme, le jour suivant une grenouille et la semaine prochaine un alien. L'homogénéité et la non-différenciation des marchandises, la réduction des essences et des qualités du monde à de simples transactions économiques entre des atomes post-humains se reflètent dans une société comme celle qu'ils veulent construire : une société de fourmis où il n'y a pas d'identités sexuelles, nationales, religieuses ou autre. C'est le triomphe de l'abstraction. L'homme est déjà une marchandise.

C'est pourquoi dans mes livres, et notamment dans celui-ci, El Marxismo no es de Izquierdas (EAS, 2022), je défends un retour à la rationalité. Je défends le retour à la justice sociale, au noyau rationnel du marxisme, au droit des peuples à se défendre communautairement contre tous ces outrages législatifs, répressifs et idéologiques dirigés contre les travailleurs. Une agression contre les travailleurs qui est, en même temps, un ensemble d'agressions contre notre État national, une entité qui doit redevenir souveraine face au mondialisme et à la colonisation. Franco a admis, bien que de manière limitée, que les Yankees s'immisceaient dans notre souveraineté, peut-être parce que nous manquions de pain. C'est le sort des peuples brisés et pauvres. Mais le régime de 1978 n'a fait que nous enfoncer de plus en plus dans l'indignité: au point que nous sommes une extension du sultanat du Maroc. Voilà leurs jeunes qui viennent étudier gratuitement chez nous et leur population excédentaire vient repeupler une terre désolée, et nous acceptons encore et encore leurs décrets unilatéraux.

En tout cas, il y a une partie de la gauche, la plus en phase avec le marxisme authentique et la plus éloignée de la folie radicale féministe, animaliste et lacunaire (celle d'Ernesto Laclau), qui se rebelle. Récemment, en ce mois de mai, un numéro du magazine El Viejo Topo est paru avec un dossier consacré au livre de Fusaro auquel j'ai participé. Il y apparaît clairement quel genre de "gauche" est celle qui se limite à disqualifier un géant de la philosophie actuelle, tel que Fusaro, un érudit ayant écrit des dizaines de livres philosophiques que les progressistes ne liront ou ne comprendront jamais, en les traitant, avec une grande impudence, de "cantamañanas". Ces paresseux qui écrivent sur les ordres de Soros dans leurs pamphlets et traînent leur héritage dans les couloirs des universités veulent maintenant être une "police de la pensée". Ils pensent qu'en se faisant traiter de "rojipardo" (de "rouge-bruns") ou pire, ceux qui s'opposent réellement au capitalisme vicieux et à la perte de souveraineté se tairont. Si seulement ils pouvaient travailler pour une fois, y compris sur le plan intellectuel. Ce serait une autre histoire si nous avions une plus grande proportion de jeunes studieux, rigoureux et productifs et non une bande de bimbos hostiles au travail.

Il existe une gauche et un anticapitalisme qui n'est pas à la botte du mondialisme. C'est pourquoi elle publie gratuitement chez EAS, dans Letras Inquietas, dans El Viejo Topo, dans Adáraga, dans La Tribuna del País Vasco, dans Tradición Viva... Le public le plus agité peut avoir accès en ces lieux à des textes fondamentaux de Cruz-Sequera, de Fusaro, de Steuckers, de Preve, de Denis Collin.

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Après la mort de Franco, peut-on considérer que les politiques socialistes visant à démanteler le système destiné à protéger les travailleurs et les familles étaient délibérées?

Je pense que le modèle partitocratique, avec ses innombrables tentacules et extensions dans les syndicats, les associations d'entreprises, les ONG, etc. a été désastreux. Ce modèle a servi à neutraliser la pression de la classe ouvrière face à la poussée néolibérale qui a commencé avec l'ère Thatcher, Reagan, etc. et a permis d'adapter l'agression néolibérale à l'Espagne avec des mesures identiques mais certifiées avec l'approbation de la "gauche". Il semble que les autres voies possibles de transition vers un autre régime post-franquiste aient été délibérément bloquées afin de garantir la domination mondialiste sur l'Espagne et de parvenir à sa neutralisation effective. Vous savez: un concurrent de moins. Pour faire de la nation la triple colonie qu'elle est aujourd'hui. Je répète: colonie des États-Unis, de l'UE (Allemagne) et du Maroc. Il y avait beaucoup d'argent pour que Felipe monte sur le podium et fasse de l'Espagne un eunuque, un impuissant. Un pays de serveurs de café et de bars de plage, un abreuvoir où les étrangers peuvent s'enivrer et vivre du manège aux dépens des impôts d'une maigre classe ouvrière, et d'une classe moyenne en déclin.

Les Asturies, ma nation charnelle, étaient un laboratoire. Et ceux d'entre nous qui l'ont vécu dans les années 80, face à cette neutralisation brutale à laquelle nous étions soumis, devraient toujours l'avoir à l'esprit. Dans les Asturies, jusqu'en 1978, il y avait une culture du travail bien ancrée. Travail dans la "casería", la ferme régionale typique des Asturiens, et travail dans les mines et dans l'industrie. Il s'agissait souvent d'un travail de qualité, exigeant une préparation et une responsabilité maximales, qui se traduisait par des revenus élevés, un haut niveau d'éducation et de culture, etc. Mais l'héritage de l'INI devait être démoli, ainsi que la précieuse tradition d'autosuffisance asturienne qu'était la "casería". Les fameuses reconversions socialistes ont mis fin à tout cela. Aujourd'hui, dans ma patrie, il y a beaucoup de "beodos", les parasites de la "paguita", les singes réfractaires au travail et à l'effort tirés par le PSOE et Podemos. Presque personne n'a plus d'enfants dans les Asturies. Gijón, la ville où je suis né, est pleine d'excréments dans les rues. Vous pouvez difficilement marcher sur les trottoirs sans y mettre les pieds. Il y a plus de chiens que de personnes. Et eux, les quadrupèdes, ont plus de droits que les enfants, ils s'approprient les parcs jusqu'à ce qu'ils deviennent dangereux.

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Il y a de nombreuses années, nous avons essayé d'articuler une réponse spécifiquement asturienne à la décadence en dehors de certains "syndicats de classe" qui faisaient partie du problème et non de la solution. Rien à faire. Bien sûr, rien à faire de la part des secteurs "nationalistes" : peu nombreux mais avec un niveau très élevé en matière de stupidité. Et rien de la "droite", complètement engagée dans le néolibéralisme, indissociable des socialo-communistes, c'est-à-dire de ceux qui ont permis la destruction des secteurs stratégiques de l'industrie et de la campagne. Les autochtones élèvent des chiens, et les étrangers sont les seuls à remplir les jardins d'enfants. J'ai appelé cela "génocide" il y a de nombreuses années. Et j'ai été traité d'exagérateur et supprimé de "Wikipedia" (ce dont je suis reconnaissant aujourd'hui). Le problème existe lorsque les personnes elles-mêmes admettent d'aller à l'abattoir, de leur plein gré et avec le petit drapeau rouge à la main. Les Asturiens, comme la plupart des Espagnols, ont accepté d'aller à l'abattoir. Ce que j'ai vécu dans les Asturies au cours de ces "années décisives", je le vois maintenant dans le reste de l'Espagne. Ceux qui collaborent avec ce régime veulent que nous soyons une colonie, que nous nous laissions envahir, que nous existions comme un peuple castré prêt à être remplacé, et que nous soyons vidés de notre sang par les vampires néolibéraux, les seigneurs de l'argent. Laissez-les profiter de ce pour quoi ils ont voté.

La privatisation des entreprises publiques, l'incorporation de l'Espagne dans l'OTAN, l'intégration à l'Union européenne, le soutien aux mouvements indépendantistes périphériques peuvent-ils être considérés comme des jalons pour parvenir à la subordination de l'Espagne au grand capital?

Bien sûr qu'ils le peuvent. C'est ce que je pense depuis des années. Le colonialisme et la subordination des pays au 20e siècle ont été réalisés fondamentalement par le biais de la subordination financière et des instruments économiques. Et avec le chantage économique, nous, les Espagnols, qui ne devrions jamais oublier l'humiliation et les arts perfides de la bête américaine en 1898, sommes entrés dans l'orbite yankee. Nous, qui avons assisté impuissants à un génocide comme celui des Philippines (un million de morts), dès que l'indépendance a été obtenue par une ruse yankee : la mort programmée d'un million de personnes qui, un peu plus tôt, étaient les Espagnols d'Asie... L'indépendance devrait tirer ces leçons de l'histoire. En Europe de l'Est et dans les Balkans, la Bête a également apporté (et apporte) un génocide.

Que sont nos frères des Amériques depuis qu'ils se sont séparés de l'Espagne ? Esclaves des Yankees, pour la plupart. Leurs républiques se sont-elles améliorées sous le joug anglo-saxon ? Les deux empires anglo-saxons ont toujours été à l'origine de la fragmentation de l'Hispanidad. Tous les anciens Espagnols (Philippins, Américains, Guinéens, Sahraouis) devraient voir ce que leurs "republiquets" sont devenus. Si Madrid leur avait imposé un joug, c'était sans aucun doute un joug plus doux que celui imposé par les Américains. Bordels, casinos et parcs d'extraction de matières premières, esclaves dans l'âme, tel est le destin des ex-espagnols. Outre la puissance du dollar et de l'euro franco-allemand, il y a la puissance du pétrodollar et l'inspiration du croissant de lune. Laissez-les continuer, laissez-les continuer. Ce qui les attend, c'est de tomber dans la poubelle de l'histoire. Les alliés parlementaires du Dr Sánchez qui veulent plus de républiques basques et catalanes, qu'ils continuent sur cette voie.

La gauche espagnole est-elle un rara avis, ou est-elle une partie active d'un processus de dissolution de l'Europe?

Il y a de l'espoir pour une révolte du peuple travailleur et entreprenant, pour un abandon de la nauséabonde "idéologie exaltant les minorités", pour un rejet absolu de l'idéologie post-moderne inventée dans les universités américaines sous une certaine patine post-moderne et structuraliste française. Si elle n'abandonne pas bientôt la folie du génératisme, de la maurophilie, du suivisme moutonnier de l'Agenda 2030, etc., la gauche espagnole se dissoudra dans le néant et la crasse, en même temps que la dissolution de l'identité espagnole elle-même. Cette gauche fera partie du problème, l'agent causal du mal. Si, en revanche, elle revient à la défense du travailleur, du petit entrepreneur, du paysan, il y a une lumière au bout du tunnel.

Le concept marxiste d'aliénation ne se heurte-t-il pas frontalement aux politiques de la gauche européenne, qui s'acharne à défendre bec et ongles le turbo-capitalisme?

Si Marx a parlé d'aliénation, il a parlé d'une "perte de l'essence humaine". Marx est inscrit dans le meilleur et le plus classique de la philosophie (il n'était pas seulement hégélien, il était aristotélicien: l'ousia, l'essence que l'humanité sous le capitalisme perd). Mais cette gauche postmoderne d'aujourd'hui, majoritairement achetée par le Capital, est relativiste et nihiliste. Il n'y a pas d'essence, donc il n'y a rien à perdre. Ils ont décrété l'abolition de l'homme (et de la "femme"). Nous sommes des "choses" qui peuvent être "accordées", modifiées et "déconstruites", telles sont les barbaries qu'ils nous disent. Il n'y a pas de plus grande aliénation que d'être le champion d'un système qui vous anéantit. Les plus aliénés du système sont ceux qui, étant manipulés, instrumentalisés par des élites dont l'idéologie n'est autre que de faire de l'argent, se consacrent à transmettre l'idéologie aux autres et à s'idéologiser eux-mêmes. Le seigneur de l'argent n'a que faire du transgenderisme, de la culture de l'"éveil" et de l'"annulation" (= woke, cancel culture), de l'idéologie lauclaudienne ou du post-marxisme. Ce qu'il veut, c'est augmenter le nombre d'idiots afin de continuer à empocher des bénéfices.

Lorsque je lis certaines choses sur des sites de pseudo-gauche (CXTX, El Salto, El País...), je ne peux que me sentir triste. Beaucoup d'entre eux, auteurs ou lecteurs, sont jeunes. S'ils s'étaient appliqués à leurs études, ils auraient pu remettre en question un grand nombre d'absurdités qui leur ont été enseignées dans les cours universitaires et dans des livres rabâchés. Beaucoup d'entre eux se seraient consacrés à la procréation au lieu de dénigrer les mères et les femmes au foyer. S'ils avaient appris un métier ou s'ils avaient préparé un concours, ils cesseraient de traîner sur les réseaux sociaux ou dans les couloirs des facultés de politique en essayant de "se faire aimer", à la recherche du grand subventionneur, ce dont beaucoup d'entre eux rêvent vraiment : ils rêvent de vivre sans travailler. Beaucoup de ceux qui dénigrent aujourd'hui ceux qui pensent, produisent, procréent et entreprennent, se verront dans quelques décennies comme ce qu'ils sont presque aujourd'hui : vieux avant l'heure, abandonnés par un Système qui les a trompés, un pouvoir qui les a entraînés dans une tranchée de guerre qui n'aurait jamais dû être creusée. Ce sont les zelenskis que nous avons à chaque coin de rue, dans chaque commentaire de profil social, dans chaque critique qui n'en est pas une. Quelqu'un les a encouragés à s'engager dans une guerre médiatique dont ils sont d'avance les perdants. Pendant ce temps, les seigneurs de l'argent, qui ne sont ni de gauche ni de droite, ils sont simplement les seigneurs de leur argent, se frotteront les mains. Vieux et sans enfants, sans amour et entraînés par leur nihilisme, les ex-progressistes de demain seront comme des zombies. Morts dans la vie, qui se rendront compte trop tard qu'ils sont devenus les abatteurs d'un moulin à vent, le fascisme, mais abatteurs eux qui, très végétaliens, ne goûteront pas la viande.

La gauche semble avoir oublié l'économie et s'est tournée avec armes et bagages vers le libéralisme le plus débridé. Est-ce peut-être cette reddition qui justifie qu'ils se vendent maintenant à nous comme des combattants d'un fascisme inexistant ? Ne serait-il pas plus vrai de reconnaître que l'ennemi actuel de l'Occident est le capital sans patrie, sans nom, qui envahit et contrôle tout ?

Les termes sont tellement usés et dépassés qu'ils ne servent plus d'insulte ou d'injure. Elle est déjà "fasciste" ou "pro-russe" ou "populiste" ou "rojipardo" (= "rouge-brune") tout ce qu'ils déplorent. Tant de personnes déplorables vont constituer toute l'humanité à l'exception de cette élite très curieuse. Tant de Nazbols seront produits par ce progressisme qui vit à l'ombre de ce système universel d'exploitation et de domination, que leur élitisme et leur suprémacisme n'en seront qu'accentués et qu'ils deviendront les vrais nazis. Ils traceront une frontière : moi et les déplorables. Une minorité dérisoire dicte déjà comment ceux d'entre nous qui ont de sérieux doutes et objections à ce genre de progrès et à cette dérive d'un R78 qui n'est rien d'autre qu'une vente au rabais de la nation doivent penser et ressentir. Ils ne font que soutenir le libéralisme le plus débridé (un libéralisme qui contredit la propriété privée et la méritocratie, les axes du libéralisme classique et raisonnable), avec ses extravagances, et ils sont prêts à défendre les plus grandes absurdités idéologiques pour que cela ne se remarque pas. Felipe a su être un néo-libéral dans la pratique et un socialiste en surface. La progredumbre post-Sanchez aura du mal à cacher ses excroissances.

Le capital n'a pas de pays. Les travailleurs et la terre le font. Les post- et anti-marxistes de la gauche post-moderne ignorent les bases de l'inter-nationalisme. La lutte pour nos droits se déroule dans un cadre national. Il s'agit d'une "question" nationale. Il est insensé de ne pas comprendre cela. Il est insensé d'identifier le mondialisme et l'internationalisme.

La lecture de votre livre "Le marxisme n'est pas de gauche" permet de conclure que la gauche est passée de l'agnosticisme théologique à l'agnosticisme de la réalité. La défense de l'idéologie du genre, le mouvement d'annulation et sa défense de la mémoire historique sont-ils des manifestations de cet éloignement de la réalité ?

Oui, c'est un détachement de la réalité provoqué par l'absence même d'une ontologie, d'une théorie de la réalité. La gauche post-moderne est intellectuellement indigente et ignore complètement la philosophie classique. Il est urgent de la désintoxiquer des féministes, des animalistes, des structuralistes, des post-structuralistes et de tout le reste. Étudiez Platon, Aristote, Saint Thomas, Kant, Hegel, Marx... avec rigueur, et arrêtez avec les folies car, si vous finissez par les croire, vous finissez par détruire toute la culture et ruiner l'humanité. Je répéterais également ce que j'ai entendu tant de fois de la part de mon professeur, Don Gustavo Bueno : "Je suis un thomiste et un marxiste". On apprend toujours des grands. Puissent les futurs dirigeants du travail, de la lutte sociale, de la justice souveraine, entendre un jour : "nous sommes thomistes et marxistes". Il y a une réalité, et nous devons ramener la politique nationale et mondiale à la réalité. Cela signifiera que la politique aura mis l'économie à genoux, que le facteur travail domine le facteur argent et que l'homme sans entrave qui ne travaille pas ne méritera pas de manger. Nous avons besoin de quelque chose comme ce que Perón appelait une "communauté organisée". Le capitalisme veut créer des réalités virtuelles, véritable opium pour le peuple, pour vivre sur un tas de fumier mais en même temps pour croire ce que Bill Gates met dans votre cerveau, des petites fleurs rouges dans les prés de printemps. Face à cela, l'ontologie des combattants sociaux est une ontologie communautaire et une philosophie de la praxis. Une ontologie réaliste de l'être social : la polis qui se fait et se refait pour la rendre plus vivable et plus humaine.

Il semble que sur la scène politique officielle de l'Occident, seul ce que certains appellent le "progressisme" soit désormais représenté. Y a-t-il un espoir de reconstruire l'homme, la famille et les nations ?

Ma révision particulière du marxisme peut ressembler en partie à ce que certains appellent la "troisième position". Ni l'individualisme libéral, ni le collectivisme. Mettre un frein à tout excès de libéralisme. Du libéralisme classique, je retiens les droits naturels : la vie, la propriété privée résultant du travail et de l'épargne, la liberté de conscience et d'initiative. Peu d'autres choses. Du communautarisme je retiens la communauté organique et organisée, un peuple uni autour du facteur travail, la première école des lettres et des métiers étant la famille, sanctuaire inaliénable, composée d'hommes, de femmes et d'enfants. Du communisme, j'abolis la lutte des classes et je parle d'entente entre les classes afin de forger à nouveau un peuple unifié et souverain, qui est doté d'organisations démocratiques mais non partisanes et qui sait reconnaître les vrais leaders qui le représentent. Un peuple qui possède son destin et sait d'où il vient. L'amendement à la totalité du progressisme doit être radical, complet et étranger à la partitocratie et au néolibéralisme.

mercredi, 11 mai 2022

Le Pragmatisme: Outil d'Analyse d'un Monde Complexe - Questions à Gérard Dussouy

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Café Noir N.44

Le Pragmatisme: Outil d'Analyse d'un Monde Complexe

Questions à Gérard Dussouy

 
 
Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde. Émission du mardi 10 mai 2022 avec Gilbert Dawed & Gérard Dussouy. Le sommaire et le lien du livre de Dussouy ci-dessous.
 
 
SOMMAIRE
00:34 – Auteur
01:01 – Pourquoi ce livre?
04:41 – Mondialité postmoderne?
09:11 – La philosophie pragmatiste & le pragmatisme méthodologique?
15:58 – Evaluation du monde actuel?
23:10 – Conclusion
 

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Gérard DUSSOUY est professeur émérite à l’Université de Bordeaux. Ses travaux portent sur l’épistémologie de la géopolitique et des relations internationales, et sur la théorisation de la mondialité. Il en a retenu que le pragmatisme méthodologique est la manière la plus efficace d’approcher la réalité. Il en a acquis la conviction que l’Etat européen est devenu indispensable aux Européens afin qu’ils maintiennent leur civilisation.
 

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Description du livre

Pour comprendre le monde dans lequel nous sommes entrés, celui de la mondialité connexe et synchrone, la meilleure méthode est de s’inspirer des enseignements des auteurs pragmatistes, philosophes et sociologues, qui, tout au long des siècles passés, depuis les Grecs jusqu’à Richard Rorty, se sont évertués, et limités, à interpréter le leur. Loin de rechercher la vérité, de courir après une transcendance ou de vouloir accéder à l’essence des choses, le pragmatisme méthodologique s’efforce plus modestement de contextualiser la pensée qui guide l’action des hommes.

Le premier objectif de ce livre est de retracer les parcours intellectuels de tous ceux qui ont permis, d’une manière ou d’une autre, l’éclosion de l’épistémologie pragmatiste. Celle-ci voudrait faire partager l’idée que l’objet de la science politique consiste à interpréter les configurations interactives de pouvoirs et d’acteurs qui se proposent à elle. Et cela sans aucune prétention universelle ou prescriptive, mais en restaurant le lien, rompu par les Modernes, entre la culture et la nature.

Le moment de cette mutation est particulièrement propice. En effet, le monde est entré, depuis sa globalisation, dans une ère post-occidentale et post-moderne. Or, cette mondialité effective est caractérisée par l’existence de plusieurs nœuds gordiens dont nul ne peut prévoir comment ils seront tranchés. Au moment où a été écrit ce livre, avant l’irruption de la pandémie globale du coronavirus qui ajoute un autre stress, cinq d’entre eux étaient identifiables : celui du changement climatique et de la sauvegarde de l’environnement, celui de la démographie mondiale et de ses déséquilibres, celui de l’avenir incertain de la croissance économique, celui des sociétés fragmentées et numérisées, et enfin celui des nouvelles architectures de la puissance internationale et civilisationnelle. La complexité de leurs interactions ne laisse place qu’à l’interprétation et qu’à des politiques commandées par l’adaptation et par la survie.

Informations complémentaires

Auteur(s)

Gérard Dussouy

Editeur

AVATAR Editions

Date

15/09/2021

Collection

Agora

Pages

394

Dimensions

156 x 234 x 29

Dos

Broché

Isbn – Ean

9781907847677

Format

Livre

Autre

Disponible à partir du 01/07/2021

 
Le Pragmatisme: Outil d'Analyse d'un Monde Complexe
 
CHAINE AVATAR EDITIONS SUR ODYSEE

lundi, 09 mai 2022

L'État total, par force ou par faiblesse? (Carl Schmitt)

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L'État total, par force ou par faiblesse? (Carl Schmitt)

 
Dans cette vidéo, nous aborderons un nouveau point de la pensée de Carl Schmitt consacré à "l'État total". On a souvent tendance à faire de C. Schmitt un penseur résolument étatiste. Cela est partiellement vrai, mais il ne faut pas oublier que sa défense de l'État se dote d’une critique farouche et implacable d’un phénomène inquiétant qu’il nommait "l’État total", c'est-à-dire un État qui opère une « politisation de toutes les questions économiques, culturelles, religieuses et autres de l’existence humaine ». Face à l'expansion croissante de l'État qui s’immisce désormais dans toutes les sphères de la société, faut-il, avec les libéraux classiques, souhaiter sa fin ou son dépérissement ou faut-il au contraire préconiser le redressement d’un État fort, énergique et éminemment politique, capable de trancher certains liens superflus ?
 
 

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- Vivaldi : Violin Concertos (Op. 11)
- Schubert : Drei Klavierstücke, D. 946 Klavierstück No. 1 in E-Flat Minor
- Bach : Musical Offering, BWV 1079 (Orch. Anton Webern) - Fuga (Ricercata) a 6 voci

samedi, 07 mai 2022

La psychologie politique et l'irrationalité des masses

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La psychologie politique et l'irrationalité des masses

"Psychologie politique" de Gustave Le Bon, publié par OAKS et édité par Francesco Ingravalle, est de retour en librairie en Italie.

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/104295-la-psicologia-politica-e-lirrazionalita-delle-masse/

Le-Bon-2-320x500.jpgL'un des postulats fondamentaux de la pensée de Gustave Le Bon peut se résumer à cette affirmation: l'irrationalité des masses, mues par le sentiment, donne toujours lieu, dans la sphère politique, à la recherche d'un chef. Ce constat ressort des pages de la nouvelle édition italienne de l'un des ouvrages capitaux du psychologue et sociologue français, Psychologie politique, reparu récemment en librairie grâce aux éditions OAKS et sous la direction de Francesco Ingravalle (pour les commandes : info@oakseditrice.it, pp. 291, 16,00 euros). L'idée maîtresse que nous avons évoquée est, ab origine, un motif récurrent de la philosophie politique. Présente chez Platon, elle est réaffirmée par Althusius, Taine et guide les considérations de Pareto lui-même. Chez Le Bon, l'éditeur nous rappelle que "la raison est propre aux minorités, aux élites, les sentiments sont la voix des masses" (p. II). La première édition française de Psychologie politique a été publiée en 1910, un peu plus de quinze ans après la publication de la Psychologie des foules, à une époque où l'auteur avait pleinement défini son monde idéal.

L'édition que nous présentons est structurée en cinq livres (le livre VI a été éliminé, car il est aujourd'hui dépassé). Dans le premier, le penseur français plaide pour l'urgence de développer une véritable psychologie politique afin de gouverner les évolutions possibles de la société de masse, en tenant compte de l'importance accordée à cette discipline par Machiavel. Elle conduit, en premier lieu, à l'observation: "des préjugés héréditaires d'un peuple et de la nécessité pour l'homme politique d'introduire progressivement les changements nécessaires [...] afin de créer de nouvelles coutumes" (p. XII). Au XXe siècle, la société est dominée par le facteur économique et le caractère supranational du capitalisme, qui produit "des maîtres invisibles mais omnipotents auxquels les peuples et leurs propres souverains doivent obéir" (p. XII). Celles-ci, agissant sur la psychologie des profondeurs et des masses, visaient à conditionner le comportement et les choix des hommes. À mesure que le désordre grandit, la logique du sentiment pousse les masses, note Le Bon, dans les bras d'un César. En outre, dans tout choix politique, un rôle pertinent devrait être attribué aux "prédispositions raciales" (p. XII) du peuple et de son histoire antérieure. Ces facteurs déterminent la manière différente dont l'État est considéré par les peuples latins qui penchent vers le "socialisme", l'étatisme, et les peuples anglo-américains qui en sont fait les gardiens des libertés individuelles.

s-l400psypolglb.jpgDans le deuxième livre, Le Bon traite des lois. Il affirme qu'elles ne sont rien d'autre que la formalisation de coutumes ataviques. L'homme politique qui voudrait s'y opposer vouerait son action à l'échec: "Les vrais motifs de l'action politique sont la peur, la haine, l'envie" (p. XIII). Dans les premières décennies du siècle dernier, la substitution de l'intérêt de classe au bien commun était la caractéristique la plus évidente de la contestation politique. Dans les pays latins en particulier, cela a ouvert la voie aux démagogues de différentes tendances. Dans le troisième livre, Le Bon insiste sur l'importance des élites et l'impartialité des processus de démocratisation de la vie politique, en soulignant le risque de voir profiter de cette situation des démagogues qui, en renforçant la crédulité des foules, en les stimulant "sentimentalement", répandent leur charisme par contagion mentale. Dans le quatrième livre, le socialisme est présenté par l'auteur comme une immanentisation du mysticisme chrétien, visant à atteindre le paradis sur terre, en partant "d'une hypothèse infondée: tous les maux dérivent du capitalisme" (p. XV).

Dans la dernière partie du livre, Le Bon avertit ses contemporains que le désordre social produira bientôt une forme intolérable de "césarisme socialiste". Face à cette situation, il a appelé à une "défense sociale" capable d'inverser ce résultat politique. Dans ce contexte, il serait essentiel de "défendre le concept de patrie" (p. XVI), qui garantirait les hiérarchies sociales sans lesquelles aucun ordre politique ne peut être préservé. C'est sur la base de ces considérations que la première édition italienne de Psychologie politique, éditée par Adrian Popa en 1973, a rencontré un certain succès. Les thèses de Le Bon conciliaient l'anticommunisme atlantiste de la "majorité silencieuse" de ces années-là avec les revendications "révolutionnaires" des groupes de droite radicale qui se tournaient vers l'expérience politique de Jeune Europe. Pour l'un comme pour l'autre : "Le fait que Mussolini ait considéré la Psychologie politique comme "une œuvre capitale" était [...] une certification suffisante" (p. XVII) pour faire de ce livre une référence essentielle pour le "retour à l'ordre". En bref, si lors de la Convention de l'"Institut Alberto Pollio" à l'Hôtel Parco dei Principi à Rome dans les années 60, la propagation du communisme dans le monde occidental était lue comme le résultat de l'"ingénierie des âmes" ou de la "guerre psychologique" menée par ces derniers, à cette occasion, il a été décidé de leur opposer une "ingénierie des âmes" opposée et contraire, selon la leçon de Le Bon.

Les éditions italiennes ultérieures de ce texte ont rencontré un paysage politique très différent. Le virage à "droite" n'avait pas eu lieu et l'imposition de la "société de contrôle" était clairement annoncée. Dans ce livre, pour la première fois dans l'histoire, "la possibilité télématique de "créer des foules" et de déployer de nouvelles formes de contrôle social" (p. XXII) était exprimée, ce qui rendait le livre du psychologue français, malgré la situation différente, très actuel. Le "capitalisme cognitif" exerce son pouvoir par la colonisation omniprésente de l'imaginaire individuel et communautaire. Le Bon invitait ses contemporains à se battre pour la "défense sociale": aujourd'hui, cette bataille se déroule sur le front "esthétique", à l'endroit où le Capital-Forme réalise la marchandisation de la vie. Dans cette tranchée, les thèses de Le Bon peuvent également jouer le rôle d'un contrepoids important.    

 

mercredi, 04 mai 2022

Le problème de l'hybris

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Le problème de l'hybris

Alexander Bovdunov

https://www.geopolitika.ru/es/article/el-problema-de-la-hibris

Les Grecs anciens considéraient l'ὕβρις (Hýbris) de manière négative et utilisaient ce mot pour parler d'un mixte qui est le produit de l'orgueil, de l'arrogance et de la confiance excessive en soi.

Hans_Morgenthau.jpgLe politologue réaliste Hans Morgenthau (photo) avait l'habitude de faire remarquer que le concept d'ὕβρις avait une signification assez particulière dans l'Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide. Contrairement aux néo-réalistes, les réalistes anglo-saxons proposent de revenir aux penseurs classiques (c'est-à-dire les Grecs) et de retrouver des catégories telles que "équilibre des forces", "puissance" et "anarchie internationale" pour comprendre la réalité.

Les réalistes soutiennent que l'ὕβρις a été la cause du déclin et de la défaite d'Athènes, car c'est le déclin de la vertu qui a finalement provoqué la chute de cette polis grecque. Selon les réalistes, la maîtrise de soi est l'un des fondements du pouvoir et ne pas la pratiquer ne peut que conduire au désastre. Morgenthau a écrit que "l'arrogance qui apparaît dans les tragédies grecques et chez Shakespeare se retrouve chez des personnages historiques bien connus tels qu'Alexandre, Napoléon et Hitler".

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Le succès et l'ivresse du pouvoir conduisent à l'ὕβρις et font que les dirigeants d'un État - et par extension l'État lui-même - finissent par surestimer leur capacité à contrôler le monde entier: c'est l'arrogance qui, dans les tragédies grecques, conduit au désastre. Les Grecs considéraient l'ὕβρις comme une caractéristique des Titans qui conduisait les hommes à la perte de la peripeteia - c'est-à-dire l'épuisement de la fortune - et finalement à la nemesis - le châtiment divin.

Toutefois, ce n'est pas seulement l'équilibre des forces qui assure la stabilité d'un État, mais aussi l'ordre, la loi et le "nomos" (c'est-à-dire la modération). Le manque de retenue et l'arrogance conduisent à l'anomie, et l'anomie ne peut être surmontée sans le rétablissement de l'ordre. On pourrait dire que la tragédie grecque nous aide à comprendre les relations internationales.

Or, la seule superpuissance qui existe aujourd'hui, les États-Unis, a commencé à être détruite par sa propre "arrogance", notamment en raison de son abolition et de sa violation des lois écrites et non écrites du droit international (nomos). Cela a conduit les Américains non seulement à revendiquer et à conquérir de plus en plus de territoires, mais les a également poussés à une confrontation directe avec la Russie et la Chine. Le conflit actuel en Ukraine est une conséquence directe du déclin des États-Unis et est causé par leur propre perte de puissance. Cependant, les tragédies nous rappellent qu'il est possible d'exorciser et de purifier ces maux, en retrouvant le caractère sacré de la loi et en rétablissant l'ordre et la justice, comme le raconte la tragédie d'Antigone de Sophocle: un nouvel ordre naît de la tragédie déclenchée par la "légalité" d'un État corrompu par l'ὕβρις.

Nous pouvons aller plus loin et souligner que le Titanisme ne se caractérise pas seulement par l'excès mais aussi par la défense d'un ordre juridique injuste qui ignore les limites des actions et de la pensée. Si nous voulons contrer ces défauts, nous devons envisager les choses de manière claire et globale, c'est-à-dire au moyen d'une "théorie".

 

jeudi, 28 avril 2022

Les "Straussiens" ou les architectes des guerres de l'Amérique

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Les "Straussiens" ou les architectes des guerres de l'Amérique

Javier Barraycoa

Source: https://posmodernia.com/guerra-en-ucrania-iii-los-straussianos-o-los-arquitectos-de-las-guerras-de-estados-unidos/

Qui sont les "Straussiens" et quel est leur lien avec la guerre actuelle en Ukraine ? Nous allons nous référer à une série de doctrinaires et de politiciens qui ont guidé la politique étrangère américaine pendant des décennies, tant en matière économique que militaire. Nombre d'entre eux ont été, directement ou indirectement, des disciples du philosophe allemand Leo Strauss (1899-1973) et sont connus dans certains milieux sous le nom de "secte straussienne" [1]. Face à la montée du nazisme, Strauss se réfugie à l'université de Chicago où il enseignera la philosophie. Tous ses premiers disciples, qui formaient un cercle presque secret, étaient d'origine juive. Strauss les a rassemblés et a transmis oralement sa pensée la plus cryptique et la plus ésotérique. Aucune trace écrite de ces leçons ou réunions privées ne nous est parvenue, car elles étaient orales, et nous n'en avons que des références indirectes. Le fil conducteur de "l'enseignement secret" de Strauss était que, pour éviter un nouvel holocauste, une dictature forte devait être mise en place pour défendre les Juifs. Il a également soutenu que les démocraties libérales isolées ne pouvaient pas survivre par elles-mêmes et que les sociétés devaient cohabiter face à un "ennemi" hostile.

Strauss pensait que les œuvres des anciens philosophes contenaient délibérément des concepts "ésotériques" dont la vérité ne peut être comprise que par un petit nombre et qui seraient mal compris par les masses à endoctriner avec des connaissances "exotériques". On sait que le maître lui-même appelait ses élèves choisis les "hoplites" [2]. Le professeur leur avait inculqué l'idée d'utiliser le soi-disant "noble mensonge" (il est moralement éthique de mentir afin de préserver une fin noble)[3], quelque chose que ses disciples allaient rapidement apprendre à appliquer à leurs activités politiques. Ils n'ont pas renoncé à l'action, et il les a envoyés révolutionner les classes des enseignants opposants. Strauss soutenait qu'il fallait toujours se battre, et cette agitation en classe pouvait être appliquée à la géopolitique. C'est pourquoi il soutenait qu'un État (comme les États-Unis) qui voulait survivre devait toujours être en guerre. Pour le philosophe, cela fournissait une éthique spartiate, car la paix mène toujours à la décadence. Les straussiens croient donc à la "guerre perpétuelle" prônée par leur maître et non à la "paix perpétuelle" prônée par Kant. 

Leo Strauss

Le platonisme et une fausse idée du droit naturel dominent l'ensemble de la pensée de Leo Strauss. Il a toujours défendu l'existence d'une élite qui devrait être compatible avec les structures démocratiques formelles. Par conséquent, il a sensibilisé ses disciples à l'idée que dans les sociétés, certains sont destinés à diriger et d'autres à être dirigés. Qui, alors, doit diriger ? Ceux qui réalisent qu'il n'y a pas de moralité en dehors d'eux et qu'il n'y a qu'un seul "droit naturel": le droit du supérieur de dominer l'inférieur. Néanmoins, il a fait valoir que la loi morale, n'étant pas une fin en soi mais plutôt un artifice, était nécessaire pour maintenir l'ordre et la cohésion interne des sociétés. Et que l'un des moyens les plus efficaces pour diffuser ces principes moraux était la religion. Alors que Marx considérait la religion comme l'"opium du peuple", Strauss l'appelait la "sainte fraude". La religion est devenue l'un des instruments les plus efficaces de l'action politique, comme la "colle qui lie les sociétés entre elles". La religion n'était nécessaire que pour les masses, car les dirigeants n'en avaient pas besoin. Toute cette révolution d'idées finira par influencer la politique étrangère américaine au cours des dernières décennies.

Les premiers "Straussiens"

Peut-être Strauss n'aurait-il pas été beaucoup plus loin que les autres penseurs de son époque sans la force et l'influence politique que ses disciples ont progressivement acquises [4]. Ils se sont infiltrés dans l'administration américaine aux plus hauts niveaux et font maintenant partie des groupes de réflexion les plus influents des États-Unis. Toute l'architecture des guerres menées - directement ou indirectement - par les Etats-Unis depuis la chute de l'URSS a été légitimée par les thèses des "straussiens" et leur capacité de contrôle idéologique dans les administrations américaines, qu'elles soient républicaines ou démocrates.

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Lorsque Leo Strauss meurt en 1973, ses disciples restent groupés et s'engagent en politique par l'intermédiaire du sénateur démocrate Henry "Scoop" Jackson (photo). Parmi les plus connus, citons Elliott Abrams, Richard Perle et Paul Wolfowitz [5]. Ils ont été rejoints par un groupe de journalistes trotskistes du City College de New York qui publiaient le magazine Commentary (pensée et opinion conservatrices en vogue dans les milieux juifs de la côte Est). Ces derniers étaient connus comme "les intellectuels de New York". En raison de leur ancrage idéologique dans le trotskisme et de leur haine de l'URSS stalinienne, ils se sont impliqués dans la politique par le biais de la RAND Corporation [7]. L'acte fondateur de ce groupe a été la rédaction et l'adoption ultérieure de l'"amendement Jackson-Vanik" (1974) qui devait contraindre l'Union soviétique à autoriser l'émigration de sa population juive vers Israël sous la menace de sanctions économiques.

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Paul Wolfowitz, un straussien par excellence

Un Paul Wolfowitz encore très jeune (que l'on appellera plus tard le Wolfowitz d'Arabie, étant donné son obsession pour le renversement du régime de Saddam Hussein), formé auprès de Leo Strauss et de son collaborateur Albert Wohlstetter (un homme de l'État profond américain au temps de la guerre froide). Le véritable mentor de Wolfowitz serait Albert Wohlstetter (1913-1997), partisan d'une politique nucléaire ferme contre l'URSS, qui enseignait au département des sciences politiques de Chicago à cette époque. Grâce à ce contact, Paul Wolfowitz et Richard Perle (un autre des futurs architectes de la future guerre en Irak) [8], à l'été 1969, commencent à collaborer avec le Committee to Maintain a Prudent Defense Policy (CMPDP), un organisme créé par le secrétaire d'État Dean Acheson pendant la guerre froide pour élaborer des stratégies contre l'URSS.

Selon Francis Fukuyama, un néoconservateur et disciple indirect des straussiens: "Wolfowitz a fait la synthèse entre Strauss et Wohlstetter", ils étaient l'un, le philosophe, et l'autre, le stratège; les deux maîtres des néoconservateurs. Comme nous le soulignerons ci-dessous, ces collaborateurs trostkystes du parti démocrate, se sont progressivement convertis au républicanisme et sont devenus la base idéologique des "néocons". Wolfowitz, pendant son mandat de secrétaire adjoint à la défense sous George W. Bush, a été à l'origine de concepts tels que la "guerre préventive" ou l'"axe du mal", qui ont fait florès.

La formation "straussienne" des néoconservateurs

Dès 1976, Wolfowitz met en place l'équipe B, sous la présidence républicaine de Gerald Ford, pour analyser le danger que représente l'URSS pour le monde occidental. La conclusion de l'étude était qu'il ne suffisait pas de l'isoler, mais de l'éradiquer. Par la suite, les straussiens et les intellectuels new-yorkais - tous d'origine juive et anciens bolcheviks, comme nous l'avons déjà dit - se sont paradoxalement mis au service de Ronald Reagan et des républicains. C'est alors qu'ils ont commencé à s'appeler "néo-conservateurs". Ils ont été les architectes de groupes de travail et de groupes de réflexion tels que le National Endowment for Democracy (NED - Dotation nationale pour la démocratie) et l'US Institute of Peace (USIP). Ce dernier a été impliqué dans la révolution de Tianamen et les révolutions dites de couleur: manifestations d'octobre 2000 en Yougoslavie qui ont conduit au renversement de Miloševich; révolution des roses qui a conduit à la chute d'Edouard Chevardnadze (pro-russe) en Géorgie en 2003 et s'est terminée par la guerre russo-géorgienne de 2008; révolution orange qui a conduit à la fuite du candidat Viktor Iouchtchenko (pro-russe) en Ukraine en 2004; la Révolution des tulipes qui a conduit à l'éviction du gouvernement (pro-russe) d'Askar Akayev au Kirghizstan en 2005 (photo, ci-dessous); la Révolution blanche qui a tenté sans succès de renverser Alexandre Lukashenko (pro-russe) en Biélorussie; ou les manifestations en Moldavie contre le gouvernement du Parti communiste (pro-russe) en 2009.

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Plus inquiétant est un document rédigé par Paul Wolfowitz en 1992 après la chute de l'URSS, qui précise que les Etats-Unis doivent maintenir l'hégémonie mondiale en empêchant l'émergence de nouvelles puissances et même en s'imposant en Europe [9]. Gary Schmitt, Abram Shulsky et Paul Wolfowitz, grâce au groupe de travail sur la réforme du renseignement du Consortium for the Study of Intelligence, ont progressivement imprégné les agences de renseignement américaines de leurs idées. Ils ont diffusé la thèse selon laquelle les autres gouvernements démocratiques du monde n'avaient pas la vision globale que l'Amérique avait. L'empire américain a donc dû prendre des décisions unilatérales pour diriger le monde [10]. Cette année-là, Bill Clinton est arrivé au pouvoir, ce qui a relégué les néoconservateurs dans les puissants groupes de réflexion d'où ils affinent leurs théories.

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En 1992, William Kristol [11] (photo, ci-dessus, il est le fils du célèbre néocon, juif et ex-trotskiste Irving Kristol [12]) et Robert Kagan (futur conseiller de George W. Busch, auteur d'un livre intéressant contre l'Europe, Paradise and Power - America and Europa in the New World Order) et mariée à Victoria Nuland [13] (porte-parole du département d'État sous Obama), a publié un article important dans le magazine Foreign Affairs défendant "l'hégémonie mondiale bienveillante des États-Unis" [14]. L'année suivante, ils ont fondé le Projet pour un nouveau siècle américain/Project for a New American Century (PNAC) dans les locaux de l'American Enterprise Institute, un très puissant think tank conservateur financé principalement par la compagnie pétrolière Exxon Mobil. Le PNAC a réuni des néocons comme Gary Schmitt, Abram Shulsky et Paul Wolfowitz et des admirateurs non juifs de Leo Strauss, comme le protestant Francis Fukuyama (un autre néocon influent). Il comprenait également des membres du cabinet de George W. Bush : le vice-président Dick Cheney et le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, qui devaient jouer un rôle clé dans la guerre contre l'Irak.

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En 1994, Richard Perle (photo, ci-dessus) est passé de la politique de haut niveau au trafic d'armes. Soudain, il apparaît en Bosnie-Herzégovine comme conseiller du président bosniaque et d'Alija Izetbegovic. C'est Richard Perle qui a fait venir Oussama ben Laden d'Afghanistan avec sa Légion arabe, le prédécesseur d'Al-Qaida. Perle était même membre de la délégation bosniaque qui a signé les accords de Dayton à Paris. Les "straussiens" ont utilisé (et utilisent encore) les islamistes pour affaiblir les alliés de la Russie, comme la Serbie à l'époque. Mais ils coopèrent également avec les Israéliens pour les soutenir dans leurs plans visant à "achever" l'État d'Israël, qui serait alors sans population palestinienne. Lorsque Benyamin Netanyahou gouvernait Israël en 1996, des membres du PNAC tels que Richard Perle, Douglas Feith et David Wurmser ont rédigé une étude [15] à la demande de Netanyahou à l'Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS). Il s'agit d'un rapport résolument sioniste, conseillant l'élimination de Yasser Arafat, l'annexion des territoires palestiniens, le lancement d'une guerre contre l'Irak et la déportation massive des Palestiniens vers le territoire irakien. Ce rapport s'inscrit clairement dans la lignée de la pensée de Leo Strauss et de son collègue Zeev Jabotinsky, le fondateur du "sionisme révisionniste". Il s'agit du courant qui cherche à faire de l'État d'Israël un État entièrement juif, à annexer la Jordanie et à transférer massivement la population palestinienne dans des pays en faillite comme l'Irak.

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George W. Busch et Donald Rumsfeld

Ce qui était une théorie, avec la chute des tours jumelles, pourrait devenir une réalité. Wolfowitz est crédité de la paternité de la fameuse opération "Tempête du désert". Les néo-conservateurs, du Bureau des plans spéciaux, ont développé des arguments en faveur de l'invasion, tels que l'idée des armes de destruction massive. Ils n'ont fait qu'appliquer la stratégie des "nobles mensonges" inculquée par Leo Strauss: les "armes de destruction massive" en sont un. Les contacts "straussiens" ont fonctionné à la perfection. Richard Perle et Paul Wolfowitz ont promu l'amiral Arthur Cebrowski (photo, ci-dessous), qui devait rendre compte à Donald Rumsfeld (aujourd'hui décédé). La "Doctrine Rumsfeld-Cebrowski" a été imposée.

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Pour l'essentiel, cette doctrine peut être résumée comme suit: 1) les États-Unis ont besoin de s'assurer des ressources bon marché des pays en développement; 2) de nos jours, les guerres coloniales conventionnelles pour conquérir et dominer totalement l'administration d'un pays sont pratiquement impossibles (ou très coûteuses); 3) par conséquent, les conflits doivent être prolongés dans une "guerre sans fin" [16] qui laisse derrière elle des "États en faillite" (cf. Libye); 4) dès lors, les États-Unis n'essaieraient plus de gagner des guerres mais seulement de les déclencher (même indirectement par le biais d'Isis) afin de les prolonger le plus longtemps possible (voir l'Afghanistan, l'Irak ou la Syrie); 5) sans un État en position de négocier avec lui, il est beaucoup plus facile d'extraire des ressources. Dans ce lien,  http://centredelas.org/actualitat/galeria-de-monstruos/?lang=es, on peut trouver une liste de tous les néocons impliqués dans le business du pétrole et qui sont passés par les échelons supérieurs de l'administration publique américaine, notamment dans le domaine de la Défense.

Les échecs ultimes de ces conflits ont conduit les "néocons straussiens" à repenser les stratégies visant à maintenir l'instabilité mondiale. Ce n'est que dans cette perspective que nous pouvons comprendre la guerre actuelle en Ukraine.

Notes:

[1] Il y a déjà plusieurs générations de Straussiens.

[2] Nom des citoyens-soldats d'Athènes.

[3] L'idée du "noble mensonge", c'est-à-dire que la vérité n'est pas la même pour le citoyen que pour le politicien, se trouve déjà chez Aristote, mais Leo Strauss l'applique à la modernité.

[4) Leo Strauss a ensuite supervisé une centaine de thèses électorales, laissant son empreinte sur bon nombre de ses doctorants. L'un de ses disciples, Allan Bloom, qui a eu une influence significative sur la formation des "straussiens", a également supervisé une centaine de thèses. De plus, les élèves et étudiants qui le suivent se marient entre eux, créant ainsi des liens qui leur permettent d'infiltrer l'administration publique.

[5] Paul Dundes Wolfowitz est né le 22 décembre 1943 à Brooklyn, New York, dans une famille d'origine juive et polonaise, dont la plupart ont péri dans l'Holocauste. Il a appris l'hébreu dans un environnement familial intensément religieux. Après avoir occupé des dizaines de postes de direction et de groupes de réflexion, il est devenu président de la Banque mondiale.

[6] Dans un article récent, Zelensky a été décrit comme le "héros juif".

[7] Le principal groupe de réflexion du complexe militaro-industriel américain.

[8] Richard Norman Perle (né le 16 septembre 1941) est un consultant politique américain qui a occupé le poste de sous-secrétaire à la défense pour les affaires stratégiques mondiales pendant la présidence de Ronald Reagan. Il a commencé sa carrière politique en tant que membre senior du personnel du sénateur Henry "Scoop" Jackson au sein de la commission des services armés du Sénat dans les années 1970. A siégé au comité consultatif du Defense Policy Board de 1987 à 2004, dont il a été le président de 2001 à 2003 sous l'administration Bush. Conseiller clé du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld dans l'administration Bush.

[9] L'existence de ce document a été révélée dans un article intitulé "US Strategy Plan Calls For Insuring No Rivals Develop", par Patrick E. Tyler, The New York Times, 8 mars 1992.

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[10] Voir Silent Warfare : Understanding the World of Intelligence, Abram N. Shulsky et Gary J. Schmitt, Potomac Books, 1999.

[11] Rédacteur en chef du magazine The Weekly Standard.

[12] Irving Kristol, issu d'une famille juive non pratiquante d'Europe de l'Est, était membre du groupe trostkyste de jeunes intellectuels new-yorkais mentionné ci-dessus.

[13] Il appartient au noyau dur de l'administration américaine qui se considère comme l'"État profond".

[14] "Toward a neo-Reaganite Foreign Policy", Robert Kagan et William Kristol, Foreign Affairs, juillet-août 1996, vol. 75 (4), pp. 18-32.

[15] "A Clean Break : A New Strategy for Securing the Realm", Institute for Advanced Strategic and Political Studies, 1996.

[16] Expression utilisée par le président de l'époque, George Bush Jr.

dimanche, 24 avril 2022

Schumpeter vu de droite et vu de gauche

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Schumpeter vu de droite et vu de gauche

par Joakim Andersen (2020)

Source: https://motpol.nu/oskorei/2020/02/14/schumpeter-fran-hoger/

Joseph Schumpeter (1883-1950) a été l'un des économistes les plus influents du 20e siècle, notamment en raison de l'importance qu'il accorde à l'entrepreneur et de sa description de la manière dont le capitalisme connaît des périodes de destruction créatrice. Parmi ses étudiants figurent Robert Solow, John Kenneth Galbraith et Paul Sweezy. Il avait plusieurs idées précieuses à offrir, que l'on se dise de droite ou de gauche. On peut trouver chez Schumpeter des éléments de plusieurs traditions, la tradition marxiste, la tradition libérale classique et la tradition réaliste du pouvoir plus conservatrice. Entre autres choses, il considérait le capitalisme comme condamné et décrivait le New Deal presque comme un coup d'État.

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Comme Marx, il avait une perspective interdisciplinaire, évoluant dans les domaines de l'économie et de la sociologie. Cela était particulièrement évident dans son ouvrage classique Capitalisme, Socialisme et Démocratie de 1942. Schumpeter s'est demandé si le socialisme était inévitable, et la réponse était sombre. Schumpeter considérait le capitalisme comme un système très efficace pour créer des richesses grâce au lien entre le profit, l'entrepreneur et l'innovation, mais il affirmait également qu'il comportait des faiblesses politiques et culturelles qui causeraient sa perte.

Schumpeter a commencé son étude en passant en revue "le seul grand penseur socialiste", Karl Marx. Il a souligné ses points forts et ses idées importantes, qui s'avèrent être nombreuses. Il s'agit notamment de son énorme érudition en histoire et en économie, de sa théorie des crises et des cycles économiques, de son portrait des tendances centralisatrices futures et de sa vision de l'histoire. En même temps, il a identifié les points faibles de Marx, notamment son manque d'intérêt pour le rôle de l'entrepreneur et son incapacité à comprendre la psychologie du travailleur (comparez la frustration de Lénine). Schumpeter s'est également opposé à la théorie marxienne de l'accumulation originelle, car elle ne tenait pas suffisamment compte des différences humaines. D'une part, selon Schumpeter, il accorde trop d'importance aux facteurs extra-économiques (le vol, etc.), d'autre part, Schumpeter ajoute que "en dernier ressort, le succès du vol doit reposer sur la supériorité personnelle des voleurs. Et dès que cela est admis, une théorie très différente de la stratification sociale se suggère". En bref, Schumpeter n'était pas un égalitariste, ni dans sa vision ni dans ses objectifs. Son intérêt pour le facteur politique le lie également à Pareto plutôt qu'à Marx.

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L'examen par Schumpeter de la pensée de Karl Marx est l'un des plus initiés et des plus honnêtes jamais réalisés. Cela signifie à la fois que le lecteur non marxiste acquiert une compréhension de ce qui a de la valeur dans la pensée, et des arguments utiles qui partent des failles de celle-ci. La section sur Marx aurait été un classique à part entière. Mais Schumpeter poursuit avec une section tout aussi classique, celle où il se demande si le capitalisme peut survivre et y répond par la négative. Il rappelle ici Marx et la vision de la disparition du capitalisme comme étant inévitable, mais il a une vision différente des causes de tout cela. Il était ici beaucoup plus proche de penseurs de droite, certes influencés par Marx, comme Burnham et Francis.

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Pour Schumpeter, c'est plutôt que le capitalisme gagnait sa propre mort, par sa capacité à créer des richesses. Ce n'est pas la pauvreté croissante des masses ou la tendance au monopole qui donnera le coup de grâce au capitalisme; au contraire, il a précisément apporté la prospérité aux masses et, par la destruction créatrice et l'innovation, il brise les entreprises qui s'appuient sur des positions monopolistiques.

L'analyse de Schumpeter était plus originale que cela. Il s'est concentré sur la "superstructure socio-psychologique". Le capitalisme oblige à regarder le monde de manière rationnelle, notamment par la rationalité économique que nous devons adopter dans la vie quotidienne. Cela signifie que les anciennes traditions et institutions perdent leur légitimité, sont critiquées et abolies. Schumpeter a noté ici qu'une approche rationnelle combinée à des informations inadéquates peut très bien conduire à des décisions plus mauvaises que celles motivées par des "préjugés" et associées à un "faible QI". Il prend ici pour exemple la pensée politique des 17e et 18e siècles qui, malgré une prétendue rationalité, a conduit à des désastres. Il est intéressant de noter que Schumpeter, comme Freud et bien d'autres, a également soutenu que derrière les arguments rationnels se cachent souvent les véritables motivations. Mais nous en reparlerons plus loin.

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La rationalité que le capitalisme encourage est décrite par Schumpeter comme fondamentalement anti-héroïque, utilitaire et pacifiste. Ce rationalisme est une arme à double tranchant, qui sape également les institutions qui protègent le capitalisme et la bourgeoisie. Schumpeter a décrit le rôle central de l'entrepreneur dans le capitalisme, mais il a également décrit comment l'entrepreneur est remplacé par des bureaucrates dans les grandes entreprises ("le progrès économique tend à se dépersonnaliser et à s'automatiser. Le travail de bureau et de comité tend à remplacer l'action individuelle"; comparez également la description que fait Illouz de la grande bureaucratie comme un environnement féminin). Sans entrepreneurs, la bourgeoisie au sens large perd à la fois une partie de ses revenus et sa fonction. Ils sont réduits à des administrateurs.

En outre, Schumpeter a affirmé que la bourgeoisie constituait une élite plus détachée et moins charismatique que les aristocraties des époques précédentes. Le processus de rationalisation avait déplacé ces anciennes élites et les avait remplacées par des bourgeois, mais ce processus constituait une menace pour le système capitaliste. Schumpeter a écrit à ce sujet que "sans la protection d'un groupe non-bourgeois, la bourgeoisie est politiquement impuissante et incapable non seulement de diriger sa nation mais même de s'occuper de son intérêt de classe particulier. Ce qui revient à dire qu'elle a besoin d'un maître". Une telle symbiose entre les classes et les strates était considérée par Schumpeter comme la normale des 6000 dernières années (comparez la perspicacité de Dumézil et de la droite selon laquelle l'économie doit être subordonnée au politique et au sacré). Mais non seulement le capitalisme fait disparaître les strates précapitalistes qui auraient pu être ses alliées, mais il fait également disparaître une grande partie de la strate politiquement importante des propriétaires de petites entreprises. "Le fondement même de la propriété privée et de la liberté contractuelle s'use dans une nation où ses types les plus vitaux, les plus concrets, les plus significatifs disparaissent de l'horizon moral du peuple".

Lorsque l'entrepreneur est remplacé par des bureaucrates rémunérés et des masses anonymes d'actionnaires, la propriété et le contrat perdent également la signification absolue qu'ils avaient autrefois. "La propriété dématérialisée, défonctionnalisée et absente n'impressionne pas et n'appelle pas l'allégeance comme le faisait la forme vitale de la propriété". Le bourgeois ne construit plus une dynastie parallèlement à ses affaires, la famille bourgeoise perd également de son importance. Il en va de même pour la maison bourgeoise. La bourgeoisie perd la foi en ses propres idéaux, tandis que l'idéal héroïque que l'entrepreneur incarnait, dans une certaine mesure, disparaît.

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L'attitude critique à l'égard de l'autorité et des institutions qui a été encouragée par le capitalisme se retourne maintenant aussi contre le capitalisme. Ceci dans une situation où la bourgeoisie a été rendue sans défense, où les idéologies et les élites qui auraient pu défendre l'ordre bourgeois ont disparu. Schumpeter a écrit à ce propos que "la forteresse bourgeoise devient ainsi politiquement sans défense. Les forteresses sans défense invitent à l'agression, surtout si elles renferment un riche butin. Les agresseurs vont se mettre dans un état d'hostilité rationalisée - les agresseurs le font toujours." L'accent qu'il met sur la rationalisation ne signifie pas qu'il croit que les arguments rationnels viennent en premier et l'hostilité en second. Au contraire, la prise de conscience que "le fort est sans défense et riche" vient en premier, suivie de la colère et de la dispute. "La rationalité capitaliste ne supprime pas les impulsions sub- ou super-rationnelles. Elle ne fait que les faire déraper en supprimant la contrainte de la tradition sacrée ou semi-sacrée. Dans une civilisation qui n'a pas les moyens et même la volonté de les discipliner et de les guider, ils se révolteront".

C'est là que les intellectuels interviennent. Schumpeter a dressé le portrait d'une classe historiquement peu sûre, ayant normalement besoin de protecteurs. Ils constituent une classe à part sans être une classe en soi, pas une "vraie" classe sociale comme les ouvriers ou les bourgeois, mais tout de même en possession d'habitudes et d'intérêts communs. Cette classe est de plus en plus nombreuse et importante dans la société bourgeoise, notamment dans les médias, les universités et la bureaucratie. Schumpeter les a décrits comme des critiques de la nature, avec une forte tendance au mécontentement. "Le mécontentement engendre le ressentiment. Et elle se rationalise souvent en ce que la critique sociale, comme nous l'avons vu précédemment, est de toute façon l'attitude typique des spectateurs intellectuels à l'égard des hommes, des classes et des institutions, surtout dans une civilisation rationaliste et utilitaire." Contre cette critique, les bourgeois n'ont rien pour se défendre, les mesures répressives illibérales qui auraient été nécessaires pour sauver leur civilisation leur sont étrangères. Schumpeter a décrit comment la bourgeoisie se laissait même éduquer par ses ennemis jurés et embrassait leurs visions radicales du monde.

Pris dans leur ensemble, ces éléments suggéraient que la civilisation capitaliste et bourgeoise était sur le point de s'effondrer, pour être remplacée par une certaine forme de socialisme (un terme utilisé par Schumpeter dans un sens large). Il ne l'a pas décrite comme souhaitable, mais a identifié les contradictions centrales de la civilisation qui avait commencé à décliner. Et ce, d'une manière qui rappelle fortement les machiavéliens comme Burnham et Francis. Schumpeter lui-même a cité à la fois Pareto et Le Bon, ses vues sur les élites et la démocratie se recoupant avec celles de Pareto.

En bref, le tableau qu'il dresse dans ce livre est le portrait peu flatteur d'une élite bourgeoise qui s'est laissée étouffer par le consumérisme d'une part et qui ne comprend pas ou ne se soucie pas de sa propre civilisation d'autre part. Vu sous l'angle machiavélique, c'est un portrait fascinant. Schumpeter a peut-être parlé de l'étape post-bourgeoise comme étant socialiste, Francis au lieu du Léviathan managérial, les deux perspectives s'enrichissent considérablement l'une l'autre. La lecture de Francis après Schumpeter devrait être enrichissante. Que vous soyez un conservateur, un marxiste, un libéral classique ou un conservateur libéral, il s'agit dans tous les cas d'un classique. Bien que partiellement décourageante, car la tendance au "socialisme" esquissée par Schumpeter s'est poursuivie depuis 1942.

Schumpeter et l'État fiscal

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Schumpeter et l'État fiscal

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2022/04/19/schumpeter-och-skattestaten/

Joseph Schumpeter (1883-1950) est probablement mieux connu aujourd'hui pour sa théorie de la destruction créatrice en tant que caractéristique du capitalisme, il était toutefois un éminent théoricien social d'une valeur significative pour notre époque. Rappelant, entre autres, ce qui a été perdu lorsque le terme "économie politique" a été remplacé par "économie", Schumpeter se déplaçait naturellement entre les disciplines universitaires, utilisant la psychologie sociale, l'économie et les sciences politiques pour comprendre la société. Nous avons déjà écrit sur Schumpeter comme un penseur de droite potentiellement très intéressant, en partie dans la tradition machiavélienne (voir sur ce site, en ce même jour).

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Une perspective intéressante a été introduite par Schumpeter en 1918 dans The Crisis of the Tax State (en allemand Die Krise der Steuerstaates). Il est parti de discussions et d'affirmations selon lesquelles la saga de l'État fiscal était terminée et qu'il ne pouvait pas se relever après la guerre mondiale. Sa distance presque méprisante mais néanmoins séduisante par rapport à l'époque était évidente dans des phrases comme "cette discussion, désagréable comme presque toutes les expressions de la culture d'aujourd'hui ou de son absence, va prouver qu'il reste une libre concurrence au moins dans les slogans: le moins cher gagne".

Schumpeter a mis en évidence la perspective de Goldscheid, intitulée sociologie fiscale, et l'importance centrale des impôts sur le plan historique. Si le système fiscal change, la société change, et vice versa. Schumpeter cite ici Goldscheid : "le budget est le squelette de l'État dépouillé de toute idéologie trompeuse".

Son approche est historique, dans l'essai il décrit comment l'état fiscal a un début (et une fin). Il a été précédé par le monde féodal, organisé d'une manière différente. Schumpeter affirme ici qu'avant l'État moderne, les catégories du public et du privé n'existaient pas. Aux 14e et 15e siècles, les princes se retrouvent souvent en difficulté financière ; celle-ci est de nature structurelle. Il s'agissait de l'augmentation des coûts de la guerre, et plus particulièrement des salaires des mercenaires. Celles-ci étaient à leur tour nécessaires pour faire face aux forces numériquement supérieures des Turcs (cf. Wittfogel). Un processus s'engage dans lequel les princes font appel au soutien des États, car après tout, c'est pour le bien commun que les différents ennemis sont combattus. Souvent, les États accordaient ces appels, mais le processus a historiquement conduit à ce que l'exception devienne la règle et à l'essor de l'État fiscal.

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Schumpeter mentionne ici un processus parallèle qui aurait pu faire "bondir" l'État moderne, à savoir la création de ses propres institutions par les États. Il écrit ici que "les domaines de Styrie et de Carinthie, par exemple, ont beaucoup fait pour les écoles publiques et qu'en général une vie culturelle libre, attrayante et autonome s'est développée". Le caractère illibéral de Schumpeter apparaît clairement dans la suite: "Il est vrai que tout cela a servi la liberté, la culture et la politique d'une classe. Le paysan était réprimé d'une main de fer. Pourtant, c'était la liberté, la culture et la politique appropriées à l'esprit de l'époque. Il faut toute l'étroitesse d'esprit de l'historien de type "libéralisateur", partial en faveur de la bureaucratie princière, pour prendre le parti du prince dans cette lutte entre prince et domaines". Les domaines ont été envahis par les princes et l'État moderne a pris le relais. D'abord contrôlés par les princes avec l'aide de bureaucrates, puis gouvernés démocratiquement (Schumpeter a toutefois noté que "l'on pourrait dire plus fréquemment de la bureaucratie qu'elle était l'État").

51GJ95T4F6L._SX287_BO1,204,203,200_.jpgL'impact de l'État fiscal sur la société et l'histoire semble être important. Schumpeter s'est notamment penché sur la relation entre les taxes et la montée de l'État moderne, ainsi que sur la manière dont l'État a utilisé les taxes pour remodeler la société. "Les impôts n'ont pas seulement contribué à créer l'État. Ils ont contribué à sa formation. Le système fiscal était l'organe dont le développement entraînait les autres organes. Facture fiscale en main, l'État a pénétré les économies privées et a gagné une domination croissante sur celles-ci. L'impôt apporte l'argent et l'esprit de calcul dans des coins où ils ne se trouvent pas encore, et devient ainsi un facteur formateur de l'organisme même qui l'a développé". L'aspect fiscal de l'histoire et de la culture, à la fois comme symptôme et comme cause, a été grand. "L'esprit d'un peuple, son niveau culturel, sa structure sociale, les actes que sa politique peut préparer - tout cela et plus encore est écrit dans son histoire fiscale, dépouillée de toute expression. Celui qui sait écouter son message discerne ici le tonnerre de l'histoire du monde plus clairement que partout ailleurs". Fait intéressant, la relation entre les impôts et la migration, Schumpeter a écrit que "notre peuple est devenu ce qu'il est sous la pression fiscale de l'État. Ce n'est pas seulement que la politique économique a, jusqu'au début du siècle, été motivée principalement par des considérations fiscales: des motifs exclusivement fiscaux ont déterminé, par exemple, la politique économique de Charles Quint; ont conduit en Angleterre jusqu'au XVIe siècle à la domination des marchands étrangers sous la protection de l'État; ont conduit dans la France de Colbert à la tentative de soumettre tout le pays à la guilde et ont conduit dans la Prusse du Grand Électeur à l'installation des artisans français. Tout cela a créé des formes économiques, des types humains et des situations industrielles qui ne se seraient pas développés de cette manière sans cela". Les politiques de l'État suédois en matière de fiscalité et d'immigration peuvent également être mentionnées, bien que la logique soit plus complexe. Des impôts élevés afin d'avoir une forte immigration, et derrière cela d'autres intérêts.

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Schumpeter est en partie intéressant pour les libéraux classiques, car, en partie, sa perspective rappelle celle des marxiens. Il a écrit, entre autres, que l'État fiscal est contraint de rester dans certaines limites pour son propre bien, "dans ce monde, l'État vit comme un parasite économique. Il ne peut se retirer de l'économie privée que dans la mesure où cela est compatible avec la poursuite de l'existence de cet intérêt individuel dans chaque situation socio-psychologique particulière". Il a également décrit comment les taxes peuvent être utilisées par des acteurs puissants pour changer la société, "une fois que les taxes existent, elles deviennent une poignée, pour ainsi dire, que les pouvoirs sociaux peuvent saisir afin de changer cette structure", comparant par exemple les taxes sur le carburant à la lutte des classes et au démantèlement de la société libre.

L'affinité avec la perspective marxienne est évidente dans des formulations telles que "la pleine fécondité de cette approche se manifeste particulièrement à ces tournants, ou mieux ces époques, au cours desquelles les formes existantes commencent à mourir et à se transformer en quelque chose de nouveau, et qui impliquent toujours une crise des anciennes méthodes fiscales". Nous sommes au milieu d'un tel "tournant", où l'Occident relativement libre et relativement égalitaire est activement attaqué par les couches d'élite pour être transformé en quelque chose de complètement différent (comparez Lasch et Kotkin).

Dans cet essai, nous rencontrons également Schumpeter en tant que critique acerbe des couches qui prônent le "socialisme" sous la forme d'un État administratif doté de son propre personnel. Le mépris de Schumpeter pour ces derniers l'a même conduit à utiliser des guillemets: "Pourtant, d'autres attendent une "économie administrée" façonnée par nos "intellectuels". Le recours des intellectuels à des impôts élevés, explique-t-il, est dû au fait qu'ils sont des petits bourgeois mentaux, "le profane, bien sûr, considère les gros revenus comme des sources presque inépuisables d'impôts. Et notre intellectuel, dont toute la vision est fondamentalement petite-bourgeoise, est enclin à fixer la limite qui délimite les gros revenus juste au-dessus du rang de salaire ou autre revenu qu'il espère atteindre lui-même". Quant à Marx lui-même, Schumpeter, qui a tenu le discours le plus juste, à savoir que "l'émancipation de la classe ouvrière doit être son propre travail", a estimé que "Marx lui-même, s'il vivait aujourd'hui... se moquerait sinistrement de ceux de ses disciples qui accueillent l'économie administrative actuelle comme l'aube du socialisme - cette économie administrative qui est la chose la plus antidémocratique qui soit".

9782228883177_1_75.jpgLa conclusion de Schumpeter était que l'État fiscal, et avec lui l'économie libre, survivrait à court terme. À plus long terme, cependant, c'était moins probable, un thème qu'il a développé dans Capitalisme, socialisme et démocratie deux décennies plus tard. Quoi qu'il en soit, la perspective présentée par Schumpeter, celle de la sociologie fiscale, est enrichissante et nous rappelle à quel point la société et les gens sont affectés et façonnés par les impôts. La relation entre l'État fiscal et l'immigration n'est pas la moins pertinente aujourd'hui, les intérêts qui se cachent derrière ses mécanismes incluant le phénomène historique que Marx a décrit avec le terme fuidhir (et Tolkien avec le plus germanique wrecca). Lors d'un "tournant" schumpétérien, l'immigration est utilisée par les couches d'élite pour créer de nouvelles relations sociopolitiques qui remplacent ensuite les anciennes. "Le but n'a jamais été que les immigrants deviennent des Suédois, le but était que les Suédois deviennent des immigrants (et perdent la revendication de la terre au profit de l'élite)".

mardi, 19 avril 2022

Werner Sombart et le socialisme allemand

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Werner Sombart et le socialisme allemand

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2022/04/17/werner-sombart-och-den-tyska-socialismen/

Werner Sombart (1863-1941) était l'un des principaux sociologues de son temps. Comme sa source d'inspiration Marx, il s'intéressait à l'histoire économique et à l'économie politique. Le jeune Sombart était considéré comme radical, devenu plus âgé, il suivait le mouvement patriotique de la social-démocratie allemande et écrivit, entre autres, son "livre de guerre" Händler und Helden (récemment traduit en anglais sous le titre Traders and Heroes). Il y décrit les différences entre l'ennemi anglo-saxon à l'esprit commercial et l'Allemagne à l'esprit héroïque. Cette perspective trouve un écho dans l'ouvrage tardif Le socialisme allemand de 1934, dans lequel Sombart décrit l'ordre social qu'il juge le mieux adapté à la patrie héroïque. C'est un ouvrage fascinant ; entre autres, Le socialisme allemand offre l'occasion de comparer la pensée de Sombart avec celles de Marx, de Spengler et du national-socialisme.

imawssocalls.jpgSombart et Marx

Le jeune Sombart avait été fortement influencé par Marx, Engels l'avait même décrit comme le seul professeur capable de comprendre le Capital. Le Sombart que nous rencontrons dans Le Socialisme allemand était plus sceptique quant à ce qu'il avait nommé le socialisme prolétarien. Entre autres choses, il a critiqué l'accent mis par Marx sur le prolétariat en particulier et a plutôt mis en avant la classe moyenne. Ceci au point que son socialisme allemand "peut, par conséquent, être désigné (et marqué comme hérésie) comme un socialisme de classe moyenne. Le socialisme allemand adopte cette position, pleinement conscient de ses implications, parce qu'il considère que les intérêts de l'individu, ainsi que ceux de l'État, sont mieux gardés par les classes moyennes". Comparez Sam Francis et l'accent populiste de notre époque placé sur les "gens ordinaires". Soit dit en passant, le prolétariat marxien signifiait souvent, d'un point de vue politique, les couches les plus éduquées, de sorte que Marx et Sombart se recoupaient partiellement ici.

3a3498a1841e61cee6d10b40ae69ceeca7aacc5e0e0c240f1cd6dd5cc12c71bf.jpgSombart a également écrit que "Karl Marx a fondamentalement tort de dire que les classes et les guerres de classes ont toujours existé. La vérité est qu'il n'y en avait pas avant notre époque. Ce n'est qu'à l'ère économique que les intérêts économiques sont déterminants dans la formation des structures de groupe". La critique décisive de Sombart à l'égard du marxisme est liée au "Livre de la guerre", il écrit en 1934 que "le commerçant et le héros: ils forment les deux grands contrastes; ils forment également les deux pôles de toute orientation humaine sur terre. Le commerçant, comme nous l'avons vu, entre dans la vie avec la question suivante: Que peut me donner la vie? Il veut obtenir pour lui-même le plus grand gain possible pour le moins d'efforts possible... le héros rencontre la vie avec la question: que puis-je donner à la vie? Il veut donner, se prodiguer sans retour... on peut aussi dire que la conception marchande est centrée sur les intérêts, l'héroïque sur une idée... et on peut donc conclure qu'il existe aussi, selon l'esprit qui règne, un socialisme héroïque et un socialisme marchand". Pour Sombart, le socialisme prolétarien marxien était un "socialisme commerçant", plus intéressé par la félicité que par le devoir. Il a également critiqué des éléments du marxisme tels que son égalitarisme, son ressentiment, son athéisme, son attitude envers l'État, etc. Il a décrit le socialisme prolétarien et le libéralisme comme étant similaires : "Le socialisme allemand n'est pas doctrinaire. Le doctrinarisme est une maladie maligne qui, avec la montée du libéralisme, a attaqué l'esprit de l'humanité européenne (et aussi de l'humanité allemande, dont nous pourrions montrer qu'elle est particulièrement réceptive à cette maladie), puis a atteint son véritable développement dans le monde idéal du socialisme prolétarien". En même temps, il a décrit le socialisme prolétarien comme une réaction compréhensible à l'ère économique.

Comme Evola, le Sombart mature s'est retourné contre "l'âge économique"; comme un Evola plus âgé, il a également soutenu que la théorie matérialiste de l'histoire "est, en fait, valable pour l'âge passé, mais seulement pour le passé". Sombart a vu l'ère économique comme une profonde décadence, "seul celui qui croit au pouvoir du diable peut comprendre ce qui s'est passé en Europe occidentale et en Amérique au cours des cent cinquante dernières années". Les Occidentaux avaient fermé la porte au monde de l'au-delà, et le résultat était un désespoir, un libéralisme et un matérialisme croissants. La communauté de construction, la guilde, le foyer et d'autres associations historiques ont été sapés et remplacés par l'individualisme. La critique sociale de Sombart reste ici précieuse, identifiant les aspects clés du déclin. Il a notamment écrit que l'ère économique se caractérisait par "l'acceptation exclusive de la valeur monétaire. Toutes les autres valeurs sont, par un processus raffiné de désapprobation, dépourvues de leur pouvoir d'imposer la reconnaissance, ou elles servent simplement de moyen d'atteindre la richesse". C'est là qu'il s'est déplacé dans une zone frontière fructueuse entre Marx et le conservatisme culturel, en contraste avec l'École de Francfort, et en combinaison avec un idéal humain plus différencié et héroïque. Sombart a également analysé ce qu'il a appelé l'impérialisme capitaliste financier, écrivant que "jamais auparavant il n'y a eu une situation dans laquelle les hommes d'affaires ont gouverné, soit personnellement, soit par le biais de leur organisation ou de ses organes."

Contre le socialisme marxien, Sombart voulait opposer un socialisme allemand, il mentionnait ici des prédécesseurs nationaux comme Rodbertus, Lassalle etc. Étant donné sa définition plus large du socialisme en tant que "normalité sociale", il pourrait également inclure des personnes comme von Stein et Goethe parmi les socialistes allemands. Il cite ici Robert Ley, "Qu'est-ce que le socialisme ? Rien d'autre que la camaraderie". Sombart a écrit que "par socialisme allemand, on peut comprendre les tendances du socialisme qui correspondent à l'esprit allemand, qu'elles soient représentées par des Allemands ou des non-allemands. Auquel cas on pourrait éventuellement considérer comme allemand un socialisme qui est relatif, unifié (national), volontaire, profane et héroïque."

61Eo4hJRTLL.jpgSombart et Spengler

Sombart rappelait Spengler à bien des égards, notamment parce qu'ils ont tous deux développé leurs propres socialismes et les ont opposés à l'Angleterre. Spengler a développé un socialisme prussien et a décrit les différences entre l'Anglais et le Prussien. Sombart a nommé son alternative le socialisme allemand mais a également développé une distinction entre les guerriers anglais et les guerriers allemands. Tous deux ont également adopté une position partagée sur le projet national-socialiste, notamment par le biais d'une théorie de la race partiellement différente. Sombart et Spengler ont également été de fructueux critiques culturels et sociaux. Sombart a décrit, entre autres, comment l'ère économique avait infantilisé les peuples par sa fascination pour le grand, le rapide et le nouveau. Comme Spengler, il n'était pas impressionné par la "démocratie", écrivant que "la démocratie à l'ère économique ne signifie rien d'autre que la légalisation de la vente de chevaux". Tous deux associaient le "socialisme prolétarien" à la mentalité de crémier, Spengler exprimant que "le marxisme est le capitalisme de la classe ouvrière".

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En tant que critique culturel, Sombart était souvent aussi perspicace que Spengler. Il a identifié le stress constant de l'ère économique et a cité Goethe: "ce travail non perturbé, innocent, somnambulique, par lequel seul de grandes choses peuvent être réalisées, n'est plus possible". De même, il a décrit ce qu'a signifié la perte du lien avec la nature. Comme Spengler, Sombart s'est intéressé aux conséquences de la technologie moderne; sans devenir un primitiviste, il a pu constater que "l'élimination des attributs divins dans la pensée naturelle correspond à la déshumanisation dans la pensée technique" et que "la technique moderne est construite sur la précision et les hommes dans son application n'ont pas affaire à des âmes humaines mais à des objets morts: esclaves-bœufs-chevaux-chauffeurs."

Sombart, par contre, découvrait un caractère religieux plus marqué dans le socialisme allemand. Cela lui a permis d'écrire que la nation était centrale mais qu'elle n'était pas Dieu. Pour Sombart, cependant, la nation et l'État faisaient clairement partie du plan de Dieu pour l'humanité. Il a décrit l'esprit populaire de la manière suivante: "manifestement, il existe une telle chose que l'"idée" populaire, comme il existe une idée de la personne individuelle: une entité éternelle, une monade, une entéléchie. Cette idée contient l'essence que Dieu a imprimée à cette personne et à ce peuple et qui est posée pour la personne individuelle, comme pour le peuple individuel, pour être réalisée sur terre... chez l'individu, nous l'appelons la personnalité ; chez le peuple, Volksgeist ou le génie d'un peuple. Ce génie va devant le peuple comme une nuée le jour, comme une colonne de feu la nuit. En réalité, il ne s'agit toujours que d'un objectif, d'une tâche."

418AHrh0ZAL.jpgSombart s'est également inscrit en faux contre la vision pessimiste de l'histoire de Spengler, arguant que le déclin n'était pas une évidence. Chaque nouvelle génération avait la possibilité de restaurer la vitalité de la nation. Il apparaît également comme un peu plus socialiste au sens contemporain du terme que Spengler, bien qu'il ne veuille pas dire qu'un État fort doit nécessairement être aussi grand. En général, le raisonnement de Sombart sur l'État, la propriété privée, le marché etc. est mieux compris de manière dialectique, comme "both-and" plutôt que "either-or". Cela devient explicite dans ses réflexions sur la propriété germanique où il écrit que "le problème de la propriété n'est pas pour l'Allemagne un problème indépendant. L'alternative au sujet de laquelle une lutte si acharnée a été menée pendant des centaines d'années, et dans de nombreux endroits est encore menée aujourd'hui - propriété privée ou propriété commune - n'existe pas pour l'Allemagne. Considérée à juste titre, ce n'est pas du tout une question de "ou bien" mais seulement une question de "aussi bien que". La propriété privée et la propriété commune continueront d'exister côte à côte. À quoi il faut ajouter, bien sûr, que la propriété privée ne sera pas une possession illimitée, mais une possession limitée en droit, du moins en ce qui concerne la propriété des moyens de production et du sol". Sous le contrôle de l'État, il voulait voir, entre autres, les prêts bancaires, les industries importantes pour la défense et "toutes les entreprises à grande échelle qui tendent à s'étendre au-delà des limites appropriées d'une économie privée et qui ont déjà pris le caractère d'une institution publique".

Sombart et le national-socialisme

En 1934, le national-socialisme est encore une nouvelle puissance et il est difficile de prévoir sa pratique politique. Néanmoins, la relation de Sombart au mouvement semble originale. Il était capable d'en parler positivement en termes généraux et de faire le lien entre le socialisme national et le socialisme allemand; des similitudes existaient notamment dans les points de vue sur l'État et l'économie. En même temps, Hitler est pratiquement absent du livre; Sombart a probablement cité plus souvent Robert Ley du Deutsche Arbeitsfront. Il pourrait également écrire que l'homme moderne est souvent prisonnier d'idées fixes, énumérant parmi elles l'athéisme et le darwinisme ainsi que l'antisémitisme. Globalement, c'est dans la vision de la race et de la nation que les différences entre l'idéalisme de Sombart et l'idéologie nationale-socialiste sont les plus apparentes. Sombart s'intéressait davantage à ce qu'Evola décrivait comme la "race de l'esprit" et la "race de l'âme" qu'à la "race du corps", arguant que celles-ci ne se recouvrent pas complètement. Il a notamment écrit que "l'esprit allemand dans un Noir est tout aussi possible que l'esprit noir dans un Allemand. La seule chose que l'on puisse démontrer, c'est que les hommes à l'esprit allemand sont beaucoup plus nombreux parmi le peuple allemand que parmi le peuple noir, et l'inverse". Il a également fait valoir que de nombreux Juifs avaient un esprit allemand plutôt que juif. Il n'était pas un nordique mais soulignait la diversité des Allemands. Il y avait aussi un côté anticolonial chez Sombart, il prédisait dès 1934 que les peuples de couleur réagiraient au colonialisme et il décrivait la politique britannique d'anéantissement de l'industrie textile indienne comme un écrémage malveillant avec pour conséquence une misère massive.

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Il convient également de noter que Sombart a placé la nation et l'État au centre, décrivant la nation allemande comme un mélange de plusieurs influences raciales. De nombreuses nations, selon Sombart, sont composées de plusieurs peuples différents. Il écrit ici que "le peuple est terrestre, chthonique, maternel-matriarcal ; la nation, spirituelle, apollinienne, paternelle-patriarcale. Le germanisme (Deutschtum) est un pur esprit; la nationalité allemande, un esprit terrestre. Le peuple est aveugle ; la nation, voyante". On retrouve là Evola et Dugin. Quoi qu'il en soit, les réflexions de Sombart sur l'Allemand sont enrichissantes. Il décrit les Allemands comme un peuple actif, masculin et rural, marqué par la rigueur, l'objectivité et l'autoglorification. L'objectif du socialisme allemand était de réaliser leur potentiel pour être un peuple spirituel, actif et diversifié.

La vision de l'État de Sombart était liée à sa croyance en Dieu; il s'opposait vigoureusement à la vision libérale de l'État comme un simple outil pratique. Au lieu de cela, il a cité von Stein, "l'État n'est pas une association agricole ou de fabrique, mais son but est le développement religieux-moral, spirituel et corporatif; par son organisation, il doit former non seulement un peuple artistique et industrieux, mais aussi un peuple énergique, courageux, moral et spirituel". Il est intéressant de noter qu'il a défendu l'État de succession tout en adoptant une vision "historico-réaliste" de son émergence ("le concept de "succession" devrait toujours être politique, car ce n'est que dans ce sens qu'il est possible de penser rationnellement à une "structure de succession").

Dans l'ensemble, Sombart est toujours une source de connaissance intéressante, le socialisme allemand ne faisant pas exception. Il a été écrit à une époque de transition, où il n'était pas rare que la social-démocratie se transforme en national-socialisme et où les conséquences de diverses élections étaient encore enveloppées de brouillard, ce qui signifie que peu de lecteurs seront entièrement d'accord avec ses conclusions. Les analyses culturellement critiques de Sombart sur les effets de l'ère économique sur la culture et la société, ainsi que ses tentatives de décrire la geramnité spirituelle comme une alternative possible, devraient avoir une valeur durable. Quiconque a lu Traders and Heroes reconnaîtra son analyse de l'importance accordée par le monde moderne à la "commodité". Sombart lui a donné le nom de "comfortisme" et l'a lié à un déficit existentiel : "Le comfortisme n'est pas une forme structurelle externe de l'existence, mais un type et une manière définis d'évaluation des formes de vie. Elle n'est pas dans l'objet mais dans l'esprit, et, par conséquent, peut s'étendre aussi bien aux riches qu'aux pauvres... la nécessité, évoquée plus haut, de combler le vide créé dans l'âme matérialiste après chaque jouissance par une nouvelle jouissance, a conduit à la course-poursuite dans laquelle l'homme moderne passe sa vie". Des analyses similaires peuvent être faites à notre époque de "divertissement", de toute façon Sombart est souvent aussi précis dans sa critique culturelle que, disons, Adorno.

mercredi, 13 avril 2022

Le crépuscule des démocraties libérales

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Le crépuscule des démocraties libérales

par Andrea Zhok

Source: https://www.ideeazione.com/il-crepuscolo-delle-liberaldemocrazie/

I. Les démocraties fantastiques et où les trouver

Dans les discussions publiques sur le conflit russo-ukrainien, au-delà des arguments nombreux et souvent confus, la dernière ligne du front mental semble suivre une seule opposition : celle entre "démocraties" et "autocraties". Tous les faits peuvent être vrais ou faux, tous les arguments peuvent être valables ou non, mais en fin de compte, l'essentiel est que, Dieu merci, d'un côté il y a "nous", les démocraties, et de l'autre côté ce que la démocratie n'est pas. D'un côté de l'abîme se trouveraient les "démocraties", identifiables aux démocraties libérales qui se sont développées sous l'aile des États-Unis (Europe occidentale, Canada, Australie, Israël, et peu d'autres), et de l'autre côté se trouveraient les "autocraties", ou "pseudo-démocraties corrompues" (essentiellement impossibles à distinguer des autocraties).

Ce grand projet se nourrit de préjugés tenaces, comme l'idée que les démocraties sont naturellement pacifiques et ne font jamais la guerre - sauf, bien sûr, lorsqu'elles y sont contraintes par les infâmes "non-démocraties". Le motif est aussi vague qu'imperméable, aussi opaque dans ses détails qu'il est ferme dans la foi qu'il insuffle.

Pourtant, lorsque nous examinons les situations en détail, nous découvrons une image curieusement en dents de scie. 

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Andrea Zhok

Nous pouvons découvrir, par exemple, que dans l'histoire, pourtant brève, des démocraties (qui, à quelques exceptions près, commence après 1945), les conflits entre elles n'ont pas manqué (de la guerre du Cachemire entre le Pakistan et l'Inde, aux guerres de Paquisha et Cenepa entre le Pérou et l'Équateur, en passant par les guerres entre les républiques yougoslaves, jusqu'à la guerre des Six Jours - avec le Liban et Israël gouvernés par des démocraties, etc.)

Et puis, nous pouvons découvrir que la démocratie par excellence, les États-Unis, est curieusement le pays impliqué dans le plus grand nombre de conflits au monde (102 depuis sa naissance, 30 depuis 1945), des conflits, personne n'en doute, auxquels les États-Unis ont été contraints malgré eux par des autocraties malfaisantes et corrompues; et pourtant, il reste singulier qu'aucune de ces autocraties belliqueuses ne puisse, même de loin, rivaliser avec les États-Unis en termes de niveau d'activité guerrière.

Mais en dehors de ces points, qui peuvent être considérés comme des accidents, les véritables questions sont les suivantes : qu'est-ce qui constitue l'essence d'une démocratie ? Et pourquoi une démocratie peut-elle être considérée comme un ordre institutionnel de valeur ?

II. La démocratie : procédure ou idéal ?

Il y a ceux qui pensent que la démocratie est simplement un ensemble de procédures, sans essence fonctionnelle ou idéale. Par exemple, la procédure électorale au suffrage universel serait caractéristique des démocraties. Mais il est clair que la tenue d'élections n'est pas une condition suffisante pour être considéré comme démocratique: après tout, des élections ont également eu lieu sous le fascisme. Et qu'en est-il de la combinaison d'avoir des élections et un système multipartite ? Du moins, si l'on s'en tient à la perception de l'opinion publique occidentale, ces conditions ne semblent pas non plus suffisantes, puisque dans les médias, on entend parler de pays où se tiennent régulièrement des élections multipartites (par exemple, la Russie, le Venezuela et l'Iran) comme d'autocraties, ou du moins de non-démocraties. Mais si c'est le cas, alors nous devrions nous demander un peu plus loin ce qui qualifie réellement un système démocratique comme tel. Quelle est la signification d'une démocratie ? Qu'est-ce qui lui donne de la valeur ? 

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Le sujet est vaste, controversé et ne peut être traité de manière exhaustive ici, mais je vais essayer de fournir, de manière quelque peu affirmative, quelques traits de base qui dessinent le cœur d'un ordre démocratique authentique.

Je crois qu'une démocratie tire ses mérites fondamentaux de deux cas idéaux, le premier plus explicite, le second un peu moins : 

1) L'acceptation d'un pluralisme des besoins. Il est juste que tous les sujets d'un pays - s'ils sont capables de comprendre et de vouloir - aient la possibilité concrète de faire entendre leurs besoins, de les exprimer, et d'avoir une représentation politique capable de les assumer. Cette idée est principalement de nature défensive, et sert à exclure la possibilité que seule une minorité soit en mesure d'imposer politiquement son agenda et de faire valoir ses besoins, au détriment des autres.

2) L'acceptation d'un pluralisme de visions. Deuxièmement, nous pouvons également trouver une idée positive, concernant la dimension fondatrice du "peuple". Une vision du monde et de l'action collective dans le monde tire ses avantages, ses forces et ses vérités du fait qu'elle peut bénéficier d'une pluralité de points de vue, non restreints à une classe, un groupe culturel ou un contexte expérientiel. Si, dans la communication interne d'une démocratie (au sens étymologique du terme "politique"), une synthèse de ces différentes perspectives expérientielles est réalisée, alors, en principe, une vision plus riche et plus authentique du monde peut être obtenue. Cette idée n'est pas simplement défensive, mais donne à la pluralité des perspectives sociales une valeur proactive : la "vérité" sur le monde dont nous faisons l'expérience n'est pas le monopole d'un groupe particulier, mais émerge de la multiplicité des perspectives sociales et expérientielles. Cette dernière idée est plus ambitieuse et part du principe qu'un biais expérientiel tend de toute façon à créer une vision abstraite et limitative du monde, et que cette limitation est intrinsèquement porteuse de problèmes.

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Ces deux instances, cependant, représentent en quelque sorte des idéalisations qui nécessitent l'existence de mécanismes capables de transférer ces instances dans la réalité. Il doit donc exister des pratiques sociales, des lois, des coutumes et des institutions capables de transformer le pluralisme des besoins et le pluralisme des visions en représentation et en action collectives. 

Le mécanisme électoral n'est que l'un de ces mécanismes, et on peut se demander s'il est le plus important, bien que l'exposition périodique à un système d'évaluation directe soit d'une certaine manière cruciale en tant que méthode de contrôle et de correction par le bas. 

Maintenant, la vérité est que le système de pratiques, de lois, de coutumes et d'institutions qui permet aux instances démocratiques susmentionnées de se concrétiser est extrêmement vaste et complexe. En fait, nous avons affaire à un système de conditions, dans lequel le dysfonctionnement grave d'un seul facteur peut suffire à compromettre l'ensemble. Une politique non représentative de la volonté du peuple, un pouvoir judiciaire conditionné par des puissances extérieures, un système économique soumis au chantage, un système médiatique vendu, etc. Tous ces facteurs, et chacun d'entre eux à lui seul, peuvent briser la capacité du système institutionnel à répondre aux instances idéales 1) et 2) ci-dessus.

En revanche, prenons le cas d'un système souvent mentionné comme manifestement antidémocratique, à savoir le système politique chinois. Il n'est pas caractérisé par le multipartisme (bien que des partis autres que le parti communiste aient été récemment autorisés). Toutefois, il s'agit d'une république et non d'une autocratie, car il existe des élections régulières qui peuvent effectivement choisir des candidats alternatifs (les députés du Congrès du peuple, qui peuvent élire des députés du Congrès du peuple à un niveau successivement plus élevé, dans un système ascendant jusqu'au Congrès national du peuple, qui élit le président de l'État). S'agit-il d'une démocratie ? Si nous avons les démocraties occidentales à l'esprit, certainement pas, car il lui manque plusieurs aspects. Cependant, dans une certaine mesure, il s'agit d'un système qui, au moins dans cette phase historique, semble s'accommoder au moins des instances négatives (1) mentionnées ci-dessus : il accueille les besoins et les demandes d'en bas et y répond de manière satisfaisante. Est-ce un heureux accident ? S'agit-il d'une "démocratie sui generis" ?

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Si, d'autre part, nous examinons le système politique russe, nous sommes ici confrontés à quelque chose de plus similaire en termes de structure aux systèmes occidentaux, puisque nous avons ici des élections avec plusieurs partis en compétition. Mais ces élections sont-elles équitables ? Ou bien le conditionnement de la liberté de la presse et de l'information est-il déterminant ? Là aussi, il y a eu une amélioration des conditions de vie de la population au cours des vingt dernières années, ainsi que quelques ouvertures limitées en termes de droits, mais avons-nous affaire à une démocratie complète ?

III. Démocraties formelles et oligarchies économiques

Ces modèles (Chine, Russie), que l'on qualifie souvent de non-démocratiques, sont certes différents des démocraties libérales du modèle anglo-saxon, mais cette diversité présente également des aspects intéressants dans une perspective proprement démocratique, au sens des exigences 1) et 2). L'aspect le plus intéressant est une moindre exposition à l'influence de puissances économiques indépendantes, étrangères à la sphère politique.

Ce point, il faut le noter, peut être lu à la fois comme un plus et un moins en termes démocratiques. Certains diront que parmi les composantes sociales dont les intérêts doivent être pris en compte dans une démocratie (personne dans une démocratie ne doit être sans voix), il doit aussi y avoir les intérêts des classes aisées, et que par conséquent les systèmes qui ne sont pas sensibles à ces demandes seraient démocratiquement défectueux.

Ici, cependant, nous nous trouvons près d'un point critique. Nous pouvons prétendre que, dans le monde moderne, les représentants des pouvoirs économiques sont un pouvoir à côté des autres, un corps social à côté des autres : il y aurait des représentants des retraités, des métallurgistes, des agriculteurs directs, des enseignants, des défenseurs des droits des animaux et puis aussi des fonds d'investissement internationaux, comme un groupe de pression à côté des autres. Seulement, il s'agit, bien sûr, d'une fraude pieuse. Dans le monde d'aujourd'hui, suite à l'évolution du système capitaliste moderne, le pouvoir de loin le plus influent et le plus omnivore est représenté par les grands détenteurs de capitaux, qui, lorsqu'ils agissent dans l'intérêt de leur classe, exercent un pouvoir qui ne peut être limité par aucune autre composante sociale. Pour cette raison, c'est-à-dire en raison du rôle anormal en termes de pouvoir que peut exercer le capital aujourd'hui, il peut arriver que des formats institutionnels moins "démocratiquement réceptifs" dans des pays à la "démocratie imparfaite" offrent une plus grande résistance aux demandes du capital que dans des pays plus démocratiques sur le papier.

Ce point doit être bien compris, car il est en effet très délicat.

D'une part, le fait que les démocraties, en l'absence d'une surveillance robuste et de correctifs forts, peuvent rapidement dégénérer en ploutocraties, c'est-à-dire en règne de facto d'élites économiques étroites, ne fait aucun doute. Il s'agit d'une tendance structurelle que seuls les aveugles ou les hypocrites peuvent nier. D'autre part, cela ne signifie pas en soi que les systèmes qui se présentent comme potentiellement "résistants à la pression ploutocratique" le sont réellement, ni qu'ils sont effectivement capables de promouvoir un agenda d'intérêts proches du peuple (le cas historique du fascisme italien, inventeur de l'expression "démoplutocratie", reste là comme un avertissement).

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Dans cette phase historique, le problème vu du point de vue d'une démocratie libérale occidentale n'est pas d'idéaliser d'autres systèmes ou d'imiter d'autres modèles, qui se montrent peut-être à ce moment-là capables de servir les intérêts de leur propre peuple. Pour tout dire, on peut affirmer que le système institutionnel chinois de ces dernières décennies gagne en crédit pour sa capacité à améliorer, non seulement sur le plan économique, la condition de son immense population. Mais il s'agit d'un système qui a évolué sur des bases culturelles et historiques très spécifiques, qui ne peuvent être reproduites ou transférées. Il est donc approprié de l'étudier, il est juste de le respecter dans sa diversité, mais nous devons également éviter les idéalisations ou les improbables "transferts de modèles". 

L'importance historique de l'existence d'une pluralité de modèles est à la fois géopolitique et culturelle. Sur le plan géopolitique, le pluralisme multipolaire peut limiter les tentations impériales d'un seul agent historique : avec toutes les limites de l'URSS, sa simple existence après la Seconde Guerre mondiale a produit de plus grands espaces d'opportunités en Occident, grâce au stimulus fourni par l'existence d'un modèle social alternatif auquel se comparer. La multipolarité est une sorte de "démocratie entre les nations", et permet d'obtenir au niveau des communautés historiques les mêmes effets que ceux qui sont idéalement promus en interne par une démocratie : l'acceptation d'une pluralité de besoins et d'une pluralité de visions.

IV. Options crépusculaires

Le problème auquel nous sommes maintenant confrontés, avec une urgence et une gravité terribles, est que le système des démocraties libérales occidentales montre des signes clairs d'avoir atteint un point de non-retour. Après cinquante ans d'involution néolibérale, le bloc des démocraties libérales occidentales est dans un état de faillite démocratique avancée. Après la crise de 2008, et de plus en plus, nous avons assisté à un alignement des intérêts des grandes puissances financières, un alignement dépendant de la perception d'une crise naissante qui fera époque et qui impliquera tout le monde, y compris les représentants du grand capital.

Des choses connues depuis longtemps, mais dont la prise de conscience avait jusqu'alors été tenue à l'écart de la conscience opérationnelle, se présentent désormais comme des évidences qui ne peuvent plus être contournées par les grands acteurs économiques. 

Il est bien connu que le système économique capitaliste issu de la révolution industrielle a besoin de s'étendre, de s'agrandir et de croître indéfiniment afin de répondre aux attentes qu'il génère (et qui le maintiennent en vie). Il est également bien connu qu'un système de croissance infinie est autodestructeur à long terme : il est destructeur pour l'environnement pour des raisons logiques, mais bien avant d'atteindre des crises environnementales définitives, il semble être entré en crise au niveau politique, car la surextension du système de production mondial l'a rendu de plus en plus fragile. L'arrêt du processus de mondialisation, dont on parle en ce moment, n'est pas un événement parmi d'autres, mais représente le blocage de la principale direction de croissance de ces dernières décennies. Et le blocage de la phase d'expansion pour ce système est équivalent au début d'un effondrement/changement de système.

Les lecteurs de Marx, en entendant évoquer l'idée d'un effondrement systémique, pourraient bien lui souhaiter bonne chance : après tout, la prophétie sur la non-durabilité du capitalisme a une tradition riche et prolifique. Malheureusement, l'idée que le renversement du capitalisme devrait déboucher sur un système idéalement égalitaire, un viatique pour la réalisation du potentiel humain, est longtemps apparue comme une perspective souffrant d'une mécanique peu crédible.

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La situation qui se dessine aux yeux des acteurs économiques internationaux les plus attentifs et les plus puissants est plutôt la suivante. Face à une promesse de croissance de plus en plus instable et incertaine, il n'y a essentiellement que deux directions possibles, que nous pourrions appeler les options : a) "cataclysmique" et b) "néo-féodale".

a) Les processus dégénératifs déclenchés par les crises naissantes peuvent aboutir à une grande destruction des ressources (comme ce fut le cas la dernière fois, lors de la Seconde Guerre mondiale), une destruction telle qu'elle contraint le système à se rétrécir, tant sur le plan économique que démographique, ouvrant ainsi la voie à une réédition de la perspective traditionnelle, à un nouveau cycle identique aux précédents, où la croissance est la solution invoquée à tous les maux (chômage, dette publique, etc.). Il est difficile de dire si quelqu'un poursuit effectivement activement une telle voie, mais il est probable qu'au sommet de la pyramide alimentaire actuelle, cette perspective est perçue comme une possibilité à accepter sans tapage particulier, comme une option intéressante et non malvenue. 
   

b) En l'absence d'événements cataclysmiques, l'autre voie ouverte aux grands détenteurs de capitaux est la consolidation de leur pouvoir économique dans des formes de pouvoir moins mobiles que le pouvoir financier, moins dépendantes des vicissitudes du marché. Le pouvoir économique aspire désormais à passer de plus en plus d'une forme liquide à une forme "solide", que ce soit sous forme de propriété territoriale ou immobilière, ou sous forme de pouvoir politique direct ou (ce qui revient au même) médiatique. Cette option, un peu comme celle qui s'est produite à la chute de l'Empire romain, devrait permettre aux grands détenteurs de capitaux de se transformer directement en autorités ultimes, en une sorte de nouvelle aristocratie, un nouveau féodalisme, mais sans investiture spirituelle.

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Toutefois, ce double scénario peut également prendre la forme d'oscillations entre des mises en œuvre partielles de ces options. Il est fort probable que, comme c'est le cas pour les sujets habitués à "différencier les portefeuilles" afin de réduire les risques, au sommet, les deux options (a) et (b) sont envisagées en parallèle, pesées et préparées simultanément. C'est là un trait typique de la rationalité capitaliste et spécifiquement néolibérale : on ne se fixe jamais sur une perspective unique, qui en tant que telle est toujours contingente et renonçable : ce qui compte, c'est la configuration créée par l'oscillation entre les différentes options, à condition que cette oscillation permette de rester en position de prééminence. Ainsi, il est possible que le résultat de cette double option soit une oscillation entre deux versions partielles : des destructions plus circonscrites d'un cataclysme mondial, combinées à des appropriations plus circonscrites du pouvoir politique et médiatique d'un saut systémique dans un nouveau féodalisme postmoderne.

Cette troisième option est la plus probable et la plus insidieuse, car elle peut prolonger une agonie sociopolitique sans fin pendant des décennies, effaçant progressivement le souvenir d'un monde alternatif dans la population. La phase dans laquelle nous nous trouvons est celle de l'accélération de ces processus. Les médias des démocraties libérales sont déjà presque à l'unisson sur toutes les questions clés, créant des agendas de "questions du jour" avec leurs interprétations obligatoires. Il est ici important de réaliser que dans les systèmes de masse et d'extension tels que les modernes, il n'est jamais important d'avoir un contrôle à 100% du champ. La survie des instances et des voix minoritaires, fragilisées et dépourvues de capitaux pour les soutenir, n'est ni un risque ni une entrave. Un contrôle à 100% n'est souhaitable que dans les formes où la dimension politique est prioritaire, où une opinion minoritaire peut gagner les esprits et devenir l'opinion majoritaire. Mais si la politique est en fait déjà détenue par des forces extra-politiques, telles que les structures de financement ou le soutien des médias, une dissidence marginale peut être tolérée (du moins jusqu'à ce qu'elle devienne dangereuse).

Les démocraties libérales occidentales, qui jouent aujourd'hui le rôle du chevalier de l'idéal offensé par la brutalité autocratique, sont en vérité depuis longtemps des théâtres fragiles dans lesquels la démocratie est une suggestion et, pour certains, une nostalgie, avec peu ou rien de réel derrière elle. Avec la politique et les médias déjà massivement soumis au chantage - ou à la solde - nos démocraties fantasment sur la représentation d'un monde qui n'existe plus, s'il a jamais existé. 

Par rapport aux systèmes qui n'ont jamais prétendu être pleinement démocratiques, nos systèmes ont un problème supplémentaire : ils ne sont pas le moins du monde conscients d'eux-mêmes, de leurs propres limites et donc aussi du danger qu'ils courent. Les démocraties libérales occidentales sont habituées à être cette partie du monde qui a traité le reste de la planète comme son propre pied-à-terre au cours des deux derniers siècles ; à partir de cette attitude de supériorité et de suffisance, les citoyens des nations occidentales sont incapables de se voir à travers les yeux de quelqu'un d'autre qu'eux-mêmes, ils sont incapables de se représenter sauf sous la forme de leur propre autoreprésentation idéale (souvent cinématographique), ils ne peuvent même pas imaginer que des formes de vie et de gouvernement autres que les leurs puissent exister. 

L'Occident se retranche, comme un dernier bastion, derrière des bribes de sagesse commune, comme le célèbre aphorisme de Churchill : "La démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes les autres qui ont été essayées jusqu'à présent. Cette brillante boutade, maintes fois répétée, intègre le geste consolateur de penser que, oui, nous avons peut-être beaucoup de défauts, mais une fois que nous leur avons rendu un hommage formel, nous n'avons plus à nous en préoccuper, car nous sommes toujours, sans comparaison, ce que l'histoire humaine a produit de mieux.

Les Romains ont dû se répéter quelque chose comme ça jusqu'à la veille du jour où les Wisigoths d'Alaric ont mis Rome à sac.

 

dimanche, 03 avril 2022

Homo homini lupus: le vrai visage de l'"Umma" néolibérale

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Homo homini lupus: le vrai visage de l'"Umma" néolibérale

Emiliano Laurenzi

Source: https://www.azionetradizionale.com/2022/04/01/fuoco-homo-homini-lupus-il-vero-volto-della-umma-neoliberista/

41ULzFbvZcL._SX298_BO1,204,203,200_.jpgEmiliano Laurenzi est un sociologue des processus culturels, amateur de littérature et de voyages à moto, auteur de "L'islamisme capitaliste" pour les éditions Manifestolibri et co-auteur de divers essais de médiologie, il se consacre à l'étude par passion et ténacité.

Affirmer que le wahhabisme est non seulement compatible avec la propagation du capitalisme de consommation en Arabie saoudite, mais qu'il y contribue également, signifie tout d'abord revoir les hypothèses idéologiques, plutôt que culturelles, à travers lesquelles notre société se représente. A l'origine de cette convergence entre la version du littéralisme coranique le plus desséché et l'adoption des comportements et des modes de vie consuméristes les plus avancés, il y a en fait une double dissimulation concernant les modes et les formes de légitimation du pouvoir d'une part, et le rôle du droit à l'égard des individus d'autre part. Aujourd'hui, nous avons du mal à reconstruire ces liens en raison de l'hégémonie exercée par le concept libéral de société civile.

Au cours des 40 dernières années, la version dominante du néolibéralisme a déployé tout son potentiel. Cela s'est manifesté non seulement dans l'économie et la finance, mais surtout dans la réduction radicale, voire la destruction pure et simple, de toute fonction de redistribution, de protection et de sauvegarde des sections les plus faibles de la population, ainsi que dans la liquéfaction des partis de masse et des syndicats. En bref, toutes les fonctions et organisations visant la médiation et la négociation. En d'autres termes, les résidus des fonctions sociales de l'État, fils du droit positif affirmé avec la révolution française, pour se limiter aux démocraties libérales. Mais aussi les manifestations concrètes du contractualisme : la source, pas par hasard clairement en crise dans tout l'Occident dit démocratique, de la légitimité étatique depuis 200 ans, c'est-à-dire depuis la destruction de l'Ancien Régime.

C'est précisément l'idée de la société civile, censée être un centre d'échange et de défense des libertés individuelles, qui a joué un rôle extrêmement efficace et flexible dans cette opération de démantèlement. La société civile s'est révélée prospère dans la crise des formes du contractualisme moderne, en leur absence, ou souvent comme instrument de leur destruction. On l'a vu avec les mouvements en Europe qui ont tenté de combler le vide laissé par les partis de masse - avec des résultats risibles - à ceux qui ont déclenché les soi-disant printemps arabes - étant ensuite systématiquement et tragiquement écrasés par les forces qu'ils avaient contribué à déclencher.

Ainsi, plusieurs éléments communs apparaissent en filigrane entre le cœur de la pensée libérale à partir duquel s'est développée l'idée de société civile et une certaine déclinaison de l'idée même d'umma, spécifiquement wahhabite. Les deux tendent à se présenter comme une dimension universelle, déclenchant une consonance entre l'idée libérale de la dimension économique de l'individu en tant que forme universelle authentique du droit naturel, et la nature de l'umma en tant que groupe de croyants soumis au droit divin. Les deux conceptions prétendent d'ailleurs remplir leur fonction et trouver leur propre sens au-delà des conditionnements culturels locaux et, surtout, au-delà des régimes politiques en vigueur, bien qu'il s'agisse plus d'une prétention qu'autre chose. Dans aucun des deux cas, il n'est question d'une quelconque forme de contestation de la domination de la dimension économique, dont le motif, pour ainsi dire, reste inaccessible à une approche rationnelle et confiné à une dimension fidéiste. Elle n'est pas, en fait, soumise à la négociation. Il n'est donc pas surprenant que le concept de société civile constitue le terrain privilégié sur lequel, depuis plus d'une décennie, on tente de combiner une conception vague et confuse de l'Islam avec l'économie de marché.

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"La vérité est claire : il ne peut y avoir de société civile sans économie de marché; par conséquent, l'un des moyens de promouvoir la société civile dans les pays islamiques est de promouvoir l'économie de marché". Ainsi se termine l'introduction d'un court recueil d'essais (A. Yayla, Islam and the Market Economy), publié en Turquie en 2002, édité par Atilla Yayla. Une collection centrée précisément sur l'idée de combiner l'Islam et la société civile sur la base de l'économie de marché. Ce n'est pas un hasard si les références philosophiques du penseur turc - l'un des principaux partisans du libéralisme islamique - sont Hume et Locke, mais surtout von Hayek. Disons tout de suite que 18 ans plus tard, le souhait et la prédiction de Yayla se sont tous deux révélés fallacieux. Mais isolons le cas saoudien, qui nous occupe : De tous les pays musulmans, c'est sans doute celui qui a vu la montée et la consolidation progressives d'un islamisme - décliné sous les formes du terrorisme, de l'identitarisme religieux et du militarisme - parfaitement à l'aise avec les formes les plus avancées du capitalisme, ainsi qu'avec l'imposition des formes les plus féroces de l'économie de marché - on pense aux conditions de semi-esclavage avec lesquelles les travailleurs sont traités - et d'un contrôle impitoyable de l'information, jusqu'au massacre du journaliste Jamal Khashoggi. Faut-il donc en déduire l'absence absolue de société civile, selon les canons du néolibéralisme actuel ? Absolument pas, si l'on analyse de près sa conception. Mais procédons dans l'ordre.

Lorsque nous émettons l'hypothèse de l'existence d'une sorte d'umma néo-libérale - dont les signes sont très évidents en Arabie Saoudite - nous nous référons tout d'abord aux modes et aux formes de légitimation du pouvoir, ainsi qu'au rôle du droit vis-à-vis des individus. C'est en effet de ces deux caractéristiques du régime actuel que l'on peut déduire la position du sujet individuel par rapport à la loi, et de quelle manière le pouvoir se fonde, et établit ainsi un espace régulé. En tant qu'umma, la communauté des croyants ne se reconnaît pas dans une forme étatique, et en même temps, l'une de ses principales caractéristiques est précisément la soumission de ses membres à la loi sacrée. Ce qui intéresse le néolibéralisme, en ce sens, c'est précisément l'absence de législation souveraine, c'est-à-dire créée, comme l'a souligné von Hayek, avec un commandement totalement mondain - celui qui fonde l'État - tandis que la dimension à laquelle l'individu appartiendrait essentiellement est la loi de l'offre et de l'échange, dont la nature n'est pas du tout scientifique, mais a tous les traits d'une revendication fidéiste. Une conception très proche de celle de la loi islamique, la charia, qui est fondamentalement et intégralement une loi d'origine transcendante, même si elle a été élaborée par des juristes.

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En substance, les deux conceptions tendent à saper les prémisses mêmes de la souveraineté étatique à l'origine du contractualisme - cette souveraineté étatique qui sert de "cadre" à la confrontation politique - et à laisser l'individu dans une dimension réglementaire unique, absolument inaccessible à la dynamique du marchandage politique, c'est-à-dire étrangère à la dynamique de la sécularisation du jeu politique. Le néo-libéralisme parce qu'il ne reconnaît pas les prérogatives de l'Etat souverain comme source de régulation autonome, juridique et politique. L'Islam wahhabite parce qu'il ne reconnaît qu'Allah comme souveraineté unique et authentique, ne reconnaissant au pouvoir temporel qu'un rôle vicaire et/ou patrimonial. Tous deux, il faut le souligner en passant, mais aussi pour faire ressortir certaines "affinités électives", se tournent vers le pouvoir en place - qu'il s'agisse de l'État ou du roi - comme garants de leurs privilèges et activités : le néolibéralisme lorsqu'il exige de l'État la défense juridique et la protection militaire de la propriété et du capital, le wahhabisme lorsqu'il obtient du roi des privilèges, des dotations et un contrôle social en échange d'une caution religieuse. De plus, le néolibéralisme a tendance à se débarrasser des appareils juridiques trop contraignants et ce n'est pas un hasard s'il a toujours montré une préférence pour les systèmes juridiques coutumiers, qui sont moins exposés aux codifications rigides résultant d'une intervention politique. Au contraire, le wahhabisme efface d'emblée toute possibilité législative, pliant la réglementation des comportements individuels à la charia, une loi sacrée, laissée à la totale discrétion du juge dans son application, et loin d'être le résultat d'un processus législatif laïc. Ce n'est pas un hasard si la codification des activités qui ne relèvent pas de la charia, en Arabie saoudite, est techniquement déléguée à de simples règlements ou à des édits royaux.

Une affinité particulière se dessine donc entre le néo-libéralisme et le wahhabisme, non seulement pour la dimension universelle particulière à laquelle ils se réfèrent, mais surtout pour les limites très précises qu'ils prétendent attribuer à cette dimension (d'où l'apparente contradiction qui les distingue). Tant le néo-libéralisme que le wahhabisme préfigurent donc une dimension extra-étatique donnée comme originelle : pour le néo-libéralisme, l'état de nature compris comme constitutivement économique (ce qui, je le répète, est une prétention totalement antiscientifique), et pour le wahhabisme, une déclinaison particulière de l'umma que l'on pourrait définir comme discrétionnaire à toutes fins utiles, donc éloignée de sa dimension religieuse authentique. Ce qui, cependant, enflamme et signale la convergence, c'est que les deux, à cette dimension, accompagnent une très puissante conventio ad excludendum. Le néolibéralisme à l'égard de toute tentative de rejeter la nature de l'être humain en tant que simple homo oeconomicus, et tend vers des formes de régulation et d'organisation des interactions sociales sur des bases non exclusivement dédiées au profit ; le wahhabisme à l'égard de tous les croyants qui ne se conforment pas à sa propre vision de ce que l'Islam devrait être, et sont considérés sic et simpliciter comme des non-croyants, des ennemis de la vraie foi, étrangers à l'umma.

Ces deux attitudes - qui découlent des formes de légitimation du pouvoir et du rôle du droit dans la régulation de la vie des individus - sont dissimulées derrière le rideau idéologique du concept de société civile et de son hégémonie culturelle. L'idée de la société civile, en fait, est l'instrument avec lequel la conventio ad excludendum est mise en œuvre, tant dans le néolibéralisme que dans le wahhabisme (mais aussi dans de nombreuses autres formes de religiosité, islamiques ou non). Elle s'épanouit dans le vide de l'espace politique comme un simple jeu de valeurs et de croyances - auquel les dimensions de l'empreinte médiatique sont perçues comme absolument hors d'échelle - sans pouvoir réel d'affecter la construction des formes de pouvoir, et encore moins leur légitimation. En ce sens, toute idée de société en tant qu'ensemble de sujets interdépendants a disparu, de même que toute idée d'une umma de croyants rendus hypocritement "égaux" en vertu d'une interprétation idéologique, arbitraire et littéraliste de la doctrine coranique, nous revenons à cet homo homini lupus hobbesien dont nous sommes partis.